Chapitre 1
Aux confins
de l'univers
« Dans une heure ou
deux, songea Joseph, je serai parti d'ici. Et, cette station avancée, dernière
de son étonnante lignée, sera définitivement fermée. On peut dire que cela
marque la fin d'une époque! »
Joseph était allongé
sur le sol sablonneux de son astéroïde. Protégé du froid et du vide par sa
combinaison étanche, il contemplait le ciel qui, dans cette partie de l'univers,
était exclusivement nocturne. Cette obscurité quasi totale venait du fait qu'il
n'y avait aucun soleil à proximité de l'astéroïde, ce rocher cosmique étant
situé très loin en bordure de la galaxie. De plus, la base où logeait Joseph
était érigée sur la face de l'astéroïde donnant en permanence sur l'extérieur de
la galaxie. Donc, à moins de se rendre sur l'autre hémisphère, ce que Joseph
n'avait fait que deux fois en quatre ans, il ne pouvait apercevoir la familière
traînée de poudre formant le bras extérieur de sa propre galaxie : la Voie
lactée.
Mais peu lui
importait de ne pas voir les étoiles les plus proches, car Joseph préférait de
beaucoup admirer les étoiles des mondes extérieurs. Le spectacle était d'autant
plus fascinant qu'il était presque immuable. La configuration stellaire visible
depuis ce point demeurait pratiquement toujours la même et ce phénomène n’était
pas fortuit. Cet astéroïde avait été spécialement désigné pour loger la station
de surveillance, car il conservait un angle fixe par rapport aux étoiles
extérieures. Cette absence de rotation et de translation expliquait pourquoi le
firmament visible depuis n'importe quel point sur la surface était toujours
pareil, les étoiles restant figées dans leur position respective comme si elles
avaient gelé dans un ciel subitement refroidi.
Il fallait être un
contemplatif ou un rêveur pour occuper un poste comme celui de Joseph, loin de
tout, isolé, avec pour seul compagnon, l'ordinateur de la base. Joseph était
chargé de surveiller le pourtour de la galaxie. Il était donc gardien! Et juste
de se trouver là, à la limite extrême de la seule galaxie explorée par l'Homme,
donc à l'un des points les plus reculés du centre des planètes colonisées,
Joseph avait l'impression d'occuper une position privilégiée. Il pouvait se dire
que, d'une certaine façon, juché bien haut sur son minuscule astéroïde, il
dominait l'immensité de l'univers connu.
Le jeune homme porta
son regard vers la station de surveillance qui lui servait à la fois de lieu de
travail et de demeure. Cette station, une demi-sphère parfaitement transparente,
était surmontée d’une gigantesque coupole radar pointée en permanence vers le
cosmos. Lorsqu'on se trouvait à l'intérieur, la large antenne masquait une
grande partie du ciel. C'est pourquoi Joseph préférait contempler l’espace
depuis l'extérieur.
Chaque fois qu'il en
avait l'occasion, Joseph exécutait le même rituel. Il extirpait d’abord sa
combinaison du désinfecteur à radiations. Il en inspectait soigneusement tous
les joints et toutes les articulations, puis il polissait parfaitement la glace
garnissant le casque. Bien que ce fût l'opération la moins critique, c'était
pourtant celle à laquelle il consacrait le plus de temps, car il tenait à ce que
sa vision des étoiles soit parfaite. Ensuite, Joseph enfilait le scaphandre
avant de traverser le sas pour aller s'étendre dehors, dans ce sable fin et
rougeâtre qui recouvrait tout l'astéroïde. Son scaphandre d’ultraplastique,
léger et confortable, était équipé de régénérateurs d'air automatiques ainsi que
d'une bonne réserve d'eau. Joseph pouvait y demeurer pendant des heures sans
jamais avoir à rentrer à la base. Il s'y sentait parfaitement à l'abri, telle
une larve nichée dans un merveilleux et quasi indestructible cocon. La radio
intégrée au casque maintenait un contact permanent avec l'ordinateur de la base
qui avertissait Joseph durant les séquences de balayage radio ou lors des
passages épisodiques du caboteur stellaire, ce mini transporteur spatial qui
ramenait Joseph vers le centre de la galaxie deux fois par années.
La station de
surveillance de Joseph, comme des milliers d'autres pareilles, avait été
construite deux siècles plus tôt, afin de scruter en permanence les étoiles des
galaxies lointaines : ces mondes tellement reculés qu'ils demeuraient toujours
parfaitement inaccessibles aux humains ainsi qu’à leurs astronefs. Les savants
du siècle précédent avaient déterminé que les seuls dangers possibles ne
pouvaient provenir que de ces univers distants que l'humanité n'avait pas encore
explorés.
