Avant-propos
Jeudi 26 août 2010
Cela fait maintenant presque un an et
demi que j’ai terminé la rédaction de ce livre; beaucoup
de mes proches, amis et membres de ma famille l’ont lu.
Tous m’ont dit l’avoir apprécié et même s’ils
connaissaient déjà l’horreur de l’histoire, ils m’ont à
peu près tous fait le même commentaire : « quand on
commence la lecture du livre, on a qu’une hâte, c’est de
tourner la page pour connaître la suite ». Je suis
cependant bien conscient que cette remarque flatteuse
doit être tempérée par le fait que ces gens sont proches
de moi et que par conséquent leur jugement peut être
altéré par une forme de complaisance. À tout le moins,
j’ai considéré leur commentaire comme un encouragement à
aller plus loin et le plus loin, c’était de faire
publier le livre pour le mettre à la disposition d’un
plus large public.
Au fil des mois, donc, j’ai envoyé mon
manuscrit à plusieurs maisons d’édition, à Paris et à
Montréal, et j’ai attendu, parfois plusieurs semaines,
une réponse. Peu à peu, les réponses sont arrivées; de
bien belles lettres ma foi, très bien rédigées, mais qui
disaient toutes sensiblement la même chose : « histoire
bouleversante, mais qui, cependant, ne correspond pas à
nos critères de sélection quant aux textes que nous
souhaitons éditer ». Ces belles lettres se terminaient
aussi de la même manière, en m’invitant à persévérer
dans mes démarches !
La leçon que j’ai tirée de tout cela,
c’est que si la rédaction d’un livre peut être
difficile, trouver un éditeur qui accepte de le mettre
sur le marché l’est plus encore !
En cherchant à analyser les causes de ces
échecs relatifs, une chose me revenait en permanence à
l’esprit : les éditeurs que j’ai contactés ont-ils eu
peur du caractère explosif de l’histoire et des
conséquences de sa publication ? Cette peur est-elle la
même que celle exprimée par beaucoup de mes proches,
ayant lu le livre, et qui s’inquiétaient des réactions
potentielles que certains protagonistes de cette saga,
dont les noms sont cités, pourraient avoir ?
Bien que tout, absolument tout ce que
j’ai écrit soit vrai et repose sur de la preuve
vérifiable en tout temps, je conçois fort bien que les
protagonistes en question puissent se sentir
‘’ébouriffées’’ à la lecture du livre. Vu les éléments
du dossier mis de l’avant et le ton employé, c’est
presque une évidence !
Devant un tel constat, il ne me restait
donc qu’une chose à faire pour dissiper mes doutes et
mes craintes : consulter des professionnels du droit
pour avoir l’heure juste et savoir jusqu’où je pouvais
aller dans ma volonté de raconter cette histoire.
Avril 2010
Ce matin, j’ai rendez-vous avec deux
jeunes femmes, juristes de profession; elles ont reçu le
livre il y a quelques semaines et l’ont lu. La rencontre
d’aujourd’hui en est une de débriefing. Une de ces
femmes est spécialiste en droit de la famille et connaît
très très bien le sujet qui est la base du livre; elle
maîtrise tous les tenants et aboutissants de l’histoire
et est à même de constater que tout ce que j’ai écrit
repose sur de la preuve. Sa collègue, elle, est
spécialiste en droit civil; je ne la connaissais pas
auparavant. Par le plus curieux des hasards, cette
dernière m’annonce, sous le sceau de la confidence, que
la problématique médicale qui est la ligne conductrice
du livre lui est très familière. Le sujet l’intéresse
vivement. Le style lui a plu, à elle aussi.
Mais voilà, il y a un mais ! Les deux
juristes sont inquiètes ! Le livre, s’il est publié
ainsi, va faire des vagues ! Pour elles, certaines
personnes, celles que je qualifie de ‘’potentiellement
ébouriffées’’, dont le nom apparaît « en clair » dans le
texte, vont réagir ! Belle mise en matière, ma foi ! Moi
qui voulais être rassuré, je suis servi !
Une discussion à bâton rompu commence
alors; nous parlons de la liberté d’expression, garantie
par la Charte canadienne des droits et libertés,
elle-même enchâssée dans la Constitution du Canada. Nous
parlons de la problématique de la diffamation;
j’argumente, j’écoute le point de vue des deux juristes,
je contre- argumente. La véracité des faits avancés dans
l’histoire ne fait pas débat; la discussion porte plutôt
sur les axes d’attaques que pourraient prendre les
personnes dites ‘’ébouriffées’’.
