INTRODUCTION
Radagorn Sky. Ce personnage fut une grande figure mythologique des
anciennes peuplades escalaïaennes qui résidaient dans toutes les régions
nordiques du vieux continent occidental. Ce nom est aussi rattaché à l’une
des plus puissantes et très anciennes familles de la Sommarïe, qui a laissé
sa trace à travers l’histoire de notre pays. Nous vous présentons ici la
traduction d’un manuscrit qui semble avoir été écrit par la main même de ce
lointain héros mythique, dont la mémoire s’est perpétuée jusqu’à nous par
les légendes et les contes oraux qui ont survécu aux persécutions des
religions monothéistes. Un souvenir qui s’immortalise aussi à travers
l’histoire et les exploits des descendants de cette illustre famille.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire des anciennes familles
sommarïennes, il faut savoir que depuis des générations, le prénom de
Radagorn est utilisé par la même famille. La famille Sky. En fait, depuis
les débuts de l’utilisation de l’écriture par les Ikarossiens, qui furent en
contact avec les peuplades nordiques, on rapporte le nom d’un chef de tribu
à la tête de la Sommarïe appelé Radagorn Sky. Ce prénom fut transmis de
génération en génération aux dirigeants de la famille Sky et ce, jusqu’à nos
jours. Comme exemple, je citerais que le fondateur de notre université de
Sommarïe fut un Radagorn Sky. De plus, à la tête du département
d’archéologie, d’histoire, d’anthropologie et de géographie se trouve le
représentant de cette vieille famille qui écrit maintenant ces ouvrages en
prenant place sur une chaise plutôt que sur le sol, comme son lointain
ancêtre.
Le manuscrit, présenté dans cet ouvrage, était entre les mains de la famille
Sky depuis plusieurs générations. Très probablement depuis le jour où il fut
écrit. Cela fait plusieurs années déjà que les suppositions portant sur le
contenu ancestral de la bibliothèque privée de la famille Sky circulent. Les
religions monothéismes voulurent, et ce, à plusieurs reprises dans
l’histoire, mettre la main sur cette légendaire bibliothèque, mais la
famille Sky la garda précieusement et habilement hors de portée de
quiconque. Elle la protégea ainsi de toute tentative de destruction, surtout
durant la période de la grande Inquisition et des grandes guerres. Le
professeur Sky, celui qui enseigne actuellement à notre université, jugea
qu’il était temps pour le monde extérieur de consulter ces ouvrages
antiques. Ces documents ne peuvent, cependant, être consultés qu’un seul à
la fois, chacun d’eux accompagnés des mêmes exigences; une reproduction
fidèle du document d’origine, sa copie et distribution pour les cercles
universitaires et, si possible, leur publication pour les rendre plus
accessibles au public. C’est donc ainsi, il y a vingt-cinq ans, que le plus
ancien manuscrit écrit par un Escalaïaen tomba entre les mains de la
communauté scientifique.
L’une des conditions qui furent imposées et qui accompagnaient ce prêt était
qu’une fois la traduction achevée, le texte devait être mis en publication.
Cependant, le manuscrit publié à l’état brut ne pouvant être compris par les
personnes n’étant pas familiarisées avec le sujet, il fut alors entendu de
le confier à l’étude de différents départements de l’Université de Sommarïe
pour commenter et expliquer certaines parties du récit. Les départements
impliqués furent ceux d’archéologie, d’histoire, d’ethnologie, de géographie
ainsi que le département de la magie et de l’occultisme. Les notes de ce
dernier département n’ont pu être placées dans le présent ouvrage, l’étude
du texte n’ayant pu être terminée dans les délais prévus pour la
publication. Nous espérons nous reprendre lors d’une seconde publication.
Étant donné l’ancienneté du manuscrit, écrit sur papyrus, et sa grande
fragilité, une reproduction fidèle du texte fut demandée pour éviter toute
consultation du document original, même si cela s’avéra parfois nécessaire
durant la lourde tâche de traduction qui s’ensuivit. Cependant, avant toute
transposition du texte, une authentification du manuscrit fut effectuée. Des
analyses et des tests furent faits sur des fragments prélevés du manuscrit
et sur l’encre utilisée. Le document fut ainsi daté de plus de 1600 ans
avant notre ère, soit au tout début de l’utilisation de l’écriture par les
Cryptoyens. L’écriture cryptoyenne fut d’ailleurs employée pour la
transcription d’origine de ce manuscrit, mais dans une langue différente du
Cryptoyen. Cette utilisation permit donc d’appuyer la thèse de la structure
phonétique de cette écriture à l’époque. La structure de l’écriture
cryptoyenne a subi quelques modifications d’adaptation par l’auteur lui-même
et qu’il mentionne dans ledit manuscrit.
