PRÉFACE
Ce livre vous racontera les expériences vécues depuis ma plus tendre
enfance, incluant quelques révélations vécues dans mon implication pour la
réalisation du Parc botanique « À fleur d’eau » inc.
J’ai ressenti un grand besoin de dévoiler les aspects de ma vie qui avaient
fait de moi une heureuse mère de famille de six enfants. Je venais d’avoir
80 ans lorsque j’ai dû envisager la dure réalité du vieillissement.
Vieillir n’est pas une maladie. Accepter de renoncer à une vie très active
comporte une vision plus sombre du vécu quotidien, pour arriver à
fonctionner avec une certaine perte d’autonomie.
La vie nous a formés à partir de toutes les expériences vécues; elle a été
un moule dont on ne peut nier l’existence, même lorsque l’âge nous oblige à
délaisser chaque jour certaines façons de faire qui ont été la joie de notre
vécu tout au long de notre vie.
À 17 ans, j’ai épousé un homme qui m’offrait une perspective de la vie à
deux qui semblait être la meilleure option pour me rendre heureuse. Une vie
simple sur une petite ferme où la venue d’une belle famille comblerait mes
jours. La perspective d’un avenir sur une ferme n’était pas celle qu’avait
envisagé mon mari, pour lui qui aimait travailler en forêt et surtout, être
camionneur. Après quelques années d’expérience, il a fallu se rendre à
l’évidence; la terre ne répondait pas aux besoins nécessaires pour faire
vivre notre famille. Nous sommes déménagés à Rouyn-Noranda pour le travail.
Mon mari, fils d’une grande famille de 19 enfants vivants, dont trois sont
morts en bas âges, a lui aussi été confronté à la vie difficile des nouveaux
arrivants, à Mont-Brun, en 1935. Il a dû quitter l’école très jeune pour
apporter son soutien à ses parents pour les travaux sur la ferme et dans les
chantiers à 15 ans pour subvenir monétairement au vécu de la famille.
Au moment où j’écris ces lignes, lui a 87 ans et moi 83 ans. Nous vivons
dans une résidence pour personnes âgées, la Résidence Saint-Pierre, chacun
dans notre logement parce que les circonstances dues à ses difficultés de
santé ne nous permettait plus de vivre dans le même logement. On lui a
déclaré un cancer en 2004, il est devenu Alzheimer en 2012 et est sourd
depuis quelques années. Suite à ces difficultés, je suis devenue son aidante
naturelle en 2013.
J’ai dû être hospitalisée en septembre 2015 et trois médecins m’ont déclarée
inapte à continuer de m’occuper d’un grand malade. Je continue de l’aider
encore en ce qui concerne les à-côtés nécessaires à son mieux vivre au
quotidien en m’occupant de son lavage, en lui apportant mon soutien et en
m’assurant du suivi par le CLSC en tout temps. Ayant en main une tablette
sur laquelle je reçois l’horaire des soins apportés chaque jour par la
présence d’intervenants qui assurent son entretien en lui rendant visite 16
fois par semaine: deux fois chaque jour, plus une fois le mardi et le samedi
pour un grand bain. Nous avons la chance de prendre nos repas et passer la
soirée ensemble. C’est une solution qui nous facilite la vie.
Merci à ceux qui m’ont tendu la main pour la réalisation de ce livre.
Lucie Gaudet
Suzanne Cliche
Fuguer à 80 ans
Donnez-moi, donnez-moi de l’oxygène!
Un hiver qui n’en finit plus de finir…
L’âge qui fait sa marque un peu plus chaque jour… La vie du couple qui
dérive lentement vers un mal de vivre que lui rappelle tout son corps
assailli par l’usure. L’isolement légendaire des couples âgés. L’éloignement
et l’abandon de ceux qu’on aime.
Je n’en peux plus! Au secours! À l’aide!
La dernière rencontre au restaurant, avec mon groupe de femmes, m’informe
qu’il existe une ressource pour assister les personnes qui ont besoin
d’aide.
À chacune de nos rencontres, une conférencière est invitée pour faire
connaître son implication en relation d’aide dans différents domaines de la
société. Cette fois, il a été question des difficultés vécues par les
couples. Elle nous a informés sur l’endroit où aller pour trouver du
réconfort en situation de détresse.
J’ai retenu cette façon d’avoir de l’aide, car je sentais que j’étais sur le
point d’exploser… Donc, j’ai plongé avec beaucoup de fébrilité dans une
démarche qui m’amènerait vers une façon de vivre une vie plus sereine pour
mes vieux jours.
Dring! Dring! J’appelle… Une personne me répond :
— Comment puis-je vous aider ?
