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Pages personnelles de l'auteur Jean-Yves Demers  1   2

 

L'île au nuage troué

Roman d'aventure, 254 pages.

6 X 9 pouces ou 15 X 23 centimètres

ISBN 2-89612-117-X

 

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Résumé     Extrait     Auteur

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Voici l'histoire d'une famille qui veut prendre des vacances sur la mer avec leur bateau de plaisance.

En pleine nuit, ils sont attaqués par des pirates des mers modernes. Une bande soigneusement organisée qui dépouille leurs victimes sans aucun remord. Le mari propriétaire du bateau sa femme Valérie et leur petite fille Jasmine sont emmenés au fond de la cale et attachés comme des bagnards.

Ils ne savent pas ce qui les attendent le moins du monde. Ils sont seuls face avec leurs pensées. La petite Jasmine pour sa part est enfermée dans une cage avec un petit garçon de son âge, Patrick, déjà sur place à son arrivée.

Ils finissent par apprendre qu'ils s'en vont sur une île.

Pour y faire quoi?

Ils ne savent rien encore.

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Résumé     Extrait     Auteur

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Chapitre 1

 

La lune était à son zénith ! Peut-on dire ça de la lune ?

 

Ronde, pleine, bleue... Elle émettait sa lumière blafarde sur les flots qui bougeaient doucement sous la caresse de la brise venant du Sud. Quelques spectres flottants dérivaient lentement vers l'embouchure du fleuve St-Laurent. Bercés par les vagues, ils ressemblaient à des fantômes sans vie.

 

L'ombre mouvante qui se déplaçait fit peur à la gamine. Elle détourna son regard du mur et cacha ses yeux dans ses petites mains. Le clapotis de l'eau contre la coque était le seul bruit qu'elle entendait. Soudain un cri atroce vrilla ses tympans. Elle se laissa glisser par terre et se mit à sangloter.

 

Un choc sourd contre la coque empêcha Jasmine de se faire attraper par le vilain croquemitaine car elle se réveilla brusquement. Se levant d'un bond, elle regarda par le hublot et recula de surprise… deux petits yeux noirs la regardaient avec insistance. Une sorte de voile enveloppait ce regard furtif.

 

Ray St-Cyr, sa femme Claudia et leur petite fille étaient partis depuis deux jours sur le fleuve avec leur bateau de plaisance. Un quinze mètres solide bien équipé pour voyager. Avocat à Limoilou, c'était leur première vraie sortie ensembles. La dernière remontait en février lorsqu'ils étaient allés voir le spectacle d'un gars qui imitait Elvis et ensuite le lendemain lorsqu'ils avaient passé l'après-midi à patiner sur la rivière St-Charles. Habitant le Boulevard des Capucins depuis quelque années, l'endroit était tout près de chez eux, et souvent il se maudissait de ne pas se rendre respirer l'air plus souvent en famille.

 

Une ombre soudaine fit crier Jasmine éperdument. Elle se sentit empoignée solidement par la taille. Ses pieds ne touchaient plus le plancher de bois. Elle se débattit de toute la force de ses sept ans et demi, mais la poigne était trop forte, trop puissante... Elle parvint à remonter sa petite main pour la refermer solidement sur une poignée de cheveux et se mit à tirer de toute ses forces en criant.

 

– Cesse de gigoter et de crier comme ça, Jasmine.

 

Elle se calma, la voix profonde de son papa la rassura. Sa tête heurta légèrement le cadre de la porte tant son papa allait vite.

 

– Ayoye, ma tête !

 

– Excuse, ma chérie. Tiens Claudia, prends-la un instant.

 

La petite fille se blottit bien à l'abri dans les bras de sa maman. Plus rien ne pouvait lui arriver maintenant ! Elle colla sa tête contre l'épaule de sa protectrice et regardait son papa s'activer près de l'évier. Elle se demandait ce qu'il lui arrivait pour qu'il ait l'air si crispé tout d'un coup. Normalement elle trouvait son père nonchalant et tranquille. Un peu comme le paresseux qu'elle avait vu dans un reportage sur les animaux à la télé la semaine dernière.

 

– Arf, la clé vient de se casser dans la serrure, grrrrr... Quelle saloperie de mer...

– Ray !, cria Claudia, les gros mots !

– Mes excuses Claudia.

 

Il ramassa une tasse à café qui traînait sur la table et la passa au travers de la vitre qui vola en éclats. Évitant les débris de verre, il se saisit du fusil. Avisant les cartouches, il en prit une poignée.