Le travail de traduction fut donc gigantesque. Il fallut reprendre la base
même de l’étude de l’écriture cryptoyenne, puis faire des comparaisons avec
son utilisation par les Ikarossiens. Ensuite, il fut essentiel de
décortiquer les études existantes sur l’évolution de cette écriture jusqu’à
ce que les Ikarossiens inventent leur propre système calligraphique et
qu’ils puissent ainsi trouver des corrélations phonétiques et significatives
avec le premier style d’écriture. Une difficile et longue reconstitution
linguistique de la langue escalaïaenne s’ensuivit à partir des textes
historiques ikarossiens et glemmois. Les départements d’archéologie,
d’histoire et d’ethnologie de plusieurs universités à travers le monde
furent approchés pour collaborer à ce travail. La plus grande source d’aide
vint du professeur Radagorn Sky, une autorité mondiale en matière
d’ethnolinguistique historique et ancienne. Le travail de traduction dura
quinze ans. La plus longue partie du travail fut la retranscription totale
du manuscrit dans sa langue d’origine, en escalaïaen sommarïen. Il faut
savoir que l’écriture cryptoyenne est un système alphabétique consonantique
reposant sur l’association de signes, exprimant des idées ou des sons, par
des rébus. Les sons obtenus par ce système sont des consonnes sans voyelle
associée. Le travail fut ardu, mais le résultat se rapprocha de manière
convenable à cette langue disparue. De futures recherches permettront,
espérons-le, d’améliorer ce résultat. La définition et la signification de
plusieurs mots laissent place à plusieurs explications et suppositions. Les
plus acceptées de toutes sont présentées dans les notes à la fin de cet
ouvrage.
Grandes furent les disputes entourant la prononciation des noms propres
cités dans le manuscrit. Nous nous sommes basés sur le nom de l’auteur,
Radagorn Sky, pour en traduire certains dans la langue d’origine, en
supposant que ces noms n’aient pas changé jusqu’à ce que les textes
ikarossiens ne les immortalisent. Pour les noms de certains lieux et
quelques autres, n’employant pas les mêmes combinaisons de signes que ceux
déjà connus, la découverte de leur prononciation ne fut pas aisée et donna
lieu à de violents débats entre chercheurs. Je me souviens d’une dispute qui
fut particulièrement intense, peut-être même la plus significative qu’ils
aient eue et qui impliqua le professeur Radagorn Sky. La dispute portait sur
la prononciation des noms de la compagne et des enfants de l’auteur ainsi
que sur celui du nom de son maître d’armes, le légendaire Rorknë.
La structure du texte laisse clairement transparaître que l’auteur ne fut
pas en contact avec les Cryptoyens lors de son apprentissage de cette
écriture, mais bien avec les Ikarossiens. La structure du texte, comme vous
le constaterez lors de votre lecture, est construite à la manière d’un texte
ikarossien, sans vraiment respecter ses règles strictes. Les paragraphes ne
sont pas construits pour être récités oralement et individuellement, mais
ils doivent être lus, dans leur ensemble à un auditoire. À cette époque,
nous ne trouvons aucune trace d’écriture ikarossienne, mais la transmission
du savoir oral devait déjà se faire. L’auteur a appris l’écriture
cryptoyenne par les Ikarossiens; il n’est donc pas étonnant de constater
qu’il ait adopté ce style de structure de texte. Celui-ci n’est quand même
pas parfaitement conforme au style ikarossien, car certaines parties du
manuscrit ne peuvent être comprises sans la présence des autres.
D’autres points du manuscrit le rapprochent du style d’écriture ikarossien.
L’auteur fait beaucoup de descriptions géographiques des lieux qu’il visite.
Il décrit aussi beaucoup les coutumes des peuples avec lesquels il entre en
contact en abordant un peu le sujet de leur contexte politique et social,
des points typiques que l’on retrouvera plus tard dans des textes
historiques ikarossiens. Le manuscrit n’en demeure pas moins une épopée
épique et mythique de son auteur. Sur ce point, il s’éloigne beaucoup des
textes ikarossiens, car aucun héros n’avait auparavant écrit sa propre
histoire.
Le présent manuscrit a été divisé en trois parties, trois livres. Chacune de
ces parties semble correspondre à des périodes de rédactions séparées l’une
de l’autre par plusieurs années où l’auteur a trouvé le temps, ou a jugé bon
de mettre par écrit ses mémoires.
Le premier livre fut celui qui a été le plus étudié par les historiens et
archéologues. L’auteur traite de l’histoire de la Sommarïe, des coutumes de
son peuple, des conflits antérieurs, de la situation politique et économique
de la Sommarïe avant, pendant et après le développement du commerce. Nous
avons ici une description du développement commercial de la Sommarïe avant
qu’elle ne s’impose comme plaque tournante du commerce entre les peuples
bordant la mer d’Enlil et ceux du nord et de l’ouest de l’intérieur du
continent. Ce témoignage est d’autant plus précieux que ce développement
commercial est attribuable à l’auteur même de ce manuscrit, comme viennent
l’appuyer les écrits historiques ikarossiens, glemmois et cryptoyens. Ici,
nous avons les commentaires de celui qui transforma une terre de roches
volcaniques, rude et peu hospitalière en une plaque tournante économique
pour le commerce le plus prospère que le monde n’ait connu et qui le
restera, jusqu’à aujourd’hui.
