Histoires d’Esprits

Pierre Cusson

15 nouvelles

( Horreur - Fantastique - Insolite )

Histoires d’Esprits

Pierre Cusson

15 nouvelles (horreur-fantastique-insolite)

Fondation littéraire Fleur de Lys

Lévis, Québec, Canada

Août 2025, 194 pages

ISBN 978-2-89612-656-9

Exemplaire numérique : 7.00$

PRÉSENTATION

Histoires d’esprits vous plonge dans des mondes où évoluent des êtres surnaturels, des esprits machiavéliques dont la principale mission est de vous effrayer tout en vous faisant douter de leur existence par leur incroyable réalisme.

 

Des mondes dans lesquels errent des gnomes, des ectoplasmes, des démons et des revenants ; une pléiade d’esprits mystérieux et maléfiques prêts à s’insinuer insidieusement dans le vôtre.

 

Quinze nouvelles mystérieuses au rythme soutenu qui ne laisseront personne indifférent.

 

TABLE DES MATIÈRES

Du même auteur

Droits d’auteur et ISBN

Table des matières

À la seconde près

La religieuse

La porte des damnés

Les esprits de la forêt

L’accident

Le sinistre

La visiteuse

Le clown

Le médaillon

Le planteur d’arbres

La légende des quatre

La lettre

Les piranhas du ciel

Espérance

Sabrina

Au sujet de l’auteur

Communiquer avec l’auteur

Édition écologique

Achevé d’imprimer

EXTRAIT

Intégral de la première nouvelle

À la seconde près

Un large sourire suit les déclarations de Julien Desbois à l’endroit de son patron. Lui, l’air sévère, renifle un bon coup, tripote un court instant les poils de son sourcil que la cinquantaine a fait friser, puis ouvre enfin le tiroir de son bureau. Toujours les traits du visage figés et le regard glacial, il jette une grande enveloppe devant Julien.

Son attitude n’est pas réellement de bon augure. Pourtant, la nouvelle qu’il vient d’apprendre de son subalterne devrait le faire bondir de joie. C’est lui qui a commandé cette enquête il y a six mois. Alors, pourquoi donc avoir cet air lugubre puisqu’enfin il aura l’occasion de coincer l’individu qui détourne des sommes faramineuses de l’entreprise pour laquelle il fait office de président administratif?

— Qu’est-ce que c’est?

Julien n’obtient aucune réponse. Au contraire, Philippe fait pivoter sa chaise d’un quart de tour et laisse son regard se perdre sur le mur d’en face. Encore une fois, il torture nerveusement son sourcil et attend que le jeune homme ouvre l’enveloppe.
Celui-ci s’exécute, des points d’interrogation à la place des yeux.

— Un billet de train pour Vancouver! Mais Philippe! Je ne veux pas aller à Vancouver! Ce n’est pas le moment de quitter Montréal. Je touche enfin au but. Vous aurez le nom du fraudeur d’ici, au maximum, deux jours.

Imperturbable, le quinquagénaire fixe une toile accrochée au mur. Une toile d’une laideur à motiver tout peintre débutant, mais dont le coût s’élève à près de cent mille dollars. Une profonde respiration vient confirmer à Julien que Philippe est toujours vivant. Sa chaise pivote d’un quart de tour pour reprendre sa position initiale.

— Ta vie est en danger! Si tu restes par ici, cet homme ne reculera devant rien pour te faire taire. Ta tâche est terminée, c’est maintenant à moi de continuer cette investigation.

— Et à recevoir tous les honneurs! Je me tape le travail ingrat et au moment de mettre un nom sur le fraudeur, vous m’évincez de l’enquête.

Le poing de Philippe s’abat lourdement sur le bureau. Ses sourcils frisottés se froncent brusquement et son regard se durcit davantage, comme s’il était encore possible de le faire. La rougeur de son visage démontre clairement qu’une colère latente est sur le point d’exploser. Julien en est troublé. Jamais il n’a vu Sansregret se mettre dans un état pareil. Lui qui croyait recevoir une tonne de félicitations, voilà qu’il a le désagréable sentiment d’être coupable. Coupable de quoi au juste? Coupable d’avoir exécuté un excellent travail de recherche? Coupable d’être à quelques heures de découvrir celui qui depuis des années s’enrichit aux dépens de la compagnie?

Quoi encore! Coupable d’être compétent?

— Tu vas faire exactement ce que je te dis! Tu m’entends? Tu prends ce billet et tu fous le camp de Montréal.

— Ce n’est vraiment pas juste.

— Juste ou pas; ça m’est tout à fait égal. Je ne veux absolument pas avoir ta mort sur la conscience.

— Je n’ai peut-être que vingt-huit ans, mais je suis tout de même assez grand pour juger si je suis en mesure de faire face aux difficultés ou non. Je ne cours aucun risque. Le fraudeur n’a aucune idée de ce qui l’attend. Lorsqu’il apprendra que c’est moi qui le traque depuis si longtemps, il sera trop tard. Je ne vois pas comment il pourrait menacer ma vie, derrière les barreaux.

— Un taxi est en bas. Tu le prends et tu files! Tu es congédié!

Un demi-tour de la chaise pivotante vient clore la conversation. Julien est furieux. Le majeur pointant vers le plafond, il grimace son mécontentement. Il est soudainement tenté de crier à l’injustice, haut et fort. Cependant, il sait très bien que Sansregret ne revient jamais sur une décision. Ses bras retombent le long de son corps alors qu’il se lève de son fauteuil. Il n’a pas d’autre choix que d’abdiquer. Son curriculum vitae aurait été grandement valorisé s’il avait conclu lui-même cette affaire. D’être reconnu comme un enquêteur expert lui aurait ouvert de nombreuses portes. Mