EXTRAIT
Pierre, diabétique
à 4 ans, témoignage d'une mère,
Michelle Huillet, Fondation littéraire Fleur
de Lys
Chapitre I - L’annonce
– Votre fils est diabétique.
L’interne de service n’a pas l’intention
d’en dire plus. Pour lui, bien sûr, c’est
évident. La terre s’ouvre sous mes pieds… je
vais être engloutie et personne ne me tend
la main ! Et pourtant, depuis plusieurs
jours, je m’en doutais… Je le savais déjà
même. Mais c’est différent lorsqu’on entend
quelqu’un le dire.
Comment cela a-t-il commencé ? Pierre est
maigre à faire peur. Il a les traits tirés,
des cernes sous les yeux. Mais je n’ai rien
vu ! L’interne me demande :
– Combien a-t-il perdu de kilos ?
Je ne le pèse jamais. Alors les kilos se
sont envolés sans que je m’en aperçoive…
Et pourtant, je le savais déjà. Cet article
que j’avais lu… Cette manie de boire de
grands verres d’eau presque sans respirer !
Boire... boire jusqu’à refaire pipi au lit !
A 4 ans !
Cet article qui disait… Je tente d’en parler
autour de moi.
– Tu es folle ! On n'est pas diabétique à 4
ans !
Les jours passent, les semaines peut-être…
Je me décide enfin à me rendre à la
pharmacie, acheter des bandelettes
urinaires. Noire. En une fraction de seconde
la bandelette est devenue noire. Qu’est-ce
que ça veut dire ?
Pour me rassurer, mon mari me propose de
téléphoner à un de ses amis médecins,
chirurgien plus exactement, mais pour nous
c’est la même chose…
– Il ne faut pas vous inquiéter, on n’est
pas diabétique à 4 ans. La bandelette ? Ça
ne veut rien dire !
Mais je sais que Pierre est malade même si
personne ne veut me croire ! Je téléphone à
une amie qui a un laboratoire d’analyses
médicales. J’insiste pour avoir un
rendez-vous le jour même. Elle n’a pas son
assistante : elle redoute de devoir faire
une prise de sang à un enfant aussi jeune
sans son aide. Mais j’insiste tellement
qu’elle finit par me recevoir… pour me
rassurer !
Mon mari est là bien sûr. Il n’y croit pas,
mais il m’accompagne dans mon délire…
La prise de sang se passe bien. Pierre est
très calme. Ce n’est pas dans ses habitudes.
C’est un véritable feu follet ! Quoique,
depuis quelques temps, il revient fatigué de
l’école et il ne remplit plus la maison de
ses jeux bruyants de garçon… Mais je n’y ai
pas réfléchi ! La maison était plus
silencieuse, ce n’était pas pour me
déplaire… L’attente est longue. Pierre
s’impatiente à peine dans la salle
d’attente. Quatre grammes. Le verdict est
tombé comme un couperet. Comme l’accusée sur
son banc, je ne comprends pas la sentence
prononcée par le juge :
– Il faut partir tout de suite aux urgences.
Mais pour quoi faire ? Mon amie ne nous
explique rien, mais nous presse de nous
rendre à l’hôpital. Pendant les jours qui
vont suivre, je cherche en vain une
explication à ce qui nous arrive. Mais
personne ne répond vraiment à mes questions.
Aux urgences, l’infirmière s’y reprend à
trois fois sans réussir à mettre l’aiguille
de la perfusion en place sur le dessus de la
main de Pierre. Elle est tellement petite,
il a tellement maigri : il n’a que la peau
sur les os. Soudain je réalise :
– C’est une débutante ! Elle ne sait pas
faire.
L’infirmière en chef, mécontente mais
efficace, s’empare de l’aiguille et la met
en place d’une main sûre. Il faut que je
sois dans un état de détresse incroyable car
je ne dis rien dit de plus. Je demande
timidement à l’interne de service de me
suivre dans le couloir pour lui poser toutes
les questions qui se bousculent dans ma
tête. Combien de piqûres par jour ? Est-ce
que ça fait mal ? Est-ce que c’est pour
toujours ? L’angoisse me tord le ventre.
Comment Pierre va-t-il réagir à tout ça ? Ce
petit bonhomme toujours joyeux, est aussi
capable de bloquer sa respiration jusqu’à
tomber dans les pommes, les lèvres bleues et
le corps mou comme une poupée de chiffon si
on s’oppose à sa volonté ! Je tente de
parler de mon angoisse à l’interne, mais ce
dernier m’interrompt brusquement :
– Je ne peux rien vous dire de plus. Le
médecin vous expliquera tout.
Mais nous sommes vendredi et c’est le
week-end de Pâques, nous devons attendre
mardi. Dans trois jours c’est mon
anniversaire. Je vais avoir trente-neuf ans
et j’ai la sensation que ma vie est finie.
Réaction égoïste car, bien sûr, c’est la vie
de mon fils qui vient de basculer !
Il est si petit. On me dit que c’est mieux…
qu’il aura toujours vécu comme ça…qu’il va
s’habituer.
Dans le service pédiatrique, les infirmières
sont gentilles, attentionnées et patientes.
Elles ne peuvent pas répondre à nos
questions, elles non plus. Elles n’en ont
pas le droit, je crois. Mais elles tentent
de me rassurer :
– Il va vivre comme tous les petits garçons
de son âge. Il n’y aura pas de différence.
Il pourra aller à l’école, faire du sport et
tout ce qui lui plaira.
Mais pas se gaver de chocolat ! Sauter un
repas si l’envie lui en prend ! Oublier sa
montre…Comment peut-on être comme les autres
quand, chaque jour de sa vie, on doit se
piquer le doigt pour faire des analyses de
sang avant chaque repas, quand chaque jour,
on doit matin et soir, se faire une
injection d’insuline ! J’ai horreur qu’on me
dise qu’il sera comme les autres. Ce n’est
pas vrai ! Je ne veux pas l’entendre !
Je reste avec Pierre nuit et jour. La
chambre est minuscule. Il n’y a pas de lit
d’appoint disponible. Ce n’est pas grave, je
me serre contre lui. Et j’essaie de dormir.
Peine perdue ! Alors j’écoute les bruits de
l’hôpital… la ronde de l’infirmière de
nuit... elle vient vérifier sa perfusion et
lui faire une glycémie au bout du doigt…
toutes les heures.
Je l’appelle quand Pierre se couvre de
sueur. C’est peut-être une hypoglycémie. Je
ne sais pas encore ce que c’est. Il me
faudra des années pour savoir vraiment.
Elle me rassure. Tout va bien. Pierre dort.
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