Chapitre 1
- Le rêve
Cette nuit-là, j’avais fait un rêve bien étrange : un grand cheval brun
courait dans les rues de mon village, puis il disparaissait derrière des
nuages de neige qu’il soulevait de ses gros sabots. Il revenait à la charge
en se cabrant, sautillant et poursuivait sa course en lançant de vigoureuses
ruades.
Tout à coup, un épais brouillard l’enveloppa. On ne voyait plus que
l’empreinte d’un fer à cheval encerclant une rose d’or.
Je me suis aussitôt réveillée en sursaut. En moins de deux, j’ai sauté de
mon lit pour ouvrir le premier tiroir de la commode. Je sortis une boîte
rouge dans laquelle j’avais placé une minuscule rose d’or offerte par mon
grand-père. Je lui avais fait la promesse de ne jamais perdre cette rose
d’or car, selon grand-père, celle-ci me serait d’un précieux secours. Du
haut de mes neuf ans, je ne comprenais pas très bien tout ce que cela
pouvait bien signifier, mais j’ai pris soin de ne jamais la perdre.
À l’heure du petit déjeuner, je parlai de mon rêve à ma mère. Grand-mère,
qui avait pris place dans la bergère, m’écoutait attentivement.
— Ce rêve est sans importance, me dit maman. Dépêche-toi de finir ton
déjeuner !
La réponse de ma mère m’avait choquée. Je savais bien que ce rêve cachait un
message. Mais comment déchiffrer tout cela ? Je me suis levée de table, j’ai
pris mon sac d’école et mon manteau, puis je suis sortie de la maison.
Pendant que j’attendais l’autobus scolaire, je faisais traîner mes pieds
dans les feuilles mortes. Le vent était froid. J’ai levé la tête pour
regarder les nuages. Ce sont peut-être des nuages de neige, comme le disait
grand-mère. Ma bonne grand-mère avait un don. En effet, il lui suffisait de
scruter le ciel pendant quelques minutes, et la voilà prête à vous faire des
prévisions sur le temps qu’il fera. Rarement, elle se trompait. L’autobus
scolaire s’arrêta pour me laisser monter.
Monsieur Émery, notre sympathique chauffeur, me salua d’un sourire. Je me
suis dirigée à l’arrière où Claude et Olyvier avaient déjà pris place. Comme
à tous les matins, ces deux frères étaient toujours les premiers à monter
et, le soir venu, ils en descendaient les derniers.
— Tu n’as pas bonne mine, me dit Claude.
— Quel air dépité ! ajouta Olyvier
— Ça va ! dis-je vexée. Je n’ai pas beaucoup dormi et …
— Encore un autre rêve ! continua Claude en me coupant la parole.
L’autobus scolaire s’arrêta. Frank et Alex, deux grands gaillards au sourire
sympathique, vinrent nous rejoindre.
— Dis-moi Charlotte, quelque chose te tra¬casse ? demanda Alex.
Je me suis alors lancée. Je leur ai parlé de mon rêve, de la rose d’or et de
la réponse de ma mère. Je dois vous avouer que je faisais confiance à ces
quatre comparses. Ce sont eux qui m’ont accueillie, réconfortée et consolée
le jour où je fus dans l’obligation de venir vivre à la ferme de grand-père.
Après le décès de grand-père, ma mère décida de vendre la maison et de
retourner vivre sur la ferme familiale. C’est ainsi que nous avons quitté la
ville pour nous installer à la campagne.
Grand-mère était heureuse de nous accueillir, mais moi, je n’étais pas du
tout enchantée. Ce n’est pas que je n’aimais pas grand-mère, mais laisser
derrière moi mes amis, ma ville et l’école de mon quartier m’obligeaient à
un énorme sacrifice. Je suis donc arrivée chez ma grand-mère avec le cœur en
colère.
Je crois que grand-mère avait deviné la rage qui m’habitait. C’est avec
plein de tendresse qu’elle m’accueillit dans sa vieille maison de campagne.
— Tu prendras la chambre rose, me dit grand-mère.
C’était la chambre que je préférais et elle le savait bien. J’adorais cette
pièce avec ses papiers peints, ses dentelles et ses deux lucarnes qui me
laissaient voir les bâtiments de la ferme, le potager ainsi que les grands
champs qui rejoignaient la forêt.
Monsieur Émery stoppa l’autobus scolaire devant l’entrée des élèves. Il
était huit heures. Toujours à l’heure, toujours souriant, il nous fit
descendre en nous souhaitant une bonne journée.
Rapidement, nous nous sommes rendus à la cafétéria où Violaine nous y
attendait, comme à chaque matin. Je n’eus même pas le temps d’ouvrir la
bouche que Frank, Alex, Claude et Olyvier prirent la parole, à tour de rôle,
pour raconter le rêve que j’avais fait la nuit dernière.
C’est au son de la cloche que notre discussion s’est arrêtée. Nous nous
sommes alors dirigés à notre premier cours de la journée.