Avant-propos
Il y a quelques
années, alors que je me
promenais avec mon petit-fils, Maxim, sur la route du Portage de
l’Anse-au-Griffon, lieu de mon enfance, celui-ci me posa la
question suivante : « Grand-père, pourquoi n‘écris-tu
pas ce
que tu m‘as raconté au sujet de ton enfance, sur cette route du
Portage et de la guerre que tu as vécue en Europe?... »
Cette question inattendue était probablement aussi une
suggestion. J’ai réfléchi un instant et lui ai répondu que
j’allais y penser. La question de Maxim ressemblait à ce
conseil, souvent déguisé sous forme de question, que m’avaient
aussi donné des parents, des amis et même des gens des médias
qui avaient entendu parler de mon parcours de vie.
Je dois préciser
que la route du Portage
de l’Anse-au-Griffon traverse, en son centre, l’actuel parc
national Forillon.
Étant à ma
retraite depuis quelques
années, j’avais moins de raisons de me défiler. Donc, par amour
pour mon petit-fils, Maxim, et aussi par considération pour ceux
qui connaissent mon intérêt pour la connaissance de notre passé,
j‘ai décidé de leur faire partager ces tranches de ma vie
désormais en allées. Pour ce faire, j’ai dû enlever beaucoup de
ces feuilles d’automne tombées sur ma route depuis.
Tout en parcourant
cette route où j‘avais
fait mes premiers pas d’écolier, plus de 70 ans auparavant, je
me demandais combien de feuilles étaient tombées depuis ce
temps, sur la route du Portage de mon enfance et sur mes
souvenirs. Je vous demande donc d’être indulgent pour celui qui
a dû enlever tant de feuilles tombées sur ses souvenirs.
En relisant de
vieux documents et de
vieilles lettres pour m’aider à écrire ce manuscrit, en
fouillant dans de vieux tiroirs et en regardant des photos d’une
autre époque, lentement j’ai glissé dans le passé comme dans une
autre vie. Alors, j’ai pleinement réalisé que cette autre vie,
je devais la partager avec Maxim et avec vous tous.
Au fur et à mesure
que je plongeais dans
mes souvenirs et que j‘avançais sur cette route, je revivais des
moments heureux, mais aussi, vous l’aurez sans doute deviné, de
grands moments de tristesse.
Même si ma vie fut
parsemée d’événements
assez spectaculaires, je ne voudrais pas laisser ici
l’impression qu’elle ne fut qu’une longue suite de malheurs et
d’épreuves. Au contraire, de longues périodes se sont écoulées
sans histoires. J’étais animé d’une envie folle de vouloir
changer le monde et j’en ai souvent payé le prix.
Je veux surtout
faire savoir à ceux qui
n’ont pas connu la vie du début du siècle passé, comment des
gens ont traversé les événements et surmonté la misère, tout en
améliorant la société. Pour ceux qui se demandent ce qu’était la
guerre, pour ceux qui y sont morts et pour ceux qui, tout comme
moi, en sont revenus, j’essaie de leur rendre témoignage. Pour
plusieurs parents et amis qui savent que j’ai été l’un des
derniers, d’une certaine époque, à avoir connu la drave, les
camps en bois rond des bûcherons de l’île d’Anticosti, de Gaspé
et de la Côte-Nord, c’est avec plaisir que je vais essayer de
leur raconter comment j’ai vécu cela.
En terminant, je
vous parlerai de mon
retour aux études à 45 ans, pour devenir ensuite enseignant dans
une polyvalente. Je vous raconterai aussi ma vie de
syndicaliste, ce qui m’a amené, à un certain moment, à fonder un
syndicat, qui existe toujours, d’ailleurs.
Si, après avoir lu
La route de mes
souvenirs, vous en connaissez un peu plus sur ceux qui ont
marché en ces lieux avant vous et si vous en savez un peu plus
sur les luttes qu’ils ont menées et les sacrifices qu’ils ont dû
faire pour rendre notre société meilleure, alors ce document
aura atteint le but visé.
Si j’ai tardé
avant d’écrire l’histoire de
ma vie, c’était pour prendre plus de recul et avoir une
meilleure objectivité. Je souhaite que Maxim et tous ceux qui
liront ces pages aient autant de plaisir et de satisfaction que
j’ai mis d’efforts à me souvenir et d’amour à les écrire.
Charles M.
Bouchard
Mes origines
Mon intention ici n’est pas de faire
la généalogie de ma
famille au complet, mais plutôt de situer mes origines pour
mieux vous faire comprendre la profondeur de mes racines en sol
québécois.
Du côté paternel, mes origines remontent jusqu’en France. En
effet, Nicolas Bouchard quitta son village natal
d’Andilly-les-Marais,
près de La Rochelle, en 1657. D’ailleurs, je possède une
photocopie de son engagement ou de servitude, comme on disait à
l’époque, pour une durée de trois ans en Nouvelle-France. Après
l’expiration de son contrat, Nicolas Bouchard se maria à Anne
LeRoy et s’installa sur une terre à
Petite-Rivière-Saint-François sur la Côte-de-Beaupré.
Quelques années plus tard, Nicolas Bouchard traversa le fleuve
et s’installa à Cap-Saint-Ignace.
Son fils, Pierre, qui avait épousé Catherine Fournier,
s’installa à Saint-Thomas de Montmagny, d’où partit mon
grand-père, Télesphore, pour venir faire la pêche avec son père,
Louis, et demeurer définitivement à Cloridorme, en Gaspésie.
C’est à cet endroit que mon père et moi sommes nés. C’est de
Cloridorme également que mon père partit avec sa femme et ses
trois enfants pour venir demeurer sur la ferme Morin, au centre
de ce qui devait devenir le parc national Forillon.
Nous sommes arrivés en 1927 sur cette grande ferme abandonnée.
Isolée au milieu des montagnes à environ trois kilomètres du
plus proche voisin, cette grande ferme n’avait rien pour attirer
les cœurs fragiles de ceux qui n’avaient pas du sang de
pionnier. C’est aussi de !à qu’est venu nous re-joindre, à l’été
1928, mon grand-père Bouchard, dont il sera question dans le
prochain chapitre.
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