Mes deux interlocutrices constatent que
j’ai fait mes devoirs quant aux recherches sur la notion
de diffamation et les moyens à prendre pour me prémunir
contre des attaques de ce type.
Voici le résumé de la situation :
Au Canada, pour faire simple et compliqué
à la fois, il y a 2 législations qui régissent les
affaires civiles en général et le domaine de la
diffamation en particulier :
1. Toutes les provinces canadiennes sauf
le Québec sont régies par un système de loi
d’inspiration britannique que l’on appelle : Le Commun
Law. Dans ce système, en matière de diffamation, la
vérité constitue le moyen de défense absolu. Autrement
dit, si j’habitais en Ontario ou en Colombie
Britannique, je n’aurais pas à avoir tout ce
questionnement. L’histoire est vraie, elle repose en
totalité sur de la preuve, donc je publie !
2. Seulement voilà ! Je ne vis pas à
Toronto ou à Vancouver, je vis à et au Québec ! Et le
Québec, en tant que « société distincte » dispose de son
propre Code civil, lui même déclinaison du Code civil
français, anciennement appelé Code Napoléon (puisque
rédigé en 1804 sous le 1er Empire). Et voici ce que dit
le Code civil du Québec au sujet de la diffamation :
« La vérité ne constitue un moyen de défense que si les
propos ont été publiés dans l’intérêt du public et sans
l’intention de nuire ». Vaste programme ! Et qui
porte à bien des interprétations !
Cela fait maintenant presque une heure
que la discussion s’est engagée, la problématique est
bien circonscrite; il est temps pour moi de demander à
mes interlocutrices de me formuler leurs
recommandations. Et là, pour moi, la surprise est
grande !
Pour des questions de prudence et de
précaution, les deux spécialistes me demandent de
changer tous les noms des personnes impliquées au
dossier : médecins, psychologue, avocats et juges. Elles
me demandent aussi de supprimer tous les détails qui
pourraient permettre aux lecteurs les plus curieux de
retrouver les bonnes identités à partir du moteur de
recherche du site internet Jugements.qc.ca qui
répertorie toutes les décisions de justice prononcées au
Québec (dont les deux jugements reproduits dans ce
livre).
En clair, on me demande de transformer
mon ‘’histoire vraie’’ en roman. Je suis complètement
désarçonné !
Mon texte ne tient que parce qu’il est
étayé par des éléments vérifiables. Si je lui retire
tous ces supports, il ne veut plus rien dire; il ne
ressemblera plus qu’à un amoncellement de choses
incroyables, au premier sens du terme, et à ce titre il
n’intéressera personne.
C’est donc dans un grand état de
perplexité que je prends congé de mes interlocutrices,
leur promettant cependant de réfléchir aux
recommandations qu’elles m’ont faites.
Les semaines et les mois passent, je ne
sais trop quoi faire avec mon manuscrit. Peu à peu,
l’idée de le mettre en libre accès sur Internet germe
dans mon esprit. Le besoin que j’ai de le mettre à la
disposition du public surpasse de loin l’attrait de la
perception éventuelle de droits d’auteur. Je n’ai pas
écrit ce livre pour gagner de l’argent, mais bien pour
témoigner de l’histoire d’horreur dont ma fille et moi
avons été victimes. Voilà pour le fond ! Pour la forme,
les choses sont toujours aussi compliquées !
Certains matins, je me lève en me
disant : C’est bon ! Je publie le livre tel qu’il est !
Quelques heures plus tard, je suis envahi par la peur.
J’ai l’impression que si j’agis ainsi, je m’en vais à
« l’abattoir », avec des poursuites au civil à n’en plus
finir, pour atteinte à la réputation ! Les forces qui me
font face sont puissantes, bien organisées, et surtout
beaucoup plus fortunées. Je suis en quelque sorte
victime d’une sorte d’intimidation passive (parce que
non exprimée), une intimidation de simple présence qui
induit, cependant, elle aussi, la peur et donc
l’inaction et la soumission.
Mardi 24 août 2010, tard en soirée
Comme je l’ai fait à maintes et maintes
reprises dans le passé, j’allume mon ordinateur et m’en
vais « surfer » sur le site internet Jugements.qc.ca,
pour prendre connaissance de ce qui est sorti sur le
« marché des jugements », tel un consommateur qui scrute
avec avidité le nouveau catalogue de vente par
correspondance qu’il vient de recevoir par la poste.
Depuis toujours, les dossiers en matière familiale sont
ceux qui ont ma préférence, mais depuis quelque temps,
déjà, les jugements au civil, notamment ceux traitant de
la liberté d’expression aiguisent ma curiosité; et
aujourd’hui, nous avons droit à un « grand cru » !