Joseph se
réjouissait de son départ imminent. Cela le poussait à réfléchir à l'absurdité
de sa situation.
« Quelle folie,
pensa-t-il, les yeux rivés sur une étoile pâlotte, que de venir installer tout
cet équipement coûteux jusqu'ici, en bordure de la galaxie! L'humanité n'en
finira donc jamais avec ses peurs puériles? Comme si les Spectres galactiques
pouvaient encore revenir aujourd'hui, plus de deux cents ans après la fin de la
guerre! »
Les Spectres
galactiques étaient le nom qu'il fallait obligatoirement utiliser pour décrire
ces menaces ancestrales pouvant surgir du cosmos. Joseph s’inventa quelques
terrifiants dangers, issus d'un lointain passé, et qui reviendraient maintenant
dans le but d'anéantir les humains d'une atroce et épouvantable façon. Il
imagina une abomination technologique ayant épousé la forme d'un dragon immortel
qui provoquerait d'irréversibles cataclysmes partout où il passerait. Ensuite,
Joseph entrevit un puissant rayon désintégrant capable de découper tous les
êtres vivants de la galaxie en milliard de petits morceaux, et, pour finir, il
rêva d’un poison tellement puissant qu'il suffirait d'en évaporer une goutte
dans l'atmosphère d'une planète pour tuer tout ce qui vit à sa surface.
« La mort sera
bientôt ici, déclara péremptoirement Joseph. Ce sera un magma fabriqué d'énergie
pure. Nous l'appellerons : le Spectre lumineux des anciens moultrons. Il va
pointer son nez à l'horizon en inondant les canaux tridis de messages menaçants.
Il clamera haut et fort : sus à vous, les humains! C'est moi, votre antique
cauchemar moultron. Je suis une horrible menace, conçue par vos invincibles
ennemis et qui parcourt l'univers à la poursuite de ma cible. Je sais bien que
depuis le temps où on m'a lancé, vous vous êtes sûrement rabibochés avec mon
peuple. Mais je n'étais pas programmé pour prévoir une chose aussi absurde que
la fin de la guerre. Et puis... On ne sait jamais. Les humains sont tellement
fourbes qu'il pourrait bien s'agir d'une fausse fin de la guerre.
Et si je voyage pendant suffisamment longtemps, je risque de vous retrouver
encore en guerre avec quelqu'un d'autre ou bien encore avec vous-mêmes. C'est
pourquoi je maintiens le cap! Alors, tenez bien vos chaudrons, car ça va
brasser : j'arrive, et je pique droit sur vous! »
Joseph frissonna de
plaisir. Bien sûr, après des centaines d'années sans n’avoir jamais détecté le
moindre danger cosmique, les stations et surtout leurs gardiens, s'étaient
grandement ramollis. Et qui plus est, depuis quelques années, les stations
elles-mêmes n'avaient plus d'équipement d'interception digne de ce nom. Elles ne
comportaient plus que de l'équipement de détection, les intercepteurs étant
devenus beaucoup trop chers à entretenir. De plus, au fil des ans, le nombre de
stations en service avait continuellement diminué jusqu'à ce qu'il n'en reste
plus qu'une seule encore active : celle où travaillait Joseph. Et, dans quelques
heures, la sienne serait également fermée, mettant ainsi un terme définitif aux
procédures extraordinaires d'après-guerre.
Joseph ramena les
yeux en l'air afin d'observer à nouveau ce ciel noir et glacial parsemé de ses
quelques étoiles blafardes. Ces dernières luisaient toutes tellement faiblement
qu'on aurait pu croire qu'elles n'étaient qu'une illusion engendrée par un
cerveau désirant ardemment les voir apparaître là, plantées dans la voûte
céleste si sombre. Pourtant, Joseph savait qu'elles existaient même si elles ne
paraissaient être que le fruit de minuscules perforations laissant traverser
quelques lumières de l'au-delà à travers ce velours obscur et impénétrable de
vide cosmique qui enveloppait le rebord de la galaxie.
Joseph prit
soudainement conscience qu'il avait pratiquement passé les quatre dernières
années à ne rien faire. Il avait observé les étoiles, surveillé la tridi et
visionné quelques archives de la bibliothèque galactique en se servant de
l'ordinateur de la base qui, par le lien radio hyperondes, avait accès à un
vaste réseau d'informations, stockées un peu partout dans la galaxie.
Un de ses sujets de
recherche préférés était le caboteur stellaire. Il se rappelait avoir
visionné quelques enregistrements qui traitaient de ce sujet.
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