Extrait de l'introduction
Sans que nous y prenions garde, la
transgression du tabou de l’inceste et la pédocriminalité se
généralisent de manière ophidienne. Crimes souvent trop facilement
attribués au quart-monde de nos sociétés. Il se découvre chaque jour
davantage qu’il s’agit d’un mal bien plus global, étendu et
numériquement important. Dissocier les procès retentissants – Outreau,
Angers – du tourisme sexuel, c’est ignorer que des réseaux anciens
s’organisent autour de rituels macabres où des enfants et des jeunes
femmes sont sacrifiés pour le plaisir pervers de quelques individus –
hommes et femmes – appartenant à des professions au-dessus de tout
soupçon.
Faire de ces procès des événements
d’exception est une affaire de presse et les appels à l’émotion du
public masquent une réalité que nous, citoyens des démocraties modernes,
ne voulons pas affronter sous différents prétextes qu’il s’agirait de
repérer afin de mieux comprendre comment cette « épidémie » se
développe.
Ailleurs, dans des pavillons cossus, des
enfants, de plus en plus souvent en bas âge, subissent en silence les
assauts d’un père ou d’un beau-père, parfois d’un oncle ou d’un « ami de
la famille » – un monsieur si bien ! Ce n’est que quand les faits sont
établis, enfin, que l’horreur se répand dans les rues si calmes de nos
zones pavillonnaires comme un flot de boue, s’abattant là comme une
catastrophe imprévue… Les médias dénoncent et, le temps d’une autre
catastrophe, tout rentre dans l’ordre ; les commissions parlementaires
et autres instances d’enquête étant là pour ponctuer le silence.[i]
Il semble que ce silence cherche à masquer quelque monstruosité qu’il
n’est pas bon de mettre en exergue. Les médias distillent ces nouvelles
comme autant d’étoiles sombres d’un ciel qui n’existe pas, sinon dans
les fantasmes de ceux qui se battent pour la défense de ces innocents ou
de ceux qui parlent de vastes réseaux fort bien organisés, en Europe, en
Russie, aux USA…
Non, la rumeur, largement alimentée par la folie
émotionnelle des reportages, ne nous parle que de faits isolés, des
lambeaux de déchéance de nos sociétés, un mal avec lequel il nous faut
accepter de vivre. Une pollution psychique pour laquelle nous pourrions
éventuellement songer à des États Généraux, mais plus tard...
Le Mal a toujours existé et, soyons réalistes, il
existera toujours, dit-on pour se dédouaner de toute forme
d’implication, voire d’une simple curiosité offensée.
Tout dépend de l’espace que l’on offre à la peste noire
de la pédocriminalité pour propager son fléau. Tout dépend également de
la limite que nous imposons au Mal. De ce point de vue, nos sociétés
bien pensantes et polies par le vernis d’un hégémonisme planétaire
parviennent à un point de leur histoire où il s’avère important de
rendre des comptes et que nous fassions, tous, le point sur la limite
que nous imposons à la démesure.
Cet opuscule a pris naissance au confluent de deux
expériences. Durant de nombreuses années, comme éducateur spécialisé
puis comme psychologue clinicien j’ai pu recueillir le signalement de
nombreux cas d’inceste avérés contre lesquels nous ne pouvions rien. Au
fin fond de l’Aveyron, dans la campagne angevine ou dans les banlieues
parisiennes, cette transgression, connue de tous, devait passer
inaperçue. La signaler pouvait avoir comme conséquence d’être licencié
pour faute professionnelle. Il s’agissait d’inceste de l’indigence
financière et psychologique. Une pauvre fille – le plus souvent –
servait de « paillasse » aux frères, au père, voire à d’autres, oncle,
neveux, etc. Novice en ce territoire hexagonal, je ne parvenais pas à
comprendre cette tolérance qui s’affichait volontiers comme une sorte de
pitié, de commisération pour de pauvres primitifs auxquels les autres
auraient accordé le droit à des mœurs particulièrement bestiales. Comme
si l’unité d’une commune villageoise se satisfaisait de ces
représentations contrôlées du Mal. On y sacrifiait une jeune femme, mais
les autres pouvaient vivre en paix. Le Mal étant bien circonscrit…
J’ai pu voir que, peu à peu, ce symptôme de l’indigence
touchait également d’autres couches de la société, à pas feutrés,
toujours dans le silence. L’histoire des mœurs nous révèle que la
transgression du tabou de l’inceste existe depuis longtemps dans nos
sociétés et qu’elle a souvent été largement tolérée. Un cas célèbre
étant celui du Pape Alexandre VI (famille Borgia), il eut un enfant avec
sa fille Lucrèce et il ne fut jamais destitué ni condamné.
Désormais, ce mal est très largement
étendu, la pédocriminalité est devenue un fléau qui s’est répandu sur la
planète entière au point que s’organisent autour d’elle des circuits de
tourisme qui masquent à peine leur finalité. Nous apprenons chaque jour
que les prédateurs font partie du tissu général de nos sociétés
technologiques. Ce ne sont plus des êtres d’exception desquels, pour
quelque raison majeure, on tolère quelques écarts. Le crime d’inceste,
toujours aussi silencieux, n’est plus le symptôme d’un milieu indigent
ou privilégié, il atteint toutes les couches de nos populations. Il
demeure cependant toujours caché, honteux, rampant, suscitant la honte
mais rarement le signalement. Quand une malheureuse victime ose porter
sa douleur sur la place publique, c’est elle qui fait figure
d’agresseur, de fauteur de trouble. Et, comme telle, la justice est
sourde à ses plaintes. Les familles, à l’unisson, se portent contre
elle, faisant mine d’être scandalisées devant tant d’infamie. Pendant ce
temps, un prédateur anonyme se trouve à devoir serrer les mains des
représentants de la force publique, s’excusant de telles accusations.