Mon attention se porte ainsi sur un
jugement rendu le 18 août 2010, par l’Honorable Gilles
Blanchet, juge à la Cour Supérieure. Il s’agit d’un
dossier au civil : Affaire Bui contre Bézeau. Une
justiciable en attaque une autre pour des motifs
allégués d’atteinte à la réputation et à la vie privée.
Bref, du classique !
L’affaire en elle même est banale, mais
les attendus du jugement agissent, en fait, sur moi,
comme une révélation !
Et voici ce que dit l’Honorable Gilles
Blanchet dans le paragraphe 30 de son jugement :
« Dénoncer ce que l’on croit injuste,
à tord ou à raison, c’est exercer l’un des droits les
plus fondamentaux à la base d’une société libre et
démocratique, en l’occurrence le droit à la liberté
d’expression. Or, avec une rare unanimité depuis
l’adoption de la Charte comme partie intégrante de notre
Constitution, la Cour Suprême a insisté sur l’importance
pour les tribunaux d’assurer une protection jalouse de
la liberté d’expression, sur laquelle repose toutes les
assises fondamentales d’une société véritablement
démocratique ».
Plus loin, au paragraphe 33, le même juge
cite son collègue, l’Honorable Juge Cory de la Cour
d’Appel de l’Ontario dans le dossier : Sa Majesté La
Reine contre Kopyto. En référence au ton acrimonieux
des propos reprochés à l’intimé Kopyto, qui avait été
reconnu coupable d’outrage au Tribunal pour avoir
suggéré que la police et les tribunaux n’étaient pas
indépendants les uns des autres, voici ce qu’écrivait le
juge Cory : ‘’La frustration
qu’entraîne les méthodes dépassées donnera souvent lieu
à des plaintes vigoureuses et inappropriées.
Un discours hyperbolique et coloré,
parfois même irrespectueux, peut être la pierre de
touche nécessaire pour stimuler l’intérêt et
l’imagination du public à l’endroit des besoins de
réforme et pour suggérer la façon dont il est possible
de procéder à la réforme.’’
Je n’attendais rien de mieux ! Ces
citations agissent sur moi comme un désinhibiteur. Je
n’ai plus peur ! Je suis même obligé de refréner une
certaine euphorie qui commence à m’envahir !
Ce soir là, les yeux rivés sur mon écran
d’ordinateur, je « veille tard » comme on dit au Québec.
Cette navigation au long court sur internet m’emmène
très vite vers d’autres horizons, entre autres celui
d’une très récente et importante décision de la Cour
Suprême du Canada en date de décembre 2009, concernant
la liberté de la presse. Voici ce qu’écrit le juge
rédacteur du jugement :
‘’Il faut éviter que les poursuites ou
les menaces de poursuites en diffamation servent d’armes
permettant aux riches et aux puissants d’entraver la
diffusion d’information et le débat essentiel à une
société libre.’’
À partir de maintenant tout semble plus
clair pour moi !
Je repense alors aussitôt aux axes de
défenses contre une éventuelle poursuite en diffamation,
tels qu’énoncés dans le Code civil du Québec : Vérité
des faits, intérêt public, non-intention de nuire; et
j’essaye d’apporter une réponse claire à chacun de ces
points.
Vérité des faits : j’ai déjà tout dit sur
le sujet.
Intérêt public : Ce livre est-il
d’intérêt public ?
À mon avis, un seul fait est suffisant
pour qu’il soit considéré ainsi. Pas moins de 11 juges
ont mis leur nez dans cette histoire ! Certains de près
en prononçant un jugement, d’autre d’un peu plus loin en
rédigeant un acte de procédure. Il s’agit donc
clairement d’une histoire de justice; et par essence la
justice est d’intérêt public.
En France, on a l’habitude de dire que la
justice est rendue au nom du peuple français; ici, au
Québec et au Canada, il n’y aurait donc rien de choquant
de dire, étant donné qu’il s’agit aussi de sociétés
libres et démocratiques, que la justice est rendue au
nom des peuples québécois et canadiens ! Mais encore
faudrait-il que les citoyens sachent ce qui se passe
dans les tribunaux !
Dans la littérature juridique française,
j’ai trouvé cette belle phrase :
‘’La justice est publique. Ce
principe, consacré par la Convention européenne des
droits de l’homme et des libertés fondamentales, inséré
dans le Code de procédure français, permet à tout
citoyen de vérifier dans quelles conditions les
décisions de justice sont rendues.’’
