Avant-propos
En 1994, alors journaliste à la
Chaîne francophone de Radio Alger, j’avais participé au Grand Prix de
l’Université radiophonique et télévisuelle internationale (URTI) sur le
thème de l’Éloge à la tolérance. L’émission que j’avais présentée,
Journal de la douleur et de l’espérance algérienne avait été bien
accueillie par le jury et obtint la médaille d’argent. D’une quinzaine
de minutes, elle avait été diffusée sur les ondes de France-Culture en
mars 1995 et d’autres radios francophones.
Ce long poème avait été produit sous la pression du temps et donc,
ressenti davantage comme une urgence. C’était à la fois un TÉMOIGNAGE et
un MOMENT de mon itinéraire de journaliste.
Depuis, j’ai eu ce Journal en
tête. Je l’ai relu et revu. Avec des interruptions. Quelques jours.
Quelques semaines. Et il est devenu Chant de la douleur et de
l’espérance algériennes que voici. En fait, je n’ai fait qu’égrener et
partager des fragments de souvenirs douloureux. La mémoire éprouve
parfois ce besoin de s’exprimer et de se libérer. Les événements
dramatiques que l’Algérie a vécus, ont traversé par médias interposés,
le Québec et le Canada à l’instar du reste du monde.
J’aurais pu écrire, comme des
amis me l’ont suggéré un essai ou une analyse journalistique pour
expliquer une situation que les lecteurs ne connaissent que trop bien
depuis. Que pourrai-je dire de plus que ce qui avait déjà été dit? Au
milieu de l’année 1997, lors d’un passage à Dimanche magazine de la
radio de Radio-Canada, j’avais expliqué la difficulté de faire une
lecture explicite des événements qui ont eu pour théâtre l’Algérie.
Je crois que la poésie réussit
parfois à mieux exprimer les sensations vécues, les angoisses
intraduisibles autrement, les non-dits.
C’est justement sur l’insistance
d’un petit groupe d’amis et de lecteurs que je me suis décidé de publier
ce recueil. C’est un devoir de mémoire. L’Algérie change. Elle est en
train de changer. Et c’est à mon corps défendant qu’en relisant le
passé, des noms, des lieux, des situations émergent. Avec le temps les
pistes se brouillent. Et l’on reste prostré devant l’inexplicable.
Je ne cherche ni à éclairer ni à
expliquer. Ce recueil est juste un regard posé sur une situation à un
moment donné. Certes, dans toute lecture offerte, c’est l’auteur que
l’on retrouve. En parcourant ses lignes de force, le lecteur plonge avec
furie dans la tragédie algérienne. Le cauchemar est encore là bien que
la violence n’est plus celle des années quatre-vingt-dix.
Ce recueil exprime malgré le
pessimisme d’une première lecture, une forte affirmation de l’espoir;
l’espoir que le changement est possible et qu’aucune situation n’est
totalement bloquée. Il se veut à cet égard, une stèle de la mémoire dans
l’archéologie de la douleur algérienne.
Je sais que là-bas, la danse de la folie se poursuit parfois face au
regard effrayé des enfants. Je sais aussi que sous les zones les plus
sombres, il y a une ouverture qui dit tous les possibles.
En fin de compte, l’Algérie n’est pas une île pour peu que l’on accorde
une attention aux événements qui se dessinent sur la planète. C’est la
raison pour laquelle j’ai ajouté vers la fin du recueil un poème qui a
été présenté à Gijon, en Espagne et qui a obtenu le premier prix de
poésie lors de la Foire mondiale d’idées pour la paix en marge de la
conférence mondiale Habitat II.
L’espérance est ainsi souhaitée
pour toute l’Humanité; car, nous vivons des temps extrêmement dangereux.
Partout les feux sont au rouge. Ce serait regrettable que l’aventure
humaine s’achève ainsi. D’où ce poème d’espérance, l’Ile-Monde qui clôt
ce recueil.
Que les roses fleurissent sur
nos chemins croisés.
Montréal, Novembre 2005
* * *
I
Algérie
Capitale Alger
Confiait Anna Gréki
Au cœur de son cœur
Alger
Ville au corps brûlé
Devant le bourreau
Qui bave
De son rire
Sanguinolent
Alger
À la naissance des espérances
Ternie
Aujourd’hui
Par l’ombre des assassins
Quand
en ces temps incertains
Se dressent dans ses murs
La terreur
Le feu de la géhenne
Et
la détresse
II
Le soleil blafard
Consume notre peau
Dans la fongosité du malheur
La lumière crue et insolente
Nous pousse à fermer les paupières
Sur la terre en naufrage
Le bleu de la Méditerranée
Est
Un linceul
Qui couvre nos visages et nos cœurs
Algérie douleur…
Comment te dire
Te décrire
Sur le chemin trop fréquenté des cimetières
La tristesse
Est sur tous les airs
De la vieillesse
Avant l’heure
Seuls
Les youyous déchirants nous soutiennent
Dans notre marche
Accablante
III
Aujourd’hui
Nous emmenons un ami
Vers sa demeure au bout du jour
Aujourd’hui
Cruel
Nous emmenons un frère
Une sœur
Et
Les noms multiples
Se brisent
Contre nos regards vitreux et incrédules
Nous marchons
De nos pas pesants
Et mal ajustés
Sur la poussière
Des élans d’amertume
Et
De colère
Tue
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