Témoignage et séquences de
vie
Aujourd’hui, je recueille les paroles
d’une maman de 27 ans qui a surpris chez sa fille des comportements
« bizarres ». À l’école, elle dessine des êtres dotés d’un sexe
masculin. L’enfant se plaint de ce que sa « foufoune lui fait mal ».
Elle mime ce que l’on fait à sa « foufoune ». L’enfant a trois ans. La
mère sort d’un procès de divorce qui s’est conclu par une déclaration de
faute à son encontre. Elle alerte les services hospitaliers qui font
subir divers examens médicaux à sa fille. Sa vigilance est éveillée mais
ce qui me choque c’est l’appréhension de cette mère à engager un
processus de surveillance car, dit-elle : « Avec un divorce pour faute,
la famille de mon mari pourra se retourner à tout moment contre moi. »
Le père s’avèrera être un manipulateur psychique.
Nous sommes au cœur du problème ! La victime craint son
prédateur, même devant la justice des hommes.
Nous l’aurons compris, il n’est pas bon d’être ou
d’avoir été la victime d’un prédateur usant et abusant de son autorité
pour établir une domination vicieuse sur sa victime. Une telle bête
semble posséder tous les atouts d’un jeu distribué d’avance.
Usant des moyens sophistiqués d’Internet,
je participe depuis de nombreuses années à des forums publics, ces
tribunes libres sur lesquelles chacun peut porter sa parole. Sur les
grands forums internationaux, la confession n’est guère possible. Il y a
trop de « trolls », ces navigateurs inconstants sans foi ni loi qui
ridiculisent les plus faibles, le plus souvent. C’est sur des forums
privés, plus protégés, que l’on croise des rescapés de l’enfer du viol
et de l’inceste. Sur le forum du Village Psycho-ressources,[ii]
à partir des questions posées par de nombreux/ses intervenants/tes, le
thème de l’inceste fut abordé sans pudeur.
Lors d’une longue session, le
point de vue de la victime était surtout au centre des discussions. Des
psychanalystes orthodoxes intervinrent, exposant des thèses déjà
connues, sans vraiment entendre…
Peu à peu, les débats se portèrent sur la
personnalité du prédateur et débouchèrent, enfin, sur les implications
plus sociales et historiques de l’existence de l’inceste.
Les différents témoignages et interventions ont montré
combien l’approche de ce problème demeurait encore tabou, imprégnée de
préjugés et de craintes. Notamment : « Guérit-on d’une telle
blessure ? », « Est-il vrai que la victime reproduit ce qu’elle a subi
sur ses propres enfants ? » Comme s’il s’agissait d’une peste de l’âme.
Par-dessus tout, le silence des professionnels présents
sur le forum a particulièrement attiré mon attention. Et quand ces
derniers posaient quelques indications, toutes surgissaient du fond de
120 ans de théorie psychanalytique, sans souci aucun de ce qui se disait
ni qui s’exprimait. Je pensais que, depuis mes années d’université, les
praticiens de la psychanalyse avaient évolué, accordant plus
d’attention, de bienveillance et d’ouverture à ceux qui rapportent leur
témoignage dans l’espoir, un jour, d’être hissés hors de l’enfer.
À la lecture de si nombreux témoignages, à la lumière de
ma propre expérience, je pris conscience que le crime d’inceste, et plus
largement la pédocriminalité, devenait un véritable fléau qui minait
silencieusement nos sociétés, sans que quiconque, en dehors de quelques
individus un peu plus soucieux que d’autres des fondements des lois, ne
prenne la peine de sortir d’une sorte d’indifférence honteuse.
L’exploration d’Internet, l’étude des bibliographies
montrent le peu d’intérêt porté à ce qui m’apparaît désormais non comme
un problème de société mais comme un crime de civilisation, qui gagne la
planète partout où les cultures du « marché » gagnent en territoire.
Mais ramener la transgression du tabou de l’inceste et
la pédocriminalité à un problème de société, c’est oublier le caractère
universel de ce tabou. C’est ignorer les raisons qui ont permis à
celui-ci de traverser les millénaires.
La transgression du tabou de l’inceste et la
pédocriminalité sont un problème de civilisation !
Il existe indéniablement une corrélation entre
l’invasion de la culture du marché et la pédocriminalité ! Nous
exportons nos mœurs, comme les colons d’antan exportaient leurs virus,
décimant ainsi les populations conquises. Nous exportons nos cultures
conquérantes et guerrières dans lesquelles les faibles n’ont pas de
place. L’autre y est un objet à dominer. Le pédocriminel raisonne de
même par rapport à sa victime. Ce faisant nous ignorons la place de
l’enfance dans le devenir d’une civilisation, tout comme, d’ailleurs,
nous ignorons volontiers que nous laissons aux civilisations
futures, celles de nos enfants et petits-enfants, une terre en désastre.
Pourtant, il semble bien que l’on se satisfasse de ce
silence qui accompagne les souffrances sourdes d’enfants perdus quelque
part dans les villes, soumis au vice de leur prédateur. S’il en est
ainsi sans que des réactions surviennent, c’est qu’il y a plus grave,
plus profond, plus enraciné et qui se présente sous forme d’une menace.
