EXTRAIT
Sakpédiak, mission de routine, roman fantastique,
Pâquerette Béland,
Fondation littéraire Fleur de Lys
Chapitre 1
Il perdit connaissance sous la
violence de l’impact. Il s’éveilla plusieurs heures plus tard.
Quelque part.
Il se frotta la tête,
n’arrivant pas à croire ce qui venait de lui arriver. Il appuya sur
un bouton et marmonna :
— Félix, rapport s’il te plait.
— Navette écrasée.
— Je le sais, dit-il avec
agacement. Pouvons-nous repartir ?
— Non. Pas avant réparation.
Et l’ordinateur lui lista ce
qui était endommagé.
— Zut ! Le cristal aussi. À
quelle époque sommes-nous ?
— Pas d’époque.
— Retrouve la date d’avant
l’écrasement.
— Pas de date.
L’inquiétude monta en lui
pendant que Félix ajoutait :
— Je n’ai pas de transchrono.
— Depuis quand ?
— Je ne peux pas répondre. Je
ne mesure pas le temps sans transchrono.
— « L’équipe de nuit a pourtant
fait une inspection ! »Te manque-t-il d’autres pièces importantes ?
Félix les afficha sur son
écran.
Théo pouvait les fabriquer.
Mais pas le cristal. Énervé, il haussa le ton :
— Où sommes-nous ?
— Sur une île.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— Elle m’est inconnue.
Il arrondit les yeux. Il
présagea le pire.
— Sur quelle… planète ?
— Sur terre.
— Mais tu viens de me dire que
tu ne la connais pas.
— Pas répertorié dans ma banque
de données.
— Tu l’as déjà dit. Merci.
Cartographie !
Les contours de l’île lui
apparurent nettement sur son écran. Il en resta bouche bée.
— La Gaspésie ? Amputée de
toute la côte sud ! « Un monde parallèle ? » Paramètres de
comparaison !
— La superficie de cette île
est plus petite que celle de la péninsule nommée.
Et Félix afficha tous les
chiffres sur un écran secondaire.
— Topographie et composition
des sols !
L’île se métamorphosa sous ses
yeux en trois dimensions. L’écran se divisa en deux secteurs et des
données géologiques et géochimiques défilèrent dans chacun d’eux.
— Incroyable, s’exclama-t-il.
Il se hâta de tout mémoriser.
— Ces terres sont-elles
habitées ?
Les secteurs peuplés d’humains
apparurent en rouge et cerclés de blanc.
— Et les autres, le long de la
côte est ? Ce sont des animaux ?
— Pas des animaux. Aucune
donnée sur ces êtres.
— Merci.
— C’est mon travail de
t’informer.
Et Félix s’éteignit.
Théo se dégagea de la cabine et
procéda à une inspection. Les bris n’étaient somme toute pas aussi
importants qu’il se l’était imaginé.
Il inventoria le contenu de sa
navette. Il remisa dans un sac les outils et le matériel qui
serviraient à la réparation et le cacha dans une alcôve protégée par
un store qui ne s’ouvrait qu’au contact de sa main.
Il rangea sa combinaison de
voyage sous son siège. Il enleva sa salopette blanche qu’il déposa
soigneusement pliée dans son sac. Il cacha son pendentif sous sa
chemise dont il raccrocha les pans. Il glissa une arme paralysante
dans un étui sous son bras, enfila un léger coupe-vent et inséra un
désintégrateur dans une de ses poches.
Il recouvrit sa navette avec de
grandes branches de sapins qu’il coupa avec la hache du coffre
d’urgence. Il la mit ensuite dans son sac et prit la direction
nord-est à travers la sapinière, à flan de montagne.
Après une heure d’ascension, il
s’accorda quelques moments de repos. « Je devrais trouver de l’eau
prochainement, » pensa-t-il. Il poursuivit sa route jusqu’aux abords
d’un plateau recouvert de feuillus. Il se fraya un chemin dans
l’épaisse végétation. Et lentement, il parcourut les quelques
kilomètres qui l’emmenèrent exactement là où il l’espérait, au bord
d’un des trois lacs qui nidifiaient au-dessus des montagnes.
Le soleil se couchait.