 

 Il entendit son épouse crier à fendre l'air.

 

– Mais cesse donc de...

 

– Toi, tu la fermes, et tu poses ton pétard sur le comptoir sans gestes brusques. Compris ?

 

Surpris en même temps que soulagé, Ray déposa l'arme sans dire un mot. Enfin, on saurait à quoi s'en tenir. L'incertitude était pire que d'être confronté au danger, quel qu'il soit !

 

Trois hommes au teint basané pointaient leurs armes vers eux. L'un d'eux sortit des tie-wrap de sa poche et lia les mains de l'homme et de la femme derrière leur dos. Il jeta un regard vers la petite fille qu'il jugea comme quantité négligeable.

 

– Marc, emmène-les à la cale, nous on achève le travail ici.

– Ok, Rico. Je m'en occupe, fit un gringalet tout en os.

 

Marc prit Ray par le coude et le fit monter sur le pont. Une passerelle de cordage reliait les deux bateaux. Après quelques faux pas, Ray prit pied sur le bateau pirate. Il était au moins trois fois plus grand que le sien. Il n'eut pas le loisir de compléter son examen car une violente poussée dans le dos manqua de le faire culbuter dans l'étroit escalier menant à la cale. Il sentait la colère mélangée à la peur l'habiter de plus en plus.

 

Un long tuyau de métal allait d'un côté à l'autre du mur en bas et des anneaux y étaient enfilés. Des chaînes très longues ressemblant à des serpents métalliques recouvraient le plancher de bois brut. Le gringalet prit un anneau et ferma le clapet sur la cheville de Ray. Il fit passer une maille dans l'anneau et bloqua le tout avec un gros cadenas.

 

– Tu n'iras pas loin avec ça, ricana t-il.

 

– Occupez-vous des autres, je vais rejoindre Dallas. Les chiottes sont par-là, ne salopez pas le coin.

 

Jasmine vit l'homme qui restait pousser sa mère vers son papa et elle même se fit pousser dans une grande cage. Dans un coin, elle distingua un garçon à peine plus âgé qu'elle. Il était assis sur un banc en bois et regardait ses mains avec attention. Il était assis sur un banc de bois et regardait ses mains avec attention. Du sang séché près de son nez attira son attention. Il avait les cheveux plus noir que la nuit. Elle examina attentivement ce garçon qui relevait les yeux et ne la lâchait pas du regard. Elle remarqua les même yeux noir qu'elle avait vu quelques minutes auparavant, dans son cauchemar...

 

– Tu t'appelles comment ?

– Heu... Patrick, pourquoi ?

– Je veux savoir. Moi c'est Jasmine Soltez. On est où ici ?

– Sur un bateau.

– Dans un bateau de pirates ?

– Oui.

 

Jasmine alla s'asseoir à l'autre bout du banc, pensive. Elle en ferait une tête Valérie lorsqu'elle lui raconterait son aventure. Le croquemitaine qui avait manqué son coup, les pirates de la nuit sombres et inquiétants, ce bateau... Elle se faisait fort de rajouter plein de détails à son histoire pour impressionner Valérie Soltez sa meilleure amie et sa grande soeur.

 

 

* * *


 

Chapitre 2

 

La pendule venait de sonner et Valérie y jeta un regard. Son damné de faux frère devait être sur le point de rappliquer, il lui fallait donc se dépêcher si elle voulait avoir le temps de prendre rendez-vous avec son correspondant. Elle continua à discuter avec le garçon qu'elle avait en ligne en se rongeant l'ongle du pouce. Aimant se faire draguer, elle faisait les yeux doux à tous les beaux garçons qu'elle avait en direct sur internet. Elle remit sa webcam en marche et sourit au beau brun qui la regardait avec des yeux charmeurs. Un claquement de porte la fit sursauter.

 

– Dégage de là, j'ai quelque chose à faire !

– Pogne-pas les nerfs toi !

– Hé, je te le dirai pas deux fois, tu sais.

– Tiens, le voilà ton ordi. Je décampe.

 

Valérie ferma la salle de bavardage d'un clic de souris, et sans un regard pour son effronté de frère, sortit de la pièce. Elle grimpait les marches deux par deux lorsque le bout de son pied glissa et son tibia alla à la rencontre de la contremarche.

 

– Ayoye ostie !

– Voyons encore, qu'est-ce qui te prend toi ?

 

Se frottant la jambe elle ne répondit rien. Mieux valait ne pas recommencer une chicane, parfois ça dégénérait un peu trop entre eux. Elle se saisit de son téléphone et composa le numéro de sa meilleure amie.

 

– Lucie ?

– Oui, ah ! C'est toi, Valérie !

– Quoi moi ? On dirait que je te dérange.

– Pas du tout, je ne savais pas trop quoi faire.

– Est-ce que je peux aller chez toi ? J'aurais quelque chose, enfin quelqu'un, à te montrer sur...

– Tu as quelqu'un avec toi ?

– Non, non, dans l'ordinateur. Je voudrais te...

– Rapplique au plus vite dans ce cas...

– J'arrive. À tout de suite.

 

Régis regarda distraitement sa demi-sœur partir en coup de vent. Il n'arriverait jamais à la comprendre celle-là. Toujours sur une patte en train de courir après il ne savait trop quoi.

 

Le garçon croyait avoir trouvé le filon d'or, le vrai de vrai. Un tract laissé sur le pare-brise de son auto vantait une compagnie d'investissement sur le net. Il voulait étudier cela au plus vite car les places étaient soi-disant limitées. Il copia soigneusement l'adresse et vit une page web de couleur verte et blanche s'ouvrir.

 

– Tiens, la même couleur que les billets de banque, pensa-t-il tout haut. Pas bête ça !

 

Il y lisait que, pour un investissement mensuel de vingt-deux dollars, ils vous promettaient une rente mensuelle très alléchante chaque mois au bout de quinze mois. Cinq mille dollars par mois au bout de deux années. Un peu sceptique, ça paraissait trop beau pour être vrai. Par contre, en lisant les explications plus à fond, il changea d'opinion. La compagnie était dûment enregistrée après du gouvernement et à l'I.G.I.F. Cela le rassura immédiatement.

 

Un endroit pour s'inscrire comme membre observateur l'attira. Il ne perdait rien et aurait un pied dans la place. J'aurai bien le temps de me faire une idée dans les jours qui viennent. Aussi commença-t-il à remplir les petits rectangles blancs...

 

Valérie sonna en entra. Elle vit la maman de son amie en train de cuisiner. Elle se demandait pourquoi elle était si maigre tout comme l'était sa fille. Elle était toujours en train soit de copier des recettes de cuisine, soit d'en expérimenter de nouvelles. Dans la cuisine flottaient toujours des arômes différents chaque jour. Elle aimait de temps en temps venir papoter avec la mère de son amie tout en la regardant mélanger plein de trucs.

 

– Bien le bonjour Mademoiselle Soltez. Daignez-vous donner la peine d'entrer s'il vous plaît !

– Ah ! Lucie, arrête tes cérémonies, ça ne fait plus rire personne et moi encore moins.

Lucie fit la moue et monta l'escalier en courant.

 

– Cou-donc ! As-tu tes règles ?

– Quoi ? Ah non, pas du tout. Regarde.

 

Levant la jambe de son pantalon, elle montra la belle bosse bleue qui avait pris du volume encore depuis les dernières minutes.

 

– Ouche ! Qui t'a fait ça ?

– Heu... personne. J'ai loupé une marche tantôt et... Écoute, je ne suis pas ici pour parler de...

– Tu m’as parlé d'ordi, alors...

-Ben oui, les salles de clavardage.

– Ok, ok. Dans quelle salle il est ton apollon?

– Je te montre. Tasse-toi un peu.

 

Au bout de deux minutes de tripotage sur le clavier, une liste de noms apparue. Elle fit une sélection et un clic de souris sur le pseudo de "Organe" fit apparaître une boite de dialogue.

 

– Pfuitt... Parle-moi d'un pseudo ça !À ton idée de se baptiser de la sorte...

– Attends, tu vas voir comme il est gentil. Je mets la webcam en route et le micro. Il va le faire, lui aussi.

– Tiens ! Te revoilà beauté, entendirent-elles dans les haut-parleurs.

– Oui, j'ai eu un empêchement, mon saligaud de frère qui voulait son ordinateur, je le lui ai laissé.

 

– Qui est à tes côtés ?

– Ah ! Ma copine Lucie.

– Êtes-vous lesbiennes ?

– Eille toi le maudit débile, tu...

– Chutt Lucie. Il déconne comme ça souvent, tu vas voir comme il est gentil.

– Cibolle Val, pourquoi avoir dit mon nom ?

– Arrête ta paranoïa la blonde, je ne te mangerai pas… enfin...

 

Valérie regarda sa copine, surprise. Son copain se conduisait de façon étrange. Elle vit Lucie passer un bras derrière son cou et plaquer sa bouche sur la sienne violemment. La jeune fille était paralysée, qu'est-ce qui lui prenait à celle-là, tout à coup ? Elle eut l'idée subite de mordre cette langue visqueuse qui s'était introduite dans sa bouche sans invitation, mais se ravisa. Elle poussa Lucie d'un geste rageur.

 

– Ostie de sales lesbiennes, fit la voix excité.

 

Lucie reprit son souffle et coupa la caméra d'un geste sec.

– Mais, es-tu folle toi ? Qu'est-ce qui te prend ?

– Du calme, je t'explique...

– Ça vaut mieux, coupa Valérie, blême de rage.

 

Lucie alla s'asseoir sur le bord de son lit et dit dans un souffle :

 

– C'est un pervers ton copain.

– Quoi ?

– Ben oui. Tu n'as pas vu...

– Vu quoi ?

– Laisse-moi terminer, Val. Tu n'as pas remarqué sur le mur derrière lui ? Il y a plein de photos d'hommes et de femmes nus et dans des poses vraiment grotesques.

 

Valérie était abasourdie. Elle avait vu les photos la première fois mais n'y avait accordé aucune importance. Le garçon avait une belle voix grave et son sourire l'avait enjôlée dès le premier regard. Elle leva la tête et regarda son amie dans les yeux.

 

– Dis donc toi ?

– Quoi ?

– Tu n’aimerais pas les femmes par hasard ?

– Pfuitt... Eille là ! Arrive en ville, ma chère...

 

Valérie leva sa main droite en se rapprochant de Lucie qui claqua dans la sienne avec force.

 

– À la bonne heure ! J'aime mieux ça. On y retourne ?

– Ok mais cette fois c'est moi qui y vais. Regarde-moi faire.

 

Lucie se rendit dans une autre salle et s'y inscrit sous le pseudo de Bertha.

 

– Pourquoi ce nom à l'ancienne ? C'est laid.

– Ça ma fille, c'est une précaution. Tu vois !

– Explique-toi.

– Regarde bien. Si tu prends un pseudo comme Doris ou bien Suzy, tous les gars vont te tomber dessus comme des rapaces. Ils n'attendent que ça. Ce sont des pseudos, heu... disons… un peu à éviter, tu vois ce que je veux dire ?

– Et ?

– Mais... Voyons, c'est moi la blonde ici, non ?

– Je te charriais ma chère. Merci pour ton truc, tu m'apprends quelque chose là. J'ai bien envie de te redonner ton bec de...

– Avises-toi surtout pas !

– Je sais, je te niaisais.

 

Valérie aimait bien cette amie dégourdie. Elle fuyait autant les lourdauds mâles comme femelles. Toujours d'humeur égale, elle pouvait lui demander n'importe quoi, ou presque... Un Ange passa... et elle oublia le baiser visqueux de son amie en faisant une légère grimace qui n'échappa pas à Lucie.

 

 

* * *


 

Chapitre 3

 

Ray St-Cyr frottait sa cheville droite. La veille, en marchant sur une poupée qui traînait, il s'était ramassé à plat ventre. Il avait redit à Jasmine pour l’énième fois de ramasser ses jouets. Mais peine perdue...

 

Il aurait donné cher pour se débarrasser de ce fer qui lui enserrait la cheville. Une rougeur était apparue avec le frottement. Brièvement, il avait eu le fol espoir qu’il aurait pu enlever ce bracelet métallique de sa cheville, si seulement elle avait bien voulu désenfler. Mais la cour aux miracles ne semblait pas être ici. Pas tout à fait !

 

– Je me demande bien ce qui va nous arriver, Ray.

– Je m'en doute un peu, fit l'interpellé, en prenant un air mystérieux.

– J'aime presque autant ne pas le savoir... Ou plutôt si ! Toi, tu sais quelque chose ?

– T'en fais pas, au moins on ne nourrit pas les poissons, c'est bon signe. Je me demande s'il n'y a pas d'histoire de rançon ou autre chose dans tout ça.

– Pfuitt... Nous ne sommes pas la famille princière à ce que j'en sais, alors...

– Je sais.