C’est une attitude collective fort connue de faire « comme si » quand la
conscience se trouve en présence d’une catastrophe qui dépasse
l’entendement. Quand l’Europe ployait sous les bottes nazies, les
peuples d’Europe se taisaient, quand se dressait la liste des déportés
après les rafles, chacun se taisait. Les dirigeants français, anglais et
américains connaissaient bien avant-guerre le sort qui était réservé aux
juifs déportés, silence ! Soixante ans après, le traumatisme n’est
toujours pas surmonté. Plus, nous n’avons pas tiré les leçons de
l’existence du Mal dans nos sociétés. Nous ne savons pas ce qu’il faut
en faire. Ainsi se révèle un très profond malaise sur lequel nous ne
pouvons faire silence.
Parlant du Mal, je faisais lire les premières épreuves
de cet essai à une personne elle-même rescapée de l’inceste. À la
lecture du mot Mal, elle exprima une certaine réticence. Cela lui
rappelait trop, disait-elle, la religion. Certes, mais comment nommer
autrement cette chose qui nous envahit ? Que la référence religieuse
gêne est un fait, que les institutions religieuses aient, peu ou prou,
tenté de nommer le Mal pour mieux ériger leurs dogmes est un autre fait,
mais nous ne pouvons pas pour autant nous taire et faire « comme si » à
grand renforts de concepts nouveaux dans un jargon qui nous donnera
l’illusion que nous avons mis la chose à distance, qui ne renverra à
rien d’autre que nos résistances à assumer une vérité tangible. C’est
bien tout le problème de nos sciences et de leur jargon. Une chape
immense de glace sur tout ce qui touche le monde… pour croire que l’on
domine et contrôle tout. La psyché humaine échappe encore à la science
et il y a de fortes chances pour qu’elle continue de lui échapper durant
longtemps encore.
L’interdit de l’inceste est le tabou fondamental de
l’humanité, étendu à toutes les cultures et les civilisations et,
probablement, le plus ancien. Sa transgression nous met en présence d’un
crime innommable, d’une atteinte aux bases mêmes du tissu social humain.
Et, en élargissant l’enquête à la planète, il se révèle que ce crime
suit les conquêtes de nos pseudo démocraties ou de la culture du marché,
telle une suite touristique ou un complément économique. Du temps des
guerres de conquêtes, les grandes armées, non contentes d’emmener la
terreur chez l’ennemi, traînaient avec elles nombre de maladies semant
la mort autant que les canons le faisaient ; le néocolonialisme du
« Marché » sème d’autres instruments de mort et d’indignité. Les pires
qu’il soit ! Ceux de la perte de la dignité humaine, de l’humiliation et
de la rétrogradation des plus fragiles au rang d’objet à soumettre et à
exploiter, tant au plan économique que sexuel.
Nous pouvons donc nous demander d’où
vient ce silence, pourquoi il existe et ce qu’il peut bien nous
indiquer. Nous devons alors nous insurger devant l’absence de réponses à
tant de questions sur l’inertie de nos justices si fières, ailleurs, de
porter leurs idéaux partout sur la planète comme le bienfait universel,
oubliant les semences de la soumission qui les accompagnent.
« Merci, mille mercis de m’avoir à nouveau prêté [sic]
Edith. C’est une enfant des plus adorables. C’est vraiment bon – je veux
dire pour la vie spirituelle, au sens où il est bon de lire la Bible –
d’être au contact de tant de douceur et d’innocence. »
______________________
L. Caroll[iii]
Préalables
Mon principal objectif, ici, sera de
donner des indications qui englobent le plus largement possible
l’existence de ce fléau. Mon approche se fera donc sous l’angle de
l’individu victime, de la société ensuite, plus loin des fondements de
nos cultures. Il apparaît en effet qu’à travers cette transgression
c’est la cosmogonie même de notre civilisation qui est atteinte. Comment
vouloir étendre au monde des idéaux de liberté et de démocratie pendant
que dans nos maisons « un monstre dévore nos enfants », ainsi que
s’exprime l’intervenante d’un forum Internet ?
Pour l’individu, il sera question des différentes
approches possibles dans un itinéraire de vie. Comment aborder une
psychothérapie ; une psychanalyse est-elle possible ; quid du devenir de
ces « innocents en danger » quand ils deviennent adultes ? J’aborderai
la question de l’inceste et de la survie des victimes d’abord sous
l’angle du comportementalisme. Il faut savoir que c’est sur ce plan que
nous trouvons le plus de ressources. Cette tendance est, a priori,
normale car le signalement et l’intervention se font, la plupart du
temps, à partir de ce que l’autre – éducateurs, voisins –, parents
protecteurs, etc. voit ou perçoit.
Au plan de la société, je rapporterai mon expérience des
différents circuits, du social au judiciaire, passant par les
organisations non gouvernementales. Ce qui me conduira à donner quelques
indications pratiques pour réagir quand on est témoin ou confronté à des
affaires de pédocriminalité ou d’inceste. De telles indications sont
données par de nombreuses associations d’accueil mais, selon moi,
l’apport d’une psychologie des profondeurs demeurant très pauvre, il
semble nécessaire de recadrer certains points de vue. La part de
l’Inconscient demeure pauvre. On s’en méfie, à juste titre bien souvent.
La critique de la psychanalyse s’organise et s’étoffe et de nombreuses
substitutions nous sont louées chaque année. Mais les phénomènes de mode
peuvent aussi troubler l’esprit, résoudre quelques problèmes pour mieux
en masquer d’autres. Les thérapies comportementalistes sont à la mode !