Après avoir répondu à quelques questions simples, je lui dis :
— J’ai besoin d’aide…
Elle me dit :
— Je vous envoie un taxi tout de suite.
Un événement simple qui a déclenché chez moi une grande inquiétude…
Lorsque l’infirmière a communiqué avec mon mari, pour lui donner la date où
il devait se faire enlever la cataracte, il lui a dit :
— Je ne veux pas être opéré.
Je connaissais bien la cause de son refus; ça le rendait nerveux de recevoir
même une simple piqûre. Il a 84 ans, il n’a pratiquement pas été malade de
sa vie, sauf pour le traitement d’un cancer de la prostate en 2004, qui a
nécessité un séjour de deux mois à « La Fondation québécoise du cancer de
Montréal » où je l’ai accompagné pour le suivi de ses 36 traitements en
radiothérapie, à l’Hôpital général de Montréal.
J’étais juste à côté de lui quand le téléphone a sonné; lorsqu’il a répondu
qu’il ne voulait pas se faire opérer. Je lui ai demandé de bien vouloir me
laisser parler à l’infirmière et m’assurer de bien noter la date qui était
prévue pour cette intervention. Il m’a passé le téléphone sans discuter.
Celle-ci m’a donné la date du rendez-vous et je lui ai dit : « Je prends la
situation en main, je ferai l’impossible pour le convaincre de l’importance
de subir cette opération et l’amener à réaliser quelle serait sa vie s’il
perdait la vue. » Plusieurs expériences vécues m’ont permis de l’aider dans
cette démarche.
Mon inquiétude se situe à un autre niveau : Il me sera difficile de le
convaincre de suivre les recommandations du médecin et j’appréhende déjà ses
réactions. Il n’en fera qu’à sa tête, c’est son genre, nous vivons ensemble
depuis 62 ans.
Intervention chirurgicale (cataracte)
Finalement, mon mari a subi une intervention chirurgicale, lundi, le 18 mars
à 14 heures dans l’œil gauche, pour une cataracte. (Une opacification
responsable de la baisse progressive de la vue, au début accompagnée de gêne
à la lumière (photophobie). Cette baisse de la vision peut être rapide, «
quelques semaines, à cause d'un traumatisme ».
Suite aux recommandations du médecin, l’infirmière m’a remis les
instructions pour faire le suivi nécessaire après cette opération qui est
considérée comme bénigne, pour obtenir une guérison sans problème.
De mon côté, j’ai de grandes craintes lorsque les yeux sont menacés de
quelques façons que ce soit. Je sais que mon conjoint est très impulsif et
qu'il se croit infaillible… « Avec lui », il n’y a jamais de problèmes, en
apparence seulement, car je sais très bien qu’il appréhendait cette
opération; la preuve, il ne voulait pas y aller.
Moi qui ai été en contact avec des handicapés visuels, lorsque je
travaillais au Centre de jour « Arc-en-ciel » comme éducatrice, j’ai connu
des personnes qui avaient perdu la vue suite à différents accidents de la
nature au cours de leur vie. J'ai eu l’opportunité d’entendre des réflexions
de certaines personnes devenues aveugles me dire qu’ils n’avaient jamais été
capables d’accepter un tel handicap.
Le grand jour arrive, mon mari est opéré aujourd’hui. Jacques, notre fils
aîné, nous accompagne. Nous nous rendons à la centrale des rendez-vous de
l’Hôpital Youville vers 11 heures. On nous indique qu’il faut aller en
clinique externe, au 1er étage. Tous les trois, perdus dans nos pensées,
nous nous retrouvons devant l’ascenseur destiné au service du personnel de
l’hôpital. Après quelques minutes d’attente, aucun de nous n’avait fait le
nécessaire pour sélectionner l’étage où nous devions nous rendre. Arrive un
travailleur! Il nous regarde :
— Vous ne pouvez pas utiliser cet ascenseur, il est là pour le service des
employés seulement!
Puis il nous demande d’un drôle d’air!
— Où est-ce que vous devenez ?
Aussitôt, je lui ai répondu!
— Des limbes
Je crois que mes nerfs m’ont joué un tour. La façon dont il a posé la
question, m’a fait réagir. Je l’ai regardé dans les yeux un bon moment sans
ajouter quoi que ce soit… Alors, il s’est adressé à Jacques, notre fils,
pour lui poser la question suivante:
— À quel étage vous devez aller ?
Jacques lui a dit :
— Nous allons au 1er étage en chirurgie d’un jour, pour l’opération d’une
cataracte de mon père. Puis, il jette un regard vers moi et demande à
Jacques :
— Qu’est-ce qu’on fait avec elle ?
J’ai vu dans son regard qu’il pensait que j’étais un peu dérangée. Jacques
lui dit :
— Aie, c’est ma mère!