– Je sais. Nous ne sommes que des petits bourgeois sans importance, alors...

 

Ray décida de ne pas poursuivre dans cette voie. Son côté homme du barreau avait tendance à prendre le relais et souvent il regrettait ce qui sortait de sa bouche. Il partait en vrille et était incapable de s'arrêter.

 

– Ouais, regarde Jasmine.

– Quoi, qu'est-ce qu'elle a ?

– On dirait que les événements lui passent au travers au lieu de la frapper comme ça nous fait.

– Heu... Que veux-tu dire par là ?

– Ah ! Pas grand-chose en réalité. Ça me vient d'un bouquin que j'étais en train de lire. Il dit plein de trucs intéressants sur le comportement humain. Ses manies, ses défauts.

– Pfuitttt... Je peux t'en écrire une demi-douzaine de tels torchons moi aussi.

– Ray St-Cyr ! Tu ne sais même pas de quoi tu parles !

– Ben... Des soi-disant auteurs qui poussent comme des champignons et qui s'improvisent tout à coup comme des moralisateurs à la petite semaine.

– Franchement ! Tu débloque grave toi quand tu te laisses emporter comme tu le fait.

 

Ray eut un coup au cœur. Il venait encore une fois de plus de tomber dans le piège, le sien... Claudia promena son regard aux alentours, puis prit la parole.

 

– Je reprends et cette fois-ci, ne fais pas l'imbécile.

– Heu...

– Tu n'a pas entendu ce que...?

– Oui mamie.

 

Claudia se racla la gorge légèrement et se permit un léger sourire en direction de sa petite fille qui lui faisait des gestes de la main.

 

– Tu vois Jasmine.

 

N'obtenant aucune réponse, elle poursuivit.

 

– Elle s'amuse, elle mange et dort comme si tout était normal.

– Normal, c'est une enfant.

– Elle n'est prise dans l'engrenage de ses pensées. Elle n'est jamais en train de supputer à propos de ce qui va lui arriver prochainement...

– Normal, elle se fie sur nous.

 

Claudia lança un regard courroucé vers son mari, puis reprit.

 

– Cesse de faire de l'esprit, ouvre tes deux oreilles et non ta grande trappe.

 

Ray légèrement embarrassé prit le parti de la boucler cette fois-ci. Il savait qu'elle lisait énormément, et pas seulement des romans à l'eau de rose. Il lui avait souvent vu dans les mains des livres de psychologie et plein d'autres de science, de psychologie...

 

– Jasmine ne s'en fait pas avec ce qui arrive pour la simple et bonne raison...

– Que c'est une enfant de sept ans, c'est ca?

 

Le visage de Claudia prit des couleurs soudainement. Ray décida de la fermer une bonne fois pour toutes. Il la vit s'allonger un peu sur le côté et appuyer sa tête dans le creux de sa main.

 

– Regarde-la. Elle est en grande discussion avec le jeune garçon et rien d'autre n'existe. Toute son attention est concentrée sur le môme. Tu vois ?

 

Ray articula un "oui" timide.

 

– Pour faire court, elle n'est pas du tout stressée par ce qui va lui arriver demain ou après-demain. Elle s'en fiche royalement, contrairement à nous les adultes. Cette propension à nous projeter dans le futur nous prend un beau jour. On tire des plans, on ébauche des projets et la plupart du temps rien ne se produit comme on l'avait imaginé. La vie nous le fait savoir, sois sans crainte. Tout part de travers, tout nous fait enrager.

 

Ray regardait sa conjointe de plus en plus attentivement.

 

– Je poursuis. Le passé, c'est la même chose. Même si on passe des jours et des jours à s'y replonger, ça change quoi ?

– Heu... rien de rien, bordel, je...

– Je termine s'il te plaît, coupa sèchement Claudia. Tu dois te souvenir quand tu étais petit non ?

 

Elle leva la main lui ordonnant de la fermer.

 

– Tu vivais dans le présent, non ? Tu ne vivais pas perdu dans tes pensées passées ou bien futures, non ? Chaque chose, chaque objet que tu voyais, que tu découvrais, tu le voyais réellement. Tu regardais les formes, les couleurs. Tu découvrais les oiseaux, les poissons, les animaux et...

– C'est bien trop vrai !

 

Claudia cessa de parler et vit qu'elle avait touché une corde sensible dans l'esprit cartésien de son homme.