Plus loin, je tenterai une esquisse de théorisation – au
sens antique du terme qui consiste à rapporter les faits de la manière
la plus proche possible de la réalité – qui débouchera sur deux
propositions, l’une qui consiste à porter la parole des victimes partout
où cela est possible, l’autre qui découle du constat pessimiste, celui
d’une société en pleine dérive et par suite, d’une absence tangible de
volonté de faire face à ce qu’implique une certaine banalisation de la
transgression de l’inceste mais aussi, par extension, de la
pédocriminalité... Je poserai que le dévoilement d’affaires d’inceste,
loin de montrer un meilleur fonctionnement de la justice – elle en est
très loin, révèle l’ampleur de la propagation d’un mal que nous avons
tous laissé ramper sans nous en indigner. Ce ne sont pas les
rebondissements médiatiques retentissants qui nous laisseront penser
qu’il existe une véritable volonté de prise de conscience. À lire la
presse régionale, la rubrique judiciaire notamment, on constate, effaré,
que ces affaires sont courantes, multiples, quotidiennes. Nous sommes
tous concernés par les transgressions de ce tabou, mais comment et que
faire ?
Enfin, je tenterai d’apporter une réponse au sens que
peut prendre la tolérance honteuse à ce crime infâme.
Nous verrons enfin comment la notion de
crime contre l’humanité peut s’appliquer aux crimes commis contre des
enfants. S’il existe une prise de conscience qui permet désormais, sinon
de protéger les femmes, au moins de condamner leurs bourreaux, on ne
peut pas en dire autant des enfants, de leur droit à être protégés, dans
quel cas et en quelles circonstances. Quels sont les crimes contre
l’humanité qui concernent particulièrement les femmes ? Nous savons
répondre. Pas pour les enfants !
La méthode de l’exposé
J’ai choisi un mode d’exposé en
« spirale » : partant d’un point de vue extérieur, à la surface des
faits – avec ce que cela implique d’opinions et de préjugés, j’y reviens
en y apportant une autre dimension, celle de l’inconscient et de
l’ailleurs, de ce qui échappe à la compréhension immédiate, des mythes
connus de nos civilisations. J’élargis enfin la vision de la
pédocriminalité au vaste champ d’une culture qui, débridée, excessive,
aveugle, dispense la destruction, la soumission de ce qui diffère d’elle
et s’arroge le droit à l’universalité. Que la question du Mal soit alors
posée paraît logique et, peut-être, celle de la « banalisation du Mal ».
Que l’on pose également la question du modèle universel de société que
l’on nomme libéral, paraît découler de la même logique. Nous verrons
que, derrière les apparences « libérales », se cache une société
prédatrice qui refuse de s’assumer comme telle. Que nous le voulions ou
non, il n’est pas exagéré d’affirmer que le crime d’inceste pose, d’une
manière générale dans nos cultures, le vaste problème de l’excès, de la
démesure et finalement, de l’abolition de la conscience morale.
Le lecteur européen pourra donc
être surpris par ces reprises mais l’exposé linéaire ne me paraissait
pas approprié. Il eût fallu d’emblée énoncer les concepts à partir
desquels j’aurais dressé ma démonstration, ce qui s’avérait peu
opérationnel. Chaque niveau de réalité individuelle ou collective, en
effet, entre en résonance dialectique avec un autre qui lui correspond
dans l’Inconscient en symétrie ou en complémentaire. Dans ce type de
décours, je reprends mots-clés et concepts-clés à chaque étape du
développement. Nous verrons également que les concepts dont la
psychologie dispose pour comprendre ces crimes s’avèrent insuffisants.
Contenu de l’ouvrage et
témoignages
Ce document présente des textes écrits
sous des pseudonymes. Il s’agit des écrits libres de personnes qui ont
eu à vaincre la honte, la culpabilité, après avoir connu l’horreur dans
l’enfance. Ce sont les « photos » singulières de drames anciens. Je
réprouve l’exposé de « cas cliniques » qui se limite le plus souvent à
donner aux personnes la dimension d’objets. Si nous voulons avancer en
refusant d’altérer l’immédiateté de l’expérience individuelle, il
convient d’écarter les méthodes classiques de la psychologie clinique.
Pour vraiment rendre aux personnes leur dimension d’individu, propre et
unique, il nous faut rompre avec cette manière classique de présentation
du cas clinique qui découle d’une filiation médicale.
Par ailleurs, le modèle clinique, très individuel, ne
nous dit rien de l’interaction avec l’environnement et avec l’histoire.
C’est pourquoi le modèle anthropologique est bien plus proche du réel
malgré ce qu’on peut lui objecter : subjectivité, absence de chiffrage
statistique, etc. Les récits, les romans, bien que ce genre se rapproche
plus de la fiction que du réel, nous traduisent ce que les chiffres ne
pourront jamais rendre : l’émotion, le sentiment, l’esthétique, le drame
intérieur et individuel. Or, il nous faut bien sortir ici du dédale de
l’objectivation qui, nous le verrons, se trouve très largement imprégnée
d’idéologies douteuses et flottantes. Le drame de la pédocriminalité
traduit un malaise de nos sociétés hédonistes. Par conséquent, il
s’inscrit dans un point aveugle de nos consciences. Il révèle, surtout,
notre incapacité à nous confronter et à assumer le Mal en nous. Il est
bien plus commode de le projeter sur des boucs émissaires livrés
facilement à l’opprobre par une actualité souvent dramatique.
La première lecture du manuscrit de ce présent essai m’a
renvoyé quelques remarques dont certaines méritent d’être abordées ici.