Le second livre est beaucoup moins instructif, car le récit devient plus
mythique. L’auteur y devient la légende que la mythologie escalaïaenne nous
a transmise. Cette seconde partie est encore à l’étude au département de
magies et d’occultistes. Elle traite de l’ascension vers l’immortalité de
l’auteur. Il est clair qu’il faut y voir un récit mythologique que l’auteur
rapporte avoir vécu, mais sans le vivre réellement, mais tout en ayant quand
même effectué le pèlerinage qui lui est associé. C’est la première fois que
nous retrouvons un texte écrit à la première personne traitant d’une épopée
mythologique pour une époque aussi reculée. Le vampirisme de Radagorn
représente l’immortalité acquise d’un héros qui peut faire une apparition
dans n’importe quelle époque, à travers les âges, justifiant la transmission
du prénom de génération en génération pour perpétuer ce mythe. Cependant,
cette immortalité ne semble pas voulue par l’auteur, car elle le relègue au
niveau d’une créature au service du mal. Ensuite, sa rencontre avec la
déesse de la terre, Maïart, qui lui confie la mission de veiller sur la
Sommarïe, justifie son acceptation à redevenir un homme, à sortir de la
noirceur et à devenir le héros mythique immortel. Il ne deviendra ce
surhomme qu’après l’accomplissement d’une quête périlleuse qui lui fera
quitter les ombres.
Le troisième livre porte sur sa première tâche de protecteur et défenseur de
la Sommarïe, en écrasant l’armée engliroise qui préparait l’envahissement de
son pays. Cet événement fut probablement à l’origine de la disparition de la
culture engliroise par les Escalaïaens, car à la fin du récit, l’auteur
laisse entendre qu’il compte entreprendre une expédition punitive contre les
Englirois. Les écrits ikarossiens viennent corroborer ce fait en parlant de
l’existence d’un peuple, du nom d’Englirois, rassemblé à l’ouest de la
Sommarïe et qui fut exterminé par les tribus escalaïaennes. Les vestiges
archéologiques retrouvés dans cette région prouvent d’ailleurs l’existence
d’une culture qui se différenciait de la culture escalaïaenne, mais qui
disparut de manière très abrupte pour être remplacée par les vestiges de la
culture escalaïaenne.
Le manuscrit, dans son entier, doit être lu de manière critique. Tant que le
département de magie et d’occultisme n’aura pas fini de l’étudier, il ne
faudra pas tenir pour acquis tous les événements spirituels qui y sont
rapportés. Dans ce manuscrit, le mythique et le réel ne font qu’un,
exactement comme les gens de l’époque le percevaient. Cependant, les données
ethno historiques qu’ils renferment sont uniques. Par exemple, nous pouvons
citer la description de cérémonies religieuses escalaïaennes, les seules que
nous avons en notre possession. La participation directe de l’auteur à ces
événements et surtout, le fait qu’il fut lui-même Escalaïaen, nous privèrent
de certains détails utiles. Dans cette situation, en tant qu’Escalaïaen
écrivant un texte pour son peuple, il tint pour acquis que ses lecteurs
connaîtraient forcément les légendes et coutumes auxquelles il fait parfois
allusion. Il ne s’aventura donc pas à développer ces aspects, nous laissant
avec des lacunes dans les renseignements qu’il nous fournit. C’est à nous
d’aller chercher ailleurs.
Cela n’enlève rien à l’importance de ce manuscrit où nous pouvons apprendre
à comprendre ce peuple disparu. N’importe quel lecteur pourra apprécier ce
récit de vie où le mythe se mélange à la réalité. Il suffit de faire preuve
d’ouverture d’esprit pour les non-initiés et faire preuve de sens critique
pour les initiés. Pour ceux qui veulent consulter des ouvrages analysant le
manuscrit de Radagorn Sky, ils devront faire preuve d’un peu de patience,
car le texte fut envoyé pour publication dès que le volumineux travail de
traduction et de commentaire fut achevé. Les études poussées n’ont pas
encore été réalisées et, tel que mentionné plus haut, l’étude sommaire du
département de la magie et de l’occultisme n’était pas encore disponible
pour la présente publication. Il est possible que d’autres publications
suivent avec quelques changements. L’étude et la traduction de cette
première parution ne sont pas tout à fait terminées; de nouvelles pierres
peuvent toujours se rajouter à notre travail. J’espère que vous apprécierez
cet ouvrage qui vous présente l’un des plus anciens manuscrits du monde
occidental connu jusqu’à ce jour et en lequel tant de personnes ont apporté
leurs contributions. Nous vous souhaitons à tous une bonne lecture.
Professeur Danïella Labree,
Département d’Histoire,
Université de Sommarïe.