Nuit
blanche et terrifiante
Catherine Lachapelle
Je suis
seule chez moi, le soir, et je m’ennuie. Ma mère et mon beau-père sont à
l’hôtel. M’ayant donné l’ordre de rester à la maison puisque ma sœur est
chez une amie, j’ai répondu sur un ton de soldat de l’armée : « Oui,
chef. »
Je me
rappelle que je peux inviter un ami. Alors, je saute sur le téléphone et
compose machinalement le numéro de mon meilleur ami, Nathaniel. Ça
sonne. Moi qui suis impatiente, je tape du pied. Après la deuxième
sonnerie, il répond. Je veux lui dire ma phrase habituelle, mais il me
devance. Il me dit : « Je sais, c’était long. » Je me mets à rire et
oublie mon impatience. Je lui demande s’il veut bien venir chez moi. Il
me parle de son emploi du temps très chargé et qu’il ne sait pas s’il
peut. Je lui demande d’un ton suppliant d’arrêter de me faire languir.
Il me dit enfin oui et qu’il sera là dans dix minutes.
Quinze
minutes plus tard, ça cogne à la porte. J’ouvre et Nathaniel est là. Je
regarde ses cheveux longs jusqu’aux épaules et ses yeux de couleurs
différentes qui m’ont toujours fascinée. Un vert et un bleu. Je lui fais
signe d’entrer. Il se précipite au sous-sol, comme il le fait toujours,
et saute sur mon sofa. Je dévale les escaliers et, à mon tour, je saute
sur le divan pour atterrir à côté de lui. Je propose de regarder un
film. Il accepte immédiatement et vient le choisir avec moi. À la suite
d’un débat interminable sur le choix d’un film, nous choisissons
d’écouter le fameux film que j’ai toujours redouté de visionner : Ange
sanguinaire.
Nous
démarrons enfin le film après un autre choix difficile : le choix des
encas. Maïs soufflé, croustilles, chocolat, liqueur, jus, que prendre !
Enfin devant le téléviseur avec de petites portions de tout, je suis
cachée sous les couvertures à cause de la musique horrible qui annonce
peut-être un meurtre. Au moment où j’entends la musique arrêter, je sens
quelque chose me frôler la jambe. La chose me touche encore, mais cette
fois elle reste collée sur moi. Je hurle à pleins poumons d’un ton si
strident que Nathaniel se bouche les oreilles et se plie en deux. Quand
j’arrête enfin de crier, Nathaniel plaque sa main sur ma bouche pour que
je ne recommence pas. Il me demande ce qui m’a fait hurler puisque je ne
regarde même pas le film. Je lui dis que quelque chose m’a touchée sous
les couvertures. Nous tournons la tête vers mes pieds et je vois avec
effroi une bosse qui bouge. Nathaniel s’approche et soulève les draps.
Moi qui suis peureuse comme personne au monde, je ferme les yeux et des
images de monstre gluant qui dévore de la chair fraîche m’envahissent.
Je sens un petit souffle froid me caresser le visage. Cette sensation
m’est familière, mais je n’arrive point à la reconnaître. Nathaniel me
dit de ne pas avoir peur et d’ouvrir les yeux. Je le fais à contrecœur
et découvre avec surprise, non pas un monstre hideux, mais mon chat qui
voulait tout simplement faire la sieste. Enfin soulagés, nous
redémarrons le film. Peu de temps après, une brise glaciale vient nous
faire frissonner. Je propose d’aller chercher d’autres couvertures. Je
viens pour me lever, mais quelque chose d’aussi froid que la neige et
qui a la forme d’une main se pose sur mon épaule. Je fais pivoter ma
tête vers mon épaule et je vois une main blanche et floue qui me
retient. Je me jette dans les bras de Nathaniel qui me serre contre lui.
J’entends une voix familière dire mon nom. Je cherche dans ma tête à qui
elle appartient. Je relâche l’étreinte sur mon ami et me tourne. Je vois
mon père, devant moi, l’air fantomatique. Il me dit que je suis en
danger. Il me dit que des esprits malfaisants viendront hanter la
maison. Mon père rajoute, en regardant mon visage terrifié, que je serai
capable de les vaincre. Alors qu’il entame une nouvelle phrase, il
disparaît dans un nuage de fumée. Je regarde Nathaniel, qui à l’air
aussi abasourdi que moi. Je me dirige vers le sofa et je m’y laisse
choir. Mon ami me rejoint. Nous restons bêtement là à ne rien faire. Je
reprends mes esprits quand je vois deux fentes rouges découper
l’obscurité du salon. Je m’approche et m’écrie : « Un esprit ! »
Nathaniel est toujours en état de choc. Pour le sortir de sa bulle, je
prends ses épaules et le fais bouger dans tous les sens. Il reprend lui
aussi connaissance et voit les esprits de couleur noire floue dans le
salon. Il prend son courage à deux mains, prend mon bras et m’attire en
haut. À notre grande surprise, il y a, en haut aussi, des esprits.