« Le procès d’Outreau a évolué et a fait la
démonstration que les enfants peuvent aussi mentir. » Je ne suis pas de
ceux qui participent de l’angélisme enfantin. Il me semble affirmer tout
le contraire. C’est un fait avéré, la vérité ne sort pas nue de la
bouche des enfants. Mais entre déni et crédulité, il y a une mesure que
nous devons prendre en compte. Les enfants et plus précisément les très
jeunes enfants sont extrêmement sensibles à la manipulation et ils
n’abordent pas la réalité à notre manière. Elle surgit souvent de
manière détournée, allégorique et, surtout, dans un climat de confiance
établi par l’adulte. Dans le cas d’enfants maltraités, cette confiance
ne s’établit pas facilement, précisément car l’enfant a été abusé et il
a perdu toute forme de confiance en l’adulte. Et ce ne sont pas quelques
heures d’entretien qui vont permettre d’établir un climat propice à une
parole libératrice. La justice, dans son impatience, fait violence.
Par ailleurs, le procès d’Outreau ne nous apprend rien
quant au crime d’inceste, c’est même une des graves impasses que cette
affaire met en évidence. Il y eut des accusés gravement lésés,
injustement mis en cause, mais si nous n’en retenons que ce fait : « les
enfants de Mme. Badaoui ont menti ! », nous encourageons les prédateurs
car c’est ainsi qu’ils établissent leur domination. « Personne ne te
croira ! » Si telle doit être la conclusion d’une telle affaire, alors
il s’agit d’un gigantesque ratage !
Une autre remarque m’impose une explication : « Dans le
cas des témoignages, peut-être serait-il judicieux d’en mettre un peu
moins. » Il m’a même été dit : « On plonge dans le sordide ! » comme une
critique de pure littérature.
Dans cette étude, j’ai inscrit des résumés d’affaires en
cours, ceux qui sont en tête de l’étude. Ces résumés ont été lus par les
familles ou les avocats. Il a seulement été fait état des contenus des
premiers signalements.
Concernant les témoignages d’adultes, que leur contenu
choque ne m’étonne pas mais l’écriture, le récit faits par la victime
apportent le sentiment et l’émotion qui manquent à l’objectivation.
Celle-ci résonne souvent comme objectalisation : il n’y plus de sujet,
que des objets. J’ai souvent été choqué par le caractère froid et
impersonnel de ces exposés. Ce n’est pas parce que d’un côté nous
dénonçons le caractère spectaculaire d’une société de l’émotion, qu’il
nous faut balancer sur l’autre bord et ne garder que le caractère froid
et dépouillé de la dissection.
C’est pourquoi, comme je l’ai dit plus haut, je me suis
rapproché de la méthode anthropologique qui consiste à demeurer au plus
près de la réalité en rapportant les faits, même dans leur imperfection
littéraire ou narrative. C’est au lecteur de juger ou de trier. Durant
l’élaboration de cette étude, j’ai demandé à quelques personnes de bien
vouloir témoigner de leur vécu. J’ai fait en sorte que leur parole soit
la plus libre possible. À l’issue d’une première écriture je leur ai
simplement demandé de faire en sorte qu’il soit impossible d’y
reconnaître des personnes ou des lieux. Ce fut tout. Il ne m’appartenait
pas de prendre l’initiative de la moindre correction littéraire. Je n’ai
fait lire mon manuscrit à ces personnes qu’une fois tous les témoignages
insérés dans l’étude, leur demandant, une dernière fois, s’ils donnaient
définitivement leur accord pour une publication.
Maintenant, si nous devons réfléchir au caractère brutal
et choquant du contenu de certains témoignages, il importe d’avoir
présent à l’esprit les faits suivants. Nous ne pouvons ignorer le vécu
des victimes de viol, d’inceste ou de pédocriminalité. Dans une affaire
qui passe en justice, les juges s’enquièrent des moindres détails. À
seule fin de donner à la Cour et aux jurés la faculté de délibérer en
leur âme et conscience. Si nous assistons aux débats d’un procès en
Assises, nous entendons tout. Si les faits sont édulcorés, c’est
l’affaire de ceux qui les rapportent, les journalistes le plus souvent.
Et cette œuvre n’a pas d’autre but que d’éviter de choquer le public. Je
n’ai pas pour objectif, ici, de jouer au journaliste. Je m’adresse au
lecteur et à mes pairs avec pour objectif de révéler ce qui se passe
vraiment, de renseigner chacun sur mon expérience. Le silence qui pèse
sur toutes ces affaires est trop lourd et nous devons briser ce mur de
l’ombre. Le livre est une invitation au débat et à la critique. Je donne
des éléments vrais à cette fin.
Que ces témoignages crus nous choquent car ils
rapportent des détails intimes sur les odeurs, sur les actes, sur
l’intimité d’une angoisse de tous les instants et nous voilà, en effet,
en direct avec ce que vivent nos victimes, 10, 20, 30 ans après. Cela
mérite une certaine attention. Que voulons-nous ? Que chaque témoin se
transforme en romancier pour inscrire son histoire sordide au sein d’une
romance plus ou moins dramatique, romance tout de même ? Cela rendrait
le drame plus facilement commercialisable ?
Hé bien, non ! Il ne peut pas en être ainsi.
Enfin, de telles remarques ne font qu’appuyer ma
démonstration. Il serait si facile d’aborder ces crimes de manière
distanciée, au sein de quelque cabinet feutré et entre experts, d’en
débattre au cours de quelques festivités littéraires. Précisément, non !
C’est l’affaire de tous et si certains témoignages choquent par leur
nature crue, ils parlent d’une réalité pénible, atroce, irréelle et
celle-ci tend à se banaliser. C’est ce contre quoi je m’insurge et
j’invite mes lecteurs à s’insurger.
Sortir d’une culture du silence s’impose
plus que jamais !
Les préjugés
L’ignorance d’un fait de société, pour
quelque raison que ce soit, rend le tissu social très perméable à toute
sorte de rumeurs et de préjugés. Loin de ne toucher que les zones
« populaires », ces rumeurs inondent aussi le monde de la raison et de
la « réflexion ». Leur propagation est même une des conséquences les
plus évidentes d’un savoir trop orienté. Souvenons-nous des rumeurs
infectes qui se propagèrent au moment de la découverte du virus du Sida.