 

– Écoute-moi bien à présent. Je te pose une question et tu me réponds instinctivement, sans réfléchir.

– Ok.

– As-tu un problème à l'instant ?

– Heu, non, mais...

– Stop. Tu as dit non, ok ?

– Oui, j'ai dit non et après ?

– Pour l'instant on n'a pas de problèmes, on est assis et on discute. On s'entend là-dessus ?

– Sauf le fait d'être attaché comme un bouc, d'être dans le fond d'une cale, d'être enchaîné je ne sais trop où, c'est vrai. Nous n'avons aucun problème, dit-il d'une voix enrouée.

– Écoute-moi encore s'il te plaît. S'il survient un problème, on saura bien y faire face, non ? Pour le moment, à part ce que tu viens de dire, on n’en a pas.

 

Ray était sur le cul dans le vrai sens du terme. Autant mentalement que physiquement. Il avait fêté ses quarante ans au printemps et jamais il n'avait encore entendu pareil discours. Surtout en provenance de sa femme. Il croyait bien la connaître mais il se posait maintenant de sérieuses questions. Elle n'avait pris aucun bain de soleil ces derniers jours donc le soleil n'y était pour rien... Pour ne pas trop la brusquer, il lui demanda pourquoi elle ne lui avait pas parlé de cela avant aujourd'hui.

 

Haussant les épaules, elle lui dit d'une voix forte qui fit sursauter les deux enfants qui comptaient les brindilles sur le sol :

 

– Je viens d'apprendre cela moi-même, tu le sais non ?

– C'est vrai, tu me l'as dit pas plus tard que...

 

Un bruit de pas le fit taire. Trois jeunes fem-mes qui semblaient avoir une vingtaine d’années descendaient l'escalier poussiéreux. Deux malabars les poussaient dans le dos en ricanant.

 

– On vous amène de la visite, le couple modèle. Et pourtant, elles étaient ici avant vous, fit un type maigre à faire peur

– Ha, ha... de la belle visite à part ça. Nous venons de faire plus ample connaissance là-haut, fit le plus petit en levant un majeur au ciel.

 

Ray serra les mâchoires à s'en faire péter les dents. Les nouvelles arrivantes avaient le regard dirigé vers le sol. Les joues barbouillées de larmes séchées, elles semblaient être en piteux état.

 

– Asseyez-vous là, gentes dames. On vous avait gardé vos places. Nous sommes gentils non !

 

Les trois femmes obéirent machinalement. Elles semblaient brisées de l'intérieur, comme si quelque chose était cassé en elles. Ray, aucunement psychologue pour deux sous, avait noté ce fait. La pose de fers à leurs chevilles leur semblait tout ce qu'il y avait de plus normal. Elles n'y faisaient aucunement attention.

 

– Parfait, lâcha le gringalet. Faites donc connaissance à votre tour. On vous apporte de quoi bâfrer, car il faut vous garder en forme jusqu'à...

 

Il avait laissé sa phrase en suspens volontairement, étudiant les bouilles avec attention. Satisfait, il fit signe à son compère de le suivre.

 

Claudia donna un léger coup de coude à son compagnon. Une des femmes les regardait fixement. Elle attendit le départ des deux pirates, puis demanda :

 

– Est-ce que ça fait longtemps que vous êtes ici ?

– Trois jours madame. Comme si ça fait trois semaines.

 

Claudia était mal à l'aise. Le regard de la nouvelle venue était empreint de douleur. Comme si elle cachait un secret.

 

– Mon nom c'est Claudia Richer, et mon mari Ray St-Cyr. Ah ! Oui. Ma petite fille c'est Jasmine, là-bas.

– Élisabeth Cyr, fit-elle avec un soupir prolongé. Mon garçon Patrick Cyr, dans la cage avec votre fille.

– Bonjour Élisabeth, ça me fait plaisir. Vous avez un beau garçon.

– Merci, c'est gentil madame.

– Appelez-moi Claudia s'il vous plaît.

 

Leurs hôtes ne tardèrent pas à revenir. Au nombre de cinq cette fois-ci, ils tenaient des gamelles en fer-blanc. Un brouet douteux remplissait la moitié des récipients sales.

 

– Vous êtes servis comme au Ritz ici, comptez-vous chanceux !

– Merci, firent les trois femmes en chœur.

– Hé ! La politesse est de mise ici, fit le gringalet d'un air hautain.

– Merci, répétèrent Ray et sa femme, sans trop de conviction.