Il laissa tomber son sac et
chercha un endroit propice pour descendre sur les bords. Ne voyant
pas où il mettait les pieds, il glissa et se retrouva les fesses
dans la glaise à environ deux mètres de la rive. Il s’agrippa à une
branche pour se relever puis il franchit les quelques pas restants.
C’est alors qu’il aperçut non loin de l’endroit où il étanchait sa
soif un magnifique poisson qui le fit saliver. Il le fixa une
dizaine de secondes. Celui-ci ne bougeait pas. Il plongea sur sa
proie, la captura des deux mains et la sortit de l’eau en criant de
joie.
Il grimpa sur la berge et
chercha un endroit où s’installer. Il ramassa des branches qu’il
cassa et les monta en pyramide à l’intérieur d’un cercle de pierres.
Il tendit les mains au-dessus du tas et celui-ci s’embrasa. Il
afficha un sourire de satisfaction en se rappelant sa première
expérience. Celle-ci s’était produite pendant son deuxième voyage
transtemporel. Il avait plu abondamment et le bois que ses
coéquipiers avaient ramassé pour chauffer le chalet de location
s’enfumait au lieu de prendre feu. Quand ses copains que la bière
n’avait pas réchauffés montrèrent des signes d’exaspération, il les
avait poussés en les narguant :
— Tassez-vous, bande
d’incapables ! Vous n’y connaissez rien.
Tout en imaginant un beau feu
dans sa tête, il avait approché ses mains du foyer avec de grands
gestes théâtraux. De la frime ! Mais les bûches s’étaient enflammées
aussitôt, exacte réplique de sa vision. Ses compagnons avaient exigé
de connaître son truc. Abasourdi, il avait camouflé son malaise en
jouant au sorcier. Et quand par la suite, certains d’entre eux lui
avaient souligné ce tour de magie, il leur avait répliqué que
l’alcool était mauvaise conseillère ou qu’avec un peu d’électronique
on pouvait tout.
Il retira ses chaussures
humides qu’il déposa sur une pierre près du feu, enleva son pantalon
souillé qu’il rinça au bord du lac et suspendit sur une branche. Il
évida sa prise et la fit griller sur les braises fumantes. Et après
avoir avalé sa dernière bouchée, il sortit une toile de son sac et
par un savant pliage se constitua un abri pour la nuit.
* *
*
Il en ressortit au moment où le
soleil se levait à l’autre bout du lac. Il replia la toile et
descendit lentement dans l’eau où il nagea de longues minutes. Quand
il revint, des poissons semblaient l’attendre. Il patienta, puis
lentement, se fraya un chemin à travers le banc.
— Ça y est, cria-t-il en
sortant de l’eau un spécimen d’une trentaine de centimètres.
Il retourna à son camp et le
prépara. Puis il utilisa les branches qui lui restaient de la veille
et les enflamma de la même façon.
C’est alors qu’un son étouffé
parvint à ses oreilles. Il regarda vers la source du bruit. Un
oiseau s’envola. Il sourit et se concentra sur la cuisson de son
poisson.
Il termina son repas. Bien
rassasié, il enterra les braises, se rhabilla, se chaussa et se
pencha pour ramasser son sac. Quand il se releva, cinq lances
l’entouraient. Et leurs pointes étaient bien aiguisées. Il n’en fut
pas surpris. Dès son réveil, il avait senti la présence de ces
hommes.
Il laissa retomber son sac sur
ses pieds. Il les regarda avec son plus beau sourire et les salua à
tour de rôle. Ils étaient trapus et massifs. Ils avaient le teint
bronzé par le soleil et leurs longs cheveux noirs et luisants
étaient retenus à l’arrière par un cordon de cuir.
L’un d’eux s’adressa à lui dans
une langue qu’il n’avait encore jamais entendue. Les sons montaient
de sa gorge comme des grognements mélodiques.
Celui du centre remonta sa
lance et s’empara de son sac sans le fouiller. Il ne lui enleva pas
l’arme qu’il avait sous le bras et ne s’intéressa pas à son
médaillon. L’homme de droite le regarda dans les yeux puis avec la
tête, il lui fit signe de le suivre avant de partir en avant. Les
autres fermèrent la marche.