Il n’y eut pas que des moralistes d’un autre âge pour dire qu’il
s’agissait de la peste gay. De même, autour de l’inceste, les préjugés
populaires et scientifiques se côtoient. Certains ont été largement
diffusés et faussement étayés par la théorie psychanalytique. Mais cette
théorie est actuellement largement critiquée, surtout par des
historiens, bien moins par les cliniciens eux-mêmes qui continuent de
subir une influence très forte de la part des professions liées aux
soins psychiques – psychiatres, psychologues cliniciens, éducateurs –
depuis les universités jusque sur les lieux de travail, dans les équipes
de soins ou d’accueil.
En recueillant des informations de-ci de-là, l’étudiant
curieux pourra entendre l’énoncé de certains de ces préjugés.
Le risque pour les victimes de reproduire sur leurs
propres enfants les faits dont elles ont été victimes : faux ! Rien de
scientifique ne permet d’avancer une telle contrevérité. Cette idée
fausse, très répandue, alimente cependant la culpabilité des victimes
devenues adultes et les rend très fragiles, une fois devenues parents à
leur tour. Pour ces personnes, le poids du préjugé est aussi négateur
que celui du passé. Il prive, en effet, la personne d’une écoute à
l’endroit même où elle en aurait le plus besoin, sa société, sa culture.
Le psychologue ou le médecin doit-il intervenir s’il lui
est donné de constater des faits qui relèvent du crime d’inceste ? Vrai
et faux à la fois ! La loi fait obligation de déclarer au juge tout fait
de maltraitance car le clinicien peut être mis en cause pour « non
assistance à personne en danger ». Il n’existe cependant pas de
disposition spécifique qui distingue le crime d’inceste des autres
crimes sexuels commis sur des enfants. Il faut en outre prouver que la
victime n’était point consentante, même si cette contrainte tend à ne
plus faire l’objet de la demande des juges, vu l’âge souvent précoce des
victimes. De cette contrainte, dont le prédateur tire souvent profit, de
nombreux non-lieux furent prononcés par la justice et, en retour, des
médecins sanctionnés par leur corporation, des parents protecteurs
attaqués en diffamation…
Une psychanalyse est-elle recommandée pour ces victimes
devenues adultes ? Non, pas dans un premier temps ! Une cure analytique,
même bien initiée peut « couvrir » les souffrances originelles et
augmenter le sentiment d’insécurité qui habite la personne car
l’angoisse primaire demeurera vivante. L’enjeu pour ces personnes est,
d’abord, de retrouver le sentiment d’une véritable construction.
Solidifier le Moi est primordial dans un premier temps. En substitution,
nombreuses sont les associations de défense de l’enfance en danger qui
s’entichent du concept de « résilience » dont le propagandiste
enthousiaste est Boris Cyrulnik. Or, c’est là un phénomène de mode qui
répond bien plus à une réaction émotionnelle aux carences des théories
dominantes – la psychanalyse par exemple – qu’à une véritable recherche
de solutions thérapeutiques.
Autre préjugé répandu tant par les prédateurs que par
des « théoriciens » : quelques victimes innocentes tireraient « un
certain plaisir » de cette relation : c’est un fantasme de tordu
dangereux et on s’étonne d’avoir encore à l’entendre.
L’inceste est-il inscrit chez l’enfant comme fantasme,
comme désir inconscient ? Faux ! Et je mets quiconque au défi de porter
un témoignage d’un tel type pour un enfant de moins de sept ans à la
connaissance de la communauté scientifique. Il faut insister sur un fait
incontournable : l’enfant, jusqu’à 6 ou 7 ans n’exprime pas sa libido de
la même manière que l’adulte qui, lui, a la possibilité consciente de la
réduire au seul niveau génital. Nous verrons plus loin ce à quoi
renvoient les fantasmes et les rêves de l’adulte. Cela nous conduira
sans doute à cheminer à la place du prédateur. Un tel avis découle de la
conception dite de « l’enfant pervers polymorphe » dont Freud avait fait
un des points importants de sa théorie. C’est ensuite de cette
conception que naquit le « Complexe d’Œdipe » qui demeure une sorte de
grand mythe fondateur de la psychanalyse. La valeur scientifique de ces
élaborations fait maintenant l’objet de nombreux débats au sein des
groupes et écoles psychanalytiques.
L’inceste s’expliquerait-il par les mythes ? Pas plus
que le cannibalisme, les sacrifices humains, la zoophilie, etc. Et ce
n’est pas parce que ces faits criminels se révèlent à nous en très grand
nombre qu’ils se justifient au regard de la civilisation.
Nous faisons trop souvent référence aux mythes antiques,
grecs de surcroît, ceci en vertu d’un préjugé tenace selon lequel nous
reconnaissons en cette civilisation l’ancêtre de la nôtre. Ce que les
historiens démentent chaque jour. Et nous oublions ainsi que les seuls
mythes qui pourraient avoir une quelconque indication sur la manière
dont nous abordons les problèmes et les défis spécifiques à ce moment
particulier que l’Histoire traverse sont ceux que nous créons chaque
jour. Or, il faut beaucoup de distance pour les discerner. L’œil ne voit
pas ce qui est en lui ! Il faudrait entendre les historiens et
anthropologues d’autres cultures pour pouvoir prétendre que nous
abordons quelque peu nos propres mythes. Or, nos prétentions à
l’universalité, notre ethnocentrisme nous privent de ce premier moyen
d’y voir un peu plus clair en nous, en nos sociétés.