– De mieux en mieux et vous mangez avec les doigts que le Bon Dieu vous a donnés. Rien de plus !

 

Gringalet, qui semblait être le chef de cette clique, tourna les talons et donna les deux gamelles restantes aux enfants.

 

– On se casse les gars. Oh ! Pendant que j'y pense, encore deux petites journées comme celle-ci, et vous serez chez vous.

 

Il vit une légère lueur d'espoir dans les yeux du couple, et éclata d'un rire gras. Ils ne savaient pas dans quoi ils mettraient les pieds.

 

Ray imita les autres et prit du gruau avec ses doigts et l'enfourna dans sa bouche. Au moins, ils savent faire cette boue, pensa-t-il.

 

– Ce soir, ça sera des fèves au lard, fit une voix timide couvrant les clappements des convives.

 

Claudia regarda d'où provenait la voix et eut un léger mouvement de surprise. La fille ressemblait un peu à sa propre fille. À cette pensée, son cœur se serra.

 

– Bonjour mademoiselle. Ça sera des fèves ce soir?

- Oui, des fèves.

 

Élisabeth fit les présentations.

 

– Celle qui vient de nous annoncer le menu, c'est Lise Charron. Une gentille fille. Et l'autre tout aussi gentille, c'est Josée Matrin.

– Enchanté fit Ray en souriant.

– Moi, aussi, fit sa compagne avant de reprendre une autre bouchée de la boue infâme.

 

– Je me demande ce que peuvent bien faire Valérie et Régis en ce moment, fit Claudia à voix basse.

– C'est justement à eux que je pensais moi aussi. fit Ray avec une grimace. Régis, à dix-neuf ans, était passablement étourdi pour son âge. Peu responsable, il collectionnait les bêtises et les problèmes. Son père devait souvent se débrouiller pour le sortir de mauvais pas. Heureusement qu'il était avocat de métier, sinon...

 

– Valérie va avoir dix-huit cette semaine. Ils doivent bien être capables de se débrouiller.

– Oui, si on veut, lâcha Claudia pensive. Le Régis était un vrai hurluberlu de première, pensa-t-elle. Il était capable de n'importe quelle connerie lorsqu'il était livré à lui-même.

 

Ray termina le premier de manger et posa sa gamelle devant lui, propre et nettoyée. Tant bien que mal, il l'avait léchée devant le regard de Claudia qui trouvait son attitude pour le moins bizarre. Lui qui se targuait d'avoir de la classe dans les rassemblements mondains.


 

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Marié père de deux garçons, je suis né dans un petit village au Québec.

 

J'ai cessé l'école tôt dans ma vie par obligation. Nous avions une ferme et mon père à eu un accident en bûchant dans les bois. J'ai donc travaillé beaucoup manuellement pendant plusieurs années.

 

Je suis ce qu'on appelle aussi un mordu de la lecture. Je lis vraiment tout ce qui me tombe sous la main. C'est de cette façon que j'ai appris comment s'écrivent les mots.

 

En éternel étudiant autodidacte, j'ai continué à apprendre plein de choses dans divers domaines. Je suis rarement perdu dans mes pensées, j'essaie de vivre le présent intensément. Regarder et apprendre.

 

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Jean-Yves Demers se fera un plaisir

de lire et de répondre personnellement à vos courriels.

 

Adresse de correspondance électronique :

 

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Lettre d'appui de l'auteur à la fondation

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Bonjour,

Je trouve très importante la démarche et le projet du Salon des partenaires de la Fondation littéraire Fleur de Lys.

C'est un projet qui à de l'avenir. Il permet à beaucoup de gens de se remettre à l'écriture et à la lecture. C'est aussi une belle porte ouverte à nos jeunes qui poussent. Leur redonner l'amour des mots, et les tirer un peu de devant les jeux vidéo auxquels ils sont scotchés un peu trop à mon avis.

Les mots sont notre façon de communiquer, que ce soit verbalement ou bien par le biais de l'écriture.

Ne laissons pas cette façon de faire tomber dans l'oubli au profit des images vidéo et de son pouvoir ludique un peu malsain selon certains cas.

J'aurais une énorme admiration pour les autorités en place, s'ils ouvriraient la porte un peu plus au domaine littéraire et appuieraient davantage la Fondation littéraire Fleur de Lys .


Amicalement!

 

Jean-Yves Demers, Lac-Mégantic, Québec.

 

 

 

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