Ce principe est valable aussi au Québec
et dans les autres provinces canadiennes, mais tout
comme en France, il y a une exception à la règle : les
dossiers en matière familiale ! Le huis clos est alors
imposé pour protéger l’identité des enfants et des
parents pour leur procédure de divorce. Sur le principe,
rien à dire ! Dans les faits, il ne faudrait pas que le
huis clos serve à cacher au public les bêtises faites et
les fautes commises par des personnes participant aux
procès, dans leur gestion du dossier et durant leurs
prestations aux audiences de la Cour. Il en est de même
pour certains règlements d’ordre administratif et
certaines dispositions législatives qui, s’ils étaient
connus ou mieux connus des citoyens, en feraient bondir
plus d’un !
Parlons maintenant du dernier point à
analyser : La non-intention de nuire.
Je vais aborder ce thème en le prenant en
sens inverse. Prenons l’hypothèse selon laquelle je ne
veuille nuire à personne, même de façon non
intentionnelle ! Mon droit à la liberté d’expression et
sa déclinaison mon droit de revendiquer pourraient-ils
s’exercer ? Clairement, non ! Revendiquer, c’est
demander la modification d’un ordre établi, qui convient
à certaines personnes. Demander et obtenir des
changements, c’est changer le point d’équilibre et donc
frustrer voir nuire à ces personnes qui s’accommodaient
fort bien du système précédant et qui maintenant y
retrouvent un peu moins leur compte ! S’exprimer, c’est
aussi potentiellement dénoncer une personne pour son
comportement que l’on juge critiquable, voire même
répréhensible; il y a donc, forcément, là aussi, une
forme de nuisance.
Tout le monde connaît l’expression : ‘’On
ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs’’. En écrivant
ce livre, j’ai cassé un certain nombre d’œufs,
suffisamment pour confectionner une belle omelette et
rassasier le plus de lecteurs possible, mais je n’ai pas
cassé toute la production de la ferme avicole !
En fait, ma démarche d’écriture se
rapproche beaucoup de celle des journalistes
d’investigation et de grands reportages : rapporter des
faits, les analyser et amener le public à réagir.
C’est là que la forme intervient ! Je le
confesse bien volontiers, en rédigeant mon livre, j’ai,
à l’occasion, manié l’ironie et le sarcasme. Parler de
ton acrimonieux serait correct. Est-ce acceptable aux
yeux de la loi ? Nous avons vu précédemment que oui, si
c’est fait dans le but de « secouer le cocotier », pour
amorcer des prises de conscience, pour initier des
changements, et faire avancer les choses. Tel était mon
but !
Pour employer encore une fois une
métaphore, je dirais que la rédaction de ce livre relève
d’un processus vaccinal !
Rappelons le principe : Pour immuniser
une personne contre une maladie infectieuse, le médecin
lui injecte une solution contenant les germes atténués
d’une maladie afin que son système immunitaire sécrète
des anticorps qui eux seront plus tard capable de lutter
contre l’infection, si elle se présente. À l’image de ce
procédé, j’ai raconté cette histoire, que l’on peut
qualifier d’horreur, en utilisant à l’occasion un style
corrosif, pour éclairer le public sur ce qui se passe
parfois dans nos tribunaux en matière familiale et le
faire réagir. Le but ultime étant que plus jamais une
petite fille et son papa n’aient à subir un tel enfer !
Pour finir, j’aimerais citer la devise
que j’ai désormais faite mienne, celle du Canard
Enchaîné, célèbre hebdomadaire satirique français et
pilier de la vie démocratique du pays qui a vu naître
Voltaire : ‘’La liberté
d’expression ne s’use que si on ne s’en sert pas !’’
Voilà, le temps est venu pour moi de
passer à l’action et d’aller de l’avant. Mais,
malheureusement pour moi, je ne peux y aller seul ! Mes
proches semblent toujours aussi inquiets. Même s’ils ne
s’expriment pas avec des mots, leurs visages parlent
pour eux et semblent me dire : « Ne fais pas cela ! ».
L’éditeur, avec qui je suis en contact, est aussi sur la
même longueur d’onde; je sais qu’il ne me suivra pas si
je ne suis pas les recommandations de mes avocates.
Alors oui ! Je cède. Je n’ai pas le
choix ! Dans ce livre, donc, amis lecteurs, tous les
noms propres qui apparaîtront seront des noms de
substitution; les numéros de dossier à l’entête des
jugements reproduits seront quant à eux biffés.
Bonne lecture ! Et rappelez-vous une
chose : tout est vrai !
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