Ainsi le recours aux mythes qui se fait sans prudence
peut devenir un moyen d’échapper aux questions fondamentales posées par
l’existence de l’inceste dans une société qui semble en accepter la
présence comme un fléau « naturel », même en le considérant comme une
aberration.
Je reviendrai sur ce point de façon plus détaillée pour
montrer combien cette double dérive est grave.
Première dérive pour une société qui se réveille avec la
gueule de bois en constatant les ravages du « Mal ».
Deuxième dérive pour ceux qui laisseraient accroire que
cela trouve une source quelque part !
Depuis de longs temps déjà, la
transgression du tabou de l’inceste se cherche des justifications et
chaque culture en sécrète de nouvelles. Il est probable que, bientôt,
l’éthologie viendra au secours de ces dérives car, c’est un fait connu,
certaines espèces se fichent de ce tabou. On ne dira cependant pas
toujours de quels animaux il s’agit, ni dans quelles circonstances cela
se produit.
Et ce recours à la nature, par animaux
interposés, n’est pas innocent. Pour justifier l’existence du mal, la
conscience, instrument privilégié du rationalisme, cherche la caution de
dame nature. Une autre manière bien paradoxale de démontrer une sorte de
dérive infantile de nos valeurs. Nous pourrions, à la limite, expliquer
nos conduites extrêmes par la sauvagerie et la cruauté animales. La
science donne des ailes mais l’éthologie ne peut que nous renseigner
partiellement sur la dynamique instinctuelle de l’être humain. Or, au
plan éthique, nous n’avons pas à fonder les conduites humaines,
individuelles ou sociales, sur la nature mais à les orienter selon une
exigence d’humanisation qui intègre et transcende les données
biologiques. D’autre part, tout projet d’évolution morale doit prendre
en compte les exigences minimales de dignité humaine, individuellement
ou en groupe. En particulier, le souci moral d’une société doit pouvoir
répondre à la nécessité d’assurer à nos enfants la sécurité affective
ainsi que des propositions culturelles, philosophiques et éthiques qui
leur permettent d’acquérir suffisamment de maturité pour faire leurs
propres choix dans un environnement dont ils acceptent les valeurs.
L’animal échappe à la capacité de produire des représentations. L’être
humain se crée très tôt une représentation du monde et quand celle-ci se
généralise, les germes d’une culture sont là. Or, la question que la
barbarie – dont la pédocriminalité n’est qu’un aspect – pose est celle
de notre capacité à en accepter l’existence, à surmonter les épreuves et
à changer de niveau de conscience en nous dépassant nous-mêmes,
individuellement, et ce, en changeant d’attitude. Ce qui est dit à
propos de la préservation de l’environnement est valable en ce domaine.
Point de vue juridique et
pénal
Il est intéressant de noter que l’inceste
n’est nullement interdit par le droit français, pourvu qu’il se pratique
entre deux personnes majeures et consentantes. Quand ce crime est commis
sans consentement, il s’agit d’un viol qu’il faut alors prouver. Peu de
textes légifèrent en la matière. Cependant, les indices de la
prohibition de l’inceste se retrouvent dans deux domaines seulement. On
dirait que le législateur n’a jamais imaginé l’éventualité d’un crime de
viol commis sur des personnes mineures.
A – Droit civil (Articles 161
à 164 du Code Civil)
1 – Interdiction du mariage entre personnes présentant
certains liens de parenté ;
– entre ascendants et descendants légitimes ou naturels
et les alliés dans la même ligne. (art. 161). L’interdiction peut être
levée par autorisation du Président de la République pour raison grave
en ligne directe uniquement pour la parenté par alliance, (beau-père) si
la personne qui a créé l’alliance est décédée ; (art. 164)
– entre collatéraux, frère et sœur légitimes ou naturels
(art. 162) – entre collatéraux, oncle et nièce, parenté légitime ou
naturelle (il est donc autorisé entre beau-frère et belle-sœur depuis
1975). (art. 163) Cette interdiction peut être levée par autorisation du
Président de la République pour raison grave. (art. 164)
2 – L’interdiction de l’établissement de la filiation
(art. 334-10 du Code Civil)
Il est interdit d’établir la filiation incestueuse à
l’égard des deux parents. La filiation ne peut être établie qu’à l’égard
d’un seul (en général la mère). En effet, le rapprochement des deux
filiations permettrait de faire apparaître le lien incestueux. Cette
interdiction est d’ordre public. Elle contredit la logique de la loi de
1972 sur la filiation, loi qui voulait complètement dissocier le sort de
l’enfant de celui de ses parents. Le fruit de l’inceste demeure ainsi
marqué du sceau de l’infamie.
B – Droit Pénal
Le viol et les agressions sexuelles sur mineur.
La loi pénale punit le rapport sexuel et l’agression sexuelle sur un
mineur. Il n’y a donc pas pénalisation spéciale réservée à l’inceste, le
caractère incestueux n’étant qu’une circonstance aggravante du viol et
de l’agression sexuelle sur un mineur. Elle consiste dans le fait que
l’auteur est un ascendant légitime, naturel, adoptif, ou qu’il a
autorité sur l’enfant (beau-père, concubin). Son évaluation est laissée
à l’appréciation du juge d’instruction ou des jurés d’assises.
Seule prévaut la notion d’autorité. Du côté de
l’agresseur la dépendance induit un corrélat, c’est l’autorité. C’est
pourquoi la loi ne fait pas de distinction entre père et beau-père en
avançant le terme d’« ascendant ». Depuis 1980, le viol (art. 222-23
Code Pénal) est défini beaucoup plus largement, ce qui permet désormais
de couvrir des situations délaissées par l’ancienne définition.