Étrangement, malgré leurs yeux couleur sang et leur air abominable, ils
ne nous attaquent point. Subitement, nous entendons un bruit
d’outre-tombe. Toutes les entités cessent immédiatement de bouger,
tournent prestement la tête vers nous et avancent, l’air menaçant. La
peur me paralyse et je ne sens plus mon corps. Tout ce que je sens,
c’est mon bras être tiré avec force pour descendre les escaliers en
vitesse. Je reprends la maîtrise de mon corps et nous allons nous cacher
dans la salle de lavage. Je suis essoufflée et un peu dans les vapes. Je
reprends connaissance quand le même froid que lorsque mon père est
apparu m’entoure d’une vague apaisante. Il est là, devant moi, et me
serre fort. J’éclate en sanglots. Je lui dis que je ne serai jamais à la
hauteur pour les faire fuir. Il me console un bref instant et me dit
qu’il y a une porte qui permet de les faire disparaître. Lorsqu’il veut
nous dire où elle se situe, il disparaît de nouveau. Nathaniel
s’approche de moi et essuie mes larmes. Il me dit que je dois rassembler
tout mon courage et trouver la porte pour éliminer les esprits au plus
vite. Les mots de Nathaniel me redonnent de l’énergie. Je me mets à
chercher où est la porte et ce qui pourrait l’ouvrir. Une lumière
s’allume en moi. Je propose à mon ami d’ouvrir toutes les lumières. Cela
fera peut-être disparaître ces entités terrifiantes ? Vu que les esprits
sont aveugles, puisque nous étions devant eux mais qu’ils ne nous
attaquaient pas et que, lorsque j’ai hurlé, l’esprit en bas a fait un
son étrange attirant l’attention vers nous, nous ne devons faire
absolument aucun bruit, puis ouvrir toutes les lumières. J’ouvre la
porte de la salle de lavage et j’écarquille mes yeux en voyant les
esprits flotter dans le salon, se promenant à leur guise dans la maison.
Je marche sur la pointe des pieds, allume la lumière du sous-sol et
monte rapidement mais silencieusement les marches, Nathaniel sur mes
talons. Arrivés en haut, nous nous cachons une fois de plus, même si
nous savons que ces atrocités ne nous voient pas. J’étire le cou pour
voir s’il s’est passé quelque chose du fait que j’ai allumé les
lumières. Pourtant, rien n’a changé. Peut-être faut-il allumer toutes
les lumières ? Je marche en faisant le moins de bruit possible. Je monte
à pas de tortue les trois marches me séparant de la cuisine, où se
trouve la dernière lumière à allumer si je veux peut-être faire fuir une
fois pour toutes ces entités. Je me précipite à pas feutrés jusqu’à
l’interrupteur et ouvre la lumière. Je découvre avec désarroi que les
lumières ne font que rendre les esprits presque invisibles, mais ne les
font pas déguerpir. Je referme les lumières et refait le trajet avec
l’agilité d’un chat pour rejoindre Nathaniel qui était resté caché. Je
lui annonce que l’idée des lumières n’a pas fonctionné et que nous
devons trouver autre chose et vite.
Nous
réfléchissons aussi vite que possible pour trouver une autre solution.
Tout à coup, une idée me traverse l’esprit. Quand nous étions dans la
salle de lavage, aucun esprit ne venait. Ça ne peut pas être juste une
coïncidence. Je donne cette hypothèse à Nathaniel, qui la trouve
excellente. Nous redescendons donc, une fois de plus, les escaliers.
Rendue à la dernière marche je trébuche et tombe face la première sur le
plancher en faisant un bruit infernal, qui attire malencontreusement
l’attention de toutes les entités. Je me relève avec difficulté, avec
l’aide de mon ami, et nous allons nous enfermer dans la salle de lavage.
Nous cherchons où pourrait bien être le portail. Soudainement, les
esprits cognent violemment à la porte. Je me place devant celle-ci et
essaie de la retenir pour ne pas quelle cède. Je me mets à chercher où
pourrait bien être ce portail qui, pour moi, commence à être inexistant.
Mes
forces commencent à me laisser tomber. J’essaie d’empêcher du mieux que
je peux, avec les brides de force qu’il me reste, les esprits d’entrer.
Alors que mes forces m’abandonnent pour de bon, j’entends Nathaniel dire
: « J’ai trouvé ! » J’étire le cou, vois mon copain qui a ouvert la
sécheuse et je remarque une lumière aussi blanche que la neige qui, j’ai
l’impression, attire les esprits, car les coups sur la porte sont deux
fois plus forts depuis que Nathaniel a ouvert la sécheuse. Il me dit
d’ouvrir la porte. Je ne me le fais pas dire deux fois. Je lâche la
porte, ce qui fait que les esprits entrent, mais se font aspirer par la
lumière blanche qui, étrangement, tourne comme une tornade depuis que
les entités sont dans la pièce. Tout semble bien aller lorsqu’un esprit
me frappe de plein fouet, m’attirant dans sa chute. Je hurle pour que
Nathaniel remarque que je me fais aspirer moi aussi dans ce tourbillon
et que, s’il ne fait rien, je disparaîtrai à jamais. Il se précipite
vers moi, attrape ma main et l’agrippe avec force pour ne pas que je
m’enfonce dans cette tornade. Il réussit tant bien que mal à m’attirer
dans ses bras pour ne pas que je me fasse heurter une seconde fois.
Nous
regardons les esprits se dissiper un à un dans cette lumière blanche
comme la neige. Nous restons là un bon moment. Nathaniel essaie de me
décoller de lui, mais je reste accrochée à son chandail, paralysée par
la peur. Il se résigne donc à me laisser collée contre lui. Il me serre
fort et passe doucement sa main sur ma tête dans l’espoir de me
rassurer. Après un moment, je me radoucis. Il parvient à me décoller de
son chandail et à me placer à côté de lui. Le dernier esprit se
volatilise au contact de cette lueur. La lumière faiblit et elle finit
par disparaître. La fatigue me submerge et je tombe sur les genoux de
Nathaniel, endormie. Il me prend délicatement et va m’étendre sur le
sofa, me recouvrant d’une couverture.
Je me
réveille beaucoup plus tard et me relève sur les coudes. Tout est en
ordre, on dirait que rien ne s’est passé. Je regarde partout et vois
Nathaniel couché près de moi avec un balai dans les mains. Tout ce que
je croyais être un rêve est la réalité, mais au moins, tout est terminé.
Je me recouche et me rendors à côté de mon ami, soulagée que tout soit
fini.
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