Ils descendirent une pente
abrupte à travers un abattis. Ils devaient porter une attention
constante à chacun de leurs pas. Ils retenaient leur souffle,
silencieux.
Le soleil était haut quand ils
firent halte dans une clairière, à côté d’une source. Le chef
l’invita à se désaltérer. Pendant ce temps, le plus jeune d’entre
eux devint bavard et ce qu’il racontait amena la gaîté chez ses
compagnons.
Ils reprirent la route. La
conversation s’anima alors qu’ils traversaient une forêt en terrain
plat.
Théo analysa chacun des sons,
essayant d’y repérer le vocabulaire et la syntaxe. Il n’avait qu’à
écouter une langue étrangère pour l’apprendre et la maîtriser. Quand
il avait commencé l’école, il connaissait déjà toutes les langues
maternelles de ses copains en plus de celles de ses jeux venant des
quatre coins du monde. Ensuite, il s’était intéressé aux langues
anciennes, ce qui lui avait ouvert les portes de la base
transtemporelle. Mais le langage de ces gens était différent. Il ne
retrouvait pas de mots parmi cette succession de sons gutturaux. Il
les laissa pénétrer en lui comme la musique.
Les marcheurs sortirent de la
forêt. Ils empruntèrent un sentier menant vers l’ouest à travers une
vaste plaine herbeuse qui ondulait sous la brise.
Dans un espace dégagé, un homme
les attendait à côté de chevaux de trait attelés à une voiture. Il
les salua du bras en les voyant venir et cria :
— Godiose, suivi de d’autres
sons.
Théo se tourna vers celui qui
répondit
— Guifrid.
Ainsi, c’étaient leurs noms. Il
les répéta mentalement. Le premier déclic était fait, le reste ne
serait plus qu’un jeu.
Ils se saluèrent en se serrant
l’avant-bras et montèrent tour à tour dans la voiture. Guifrid héla
ses chevaux et la voiture se mit en branle. Assis face à face sur
des bancs conçus pour leurs fessiers et leurs jambes courtes, Théo
devait relever les genoux pour ne pas importuner son voisin d’en
face.
Il admirait le paysage qu’il
avait sous les yeux quand la voiture s’engagea sur une route de
bois, assez large pour que deux voitures s’y rencontrent. La terre
autour d’eux était inondée sur plusieurs kilomètres carrés. Des gens
sur des radeaux repêchaient à l’aide de grandes passoires les fruits
qui flottaient à la surface.
Les sabots des chevaux
résonnaient sur les madriers et rythmaient les paroles du jeune
volubile. Mais il ne parlait plus ? Il chantait ! Et les autres
bougeaient les pieds. Théo se concentra sur la mélodie et comprit le
sens des sons. C’était une chanson d’amour qu’ils semblaient
apprécier. Alors quand il reconnut le refrain, il le fredonna avec
eux de sa voix de baryton. Comme il n’avait encore émis aucun son
depuis qu’il était en compagnie de ces hommes, ceux-ci se turent
spontanément. Sauf Guifrid qui n’ayant pas vu pas la surprise de ses
amis haussa le ton.
Ils arrivèrent à une clôture de
pieux d’environ un mètre de haut que longeait une autre route de
madriers, plus étroite cette fois-ci. Ils tournèrent à droite et
suivirent l’enceinte sur moins d’un kilomètre. Ils passèrent de
l’autre côté par une ouverture non gardée et s’engagèrent sur un
vieux macadam qui traversait des terres cultivées. De grands érables
ombrageaient la route et délimitaient les champs de blé, de maïs et
d’orge. Ils traversèrent ensuite une rivière sur un pont surélevé
construit de la même façon que les routes. Plus loin, un barrage
actionnait la roue d’un moulin à farine érigé tout en hauteur et
entouré de multiples bâtiments servant à l’entreposage.
Puis, ils poursuivirent par un
chemin de travers. En face, une palissade haute de deux mètres
remplissait la vue. Les portes étaient ouvertes. Deux hommes les
gardaient de chaque côté du haut de miradors.
La voiture s’arrêta. Les hommes
en descendirent.
Godiose marcha devant les
chevaux pour entrer dans l’enceinte.
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