Le viol commis par un ascendant (art. 222-23 Code Pénal)
porte les peines encourues de 15 à 20 ans de prison. L’agression
sexuelle commise par un ascendant est une circonstance aggravante de
l’agression sexuelle sur mineur. La peine est portée de 7 ans à 10 ans
(art. 222-30 Code Pénal)
C – Le médecin face à l’inceste
Une étude publiée dans les années 1990 concluait à la
rareté des dénonciations des maltraitances à enfant par le médecin
traitant. Il faut dire qu’outre la difficulté du diagnostic, le problème
du secret médical relève d’une interprétation difficile des textes.
Le secret médical est de rigueur (art. 226-13 du Code
Pénal), mais les médecins ont la faculté – mais pas l’obligation – de
dénoncer auprès du Procureur de la République les sévices sur mineurs
qu’ils ont pu constater. (art. 226-14 Code Pénal)
Voici le texte de l’article :
L’article 226-13 (secret professionnel) n’est pas
applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du
secret.
En outre, il n’est pas applicable :
– à celui qui informe les autorités judiciaires,
médicales ou administratives de sévices ou privations dont il a eu
connaissance et qui ont été infligés à un mineur de 15 ans.
Il s’agit bien de l’absence de poursuites
contre le médecin qui dénonce, il ne s’agit pas d’une obligation de
dénoncer. Notons que, dans certaines affaires, des médecins ont été
poursuivis et sanctionnés par leur Ordre pour avoir dénoncé des faits de
violence sur enfant... Au contraire, dans une affaire dévoilée par les
médias en mars 2006, deux médecins ont été suspendus par un procureur
pour « non assistance à personne en danger ».[iv]
Pourtant l’article 44 du Code de
Déontologie Médicale précise :
« Lorsque le médecin discerne qu’une personne auprès de
laquelle il est appelé, est victime de sévices... s’il s’agit d’un
mineur de 15 ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se
protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il
doit sauf circonstance particulière, qu’il apprécie en conscience,
alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives. »
L’obligation de dénonciation de crime exclut de façon
expresse les médecins (art. 434-1 Code Pénal) mais l’article 223-6 du
Code Pénal réprime la non assistance à personne en danger…
D – L’inceste comme mode de vie
La loi pénale n’interdit pas les rapports incestueux
entre adultes. D’après les Renseignements Généraux, 1 à 4 adultes pour
1000 vivraient des unions incestueuses. Durant mes années d’activité
dans la campagne profonde, j’avais déjà relevé l’existence de liens
incestueux durables et tolérés, mère/fils, père/fille, frère(s)/sœur(s),
dans certaines familles. La rumeur ne disait jamais quand ces relations
avaient commencé. Était-ce quand l’enfant était mineur, après sa
majorité... ? Chacun savait mais se taisait.
On remarquera la très nette complexité du droit en
matière d’inceste et de maltraitance sur mineur. Le législateur s’est,
au cours de l’histoire, empêtré dans ses ambiguïtés. Un médecin peut
fort bien ne pas signaler des cas d’inceste, s’il juge « en conscience »
qu’il n’y a pas de danger. Le crime d’inceste n’existe pas
juridiquement. Le viol par « personne ayant autorité » révèle assez
certains archaïsmes culturels et historiques. Enfin, dans le domaine de
la filiation l’enfant fruit de l’inceste demeure marqué.
_______________________
[i]
– Écrit en novembre 2004, bien avant que la fameuse Commission
d’enquête parlementaire ne statue sur ce que l’on nomme les
« abus d’Outreau » ou ceux du « petit juge Burgaud ».
[ii]
– Ce forum est actuellement clos, j’en donne néanmoins
l’ancienne adresse : <http://village.psycho-ressources.com/>. Il
existe de nombreux forums modérés de langue française qui
accueillent des rescapés de l’inceste ou du viol. D’un point de
vue documentaire, le caractère éphémère des lucioles de
l’Internet pose problème. En effet, il se perd ainsi d’énormes
sources de témoignages.
[iii]
– L. Carroll, pédophile impenitent, à Mrs Mayhew, 1 juin 1992,
in The Collected Letters of Lewis Carroll, éd.
Marton Cohen, Londres,
1979.
[iv]
– La justice a interdit d´exercice deux médecins d´Auby (Nord)
pour ne pas avoir dénoncé la maltraitance d´un enfant mort sous
les coups de ses parents quelques jours après avoir été ausculté
par les praticiens. Dix jours après avoir mis en examen un
premier médecin, le procureur de la République de Douai a décidé
de poursuivre un second médecin pour les mêmes motifs de « non
dénonciation de maltraitance et non assistance à personne en
danger ».
Le premier médecin mis en examen a reçu l´enfant
le 17 janvier 2006, le second le 30 décembre 2005. L´enfant, âgé
de 5 ans, a été retrouvé mort le 25 janvier 2006.
De source judiciaire, on rapporte qu´il portait
des lésions « abominables », des traces de brûlures et de
nombreuses fractures. Le beau-père de l´enfant a été mis en
examen pour « actes de tortures et barbarie ayant provoqué la
mort » et écroué. La mère a été mise en examen pour complicité.
Le conseil de l´ordre est surpris, étonné de
l´interdiction d´exercer qui frappe deux confrères, il indique
que les sévices à enfants ne sont pas faciles à détecter, les
deux médecins étant expérimentés, si ces sévices avaient été
évidents, ils auraient agi. (Agence Reuter) Cité par « Les
droits de l’enfant ». Voir l’URL du site en fin d’ouvrage.
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