À ce moment-là, je l’ai regardé et je lui ai dit :
— Monsieur! Lorsque, j’ai affaire à un homme qui me parle comme vous l’avez
fait, c’est comme ça que je lui réponds.
Deux heures d’attente… Nous avions un rendez-vous pour 11 heures à la
clinique des rendez-vous. Il a fallu attendre jusqu’à deux heures dans la
salle d’attente au quatrième étage. Jacques, notre fils, est demeuré avec
son père. Moi, j’avais besoin de prendre l’air; je me suis rendue au centre
d’achat, « Les Promenades du cuivre ». À mon retour à l’hôpital, j’ai
demandé à mon mari, s’il voulait avoir une soupe ? Il m’a dit :
— Non, merci, je n’ai pas faim.
Moi, je n’avais pas le choix, mes difficultés de santé m'obligeaient à
manger à des heures régulières, sinon je me sentais faiblir. J’ai pris
l’ascenseur pour descendre à la cafétéria et prendre un léger repas. Après
le dîner, je suis retournée à la salle d’attente, juste à temps! Il était 14
heures. L'infirmière venait chercher mon mari pour l’opération. Jacques l’a
accompagné et moi je suis restée assise dans la petite salle d’attente.
J’avais annulé mon permis de conduire depuis quelque temps pour des raisons
de santé. Jacques a accompagné mon mari pour son retour à la maison car il
ne devait pas conduire son auto.
Je voulais aider mon mari à faire les traitements nécessaires à la
réadaptation de son œil, en lui prodiguant toutes les recommandations faites
par le personnel médical; il ne devait pas baisser la tête en bas de la
ceinture, ne pas forcer d’aucune manière, même pas pour ses besoins
personnels.
L’hiver continue de faire des siennes. Il neige tous les jours depuis son
opération et le stationnement pour l’auto, qui est situé derrière la maison
où est notre logement, en bas d’une côte, est recouvert d’un énorme banc de
neige.
Hiver 2013
L’hiver 2013, a été particulièrement difficile, le pire connu depuis
plusieurs années. Le propriétaire de l’immeuble avait dit à mon mari que le
fils de la dame du locataire qui vivait dans le loyer en dessous ferait
l’entretien de la cour, mais, il ne vivait pas là en permanence. Ce jeune
homme vivait un moment difficile et venait voir sa mère, faire son lavage et
y dormir à l’occasion.
Dans cet immeuble de quatre logements nouvellement construits, nous vivions
au deuxième étage. Le locataire du bas, lui, travaillait sur des contrats;
il était presque toujours à l’extérieur. Il n’y avait pas de remise pour les
locataires, donc impossible d’avoir une souffleuse; ce qui rendait le
déneigement compliqué. Il n’y avait pas de place pour évacuer cette neige
coincée entre les immeubles à bureaux de l’administration de la ville et la
proximité des voisins. Une seule opportunité s’offrait à nous: faire enlever
la neige par un service de déblayage, mais, pour mon mari pas question
d’attendre. Comptant sur sa capacité physique légendaire, il entreprend donc
de créer un énorme banc de neige dans l’espace qu’il y avait entre les
voisins pour déposer cette neige. Il utilisait la pelle de nos voisins qui
restait sur leur perron en permanence. Lui, il ferait le nettoyage plus
vite. C’est un homme fort, il doit travailler pour garder la forme, à 84
ans.
Pour son opération, tout se passe bien. Il m’a dit qu’il suivrait les
recommandations du médecin à la lettre, ce qui m’a rassurée. Le lendemain,
je croyais qu’il était sorti prendre un peu l’air, lorsque je l’ai aperçu,
nettoyant le stationnement à grand coup de pelle, ça y allait par là! Les
recommandations du médecin avaient pris le bord! Le répit avait assez duré!
J’ai ouvert la fenêtre de ma chambre, puis je lui ai dit :
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Il a continué, rien ne pouvait l’arrêter. J’ai appelé notre fils qui ne
demeure pas trop loin pour lui demander de venir parler à son père.
Lorsqu’il est arrivé, l’invincible « HULK » venait d’entrer à la maison.
Les jours de la semaine passent, puis le vendredi, enfin nous avons une
belle journée ensoleillée. Après le dîner, une énergie nouvelle s’est tout à
coup emparée de moi. Toute contente, j’ai dit à mon mari :
— Tu vas bien ?
Il me répond :
— Oui, je vais bien
— Viens-tu avec moi au magasin, c’est tout près de notre logement, sur la
rue voisine, il y a des spéciaux qui m’intéressent.
J’avais une idée qui me trottait dans la tête depuis longtemps : c’était de
me procurer un petit porte-bagages sur deux roues, qui me permettrait de
faire des emplettes dans les magasins avoisinants, surtout que je
n’utilisais plus la voiture depuis que j’avais annulé mon permis de
conduire.
Non! Non! Mon surhomme me regarde avec un air très mécontent…
— Quoi ? Je suis capable de transporter les commissions, on n’a pas besoin
de ce truc-là pour faire les commissions…
Puis, il ajoute qu’il doit déneiger le stationnement. Je réplique :
— Ça peut attendre un peu.
Je n’étais pas sortie de la semaine à cause de la mauvaise température et
j’avais le goût de mettre le nez dehors par cette belle journée ensoleillée
et il n’était pas nécessaire de passer par en arrière comme d’habitude.
Enfin, il a regardé par la fenêtre, il a constaté que le voisin d’en bas
avait nettoyé la cour.
Je sentais la révolte monter en moi!
— Quoi ? lui dis-je! Je suis très patiente, mais là c’en était trop… C’est
ça, je prends soin de toi toute la semaine, je désinfecte ton œil, je te
fais penser de prendre tes médicaments de mon mieux pour que tu guérisses
sans problème et encore une fois tu m’envoies promener en disant :
— Achale moi pas!
J’ai vu rouge, j’avais atteint la limite de ma patience....
Donnez-moi de l’oxygène… J’étouffe!
Il vient de déclencher chez moi une crise d’écœurement que je ne peux plus
contrôler: ses pertes de mémoire, sa difficulté à gérer les situations les
plus simples, le téléphone, la télévision qu’il ne peut « pitonner ». Je
suis à la limite de mon endurance…
À l’aide! J’ai besoin d’aide…
Trop, c’est trop! J’ai vu rouge, plus rien ne pouvait m’arrêter, j’avais
atteint la limite de ma patience, c’est pour cela que j’ai pris la décision
de demander de l’aide. Je voyais mon mari perdre son œil à cause de son
entêtement à ne rien comprendre et ça m’énervait au plus haut point…
Ces faits semblaient anodins mais déjà j’entrevoyais mes vieux jours avec
cet homme arrogant, têtu comme une mule, accepter ces limites et lui
apporter mon aide malgré ses réactions négatives de toutes sortes et
continuer notre vie à deux de façon harmonieuse. Je devais faire une
démarche pour m’en sortir… Partir…
Donnez-moi de l’oxygène, j’étouffe...
Je prends un sac noir vide, près de la porte, que l’on utilise pour
magasiner, puis ma bourse qui contient mes cartes et les papiers essentiels
que j’utilise en tout temps et rien d’autre.
Le taxi arrive! Je suis tellement perturbée que j’ai de la misère à lui
définir l’endroit où je dois me rendre. Ça y est, on part.
Rendue au centre-ville, je me rends bien compte qu’il ne m’amène pas du tout
à l’endroit où je veux me rendre, je lui dis :
— Où est-ce que vous m’amenez ?
Il me répond:
— Le seul endroit que je connais qui porte le nom de l’orga¬nisme que vous
me demandez est sur le boulevard Saguenay…
Oh là! Ça ne va pas du tout, c’est au centre-ville. Il me regarde perplexe,
il me rappelle que, sans l’adresse il lui serait difficile de me conduire au
bon endroit. Je ne me souvenais plus du numéro exact. Je lui ai dit :
— C’est dans le coin de la rue Mercier et Dallaire, une grande maison
blanche…
Finalement, je lui ai demandé de me déposer à l’endroit où je croyais
pouvoir retrouver cette maison que je cherchais. Je suis descendue, j’ai
payé le montant de la course. Il m’a donné le reçu et il a ajouté que je
pouvais être remboursée par l’organisme qui était sensé me venir en aide.
Je lui ai dit :
— Je suis capable de payer pour mon erreur. Merci monsieur.
J’ai tourné en rond pendant une bonne demi-heure, mes jambes me faisaient
terriblement souffrir. Cet hiver difficile m’avait empêché de sortir comme
je le faisais avant. Il y avait toujours de la glace sur les trottoirs ou de
la neige accumulée dû aux chutes presque journalières connues au cours de
l’hiver. Le service d’entretien de la ville n’arrivait pas à nettoyer à fond
les trottoirs, ce qui rendait la circulation difficile.
Finalement, je n’ai pas trouvé l’endroit que je cherchais, sûrement à cause
de mon état d’âme… J’ai marché, marché, en réfléchissant à une solution qui
m’amènerait vers une issue possible pour avoir l’aide dont j’avais besoin.
Comme je n’ai rien trouvé, j’ai décidé d’aller plus loin dans mon
cheminement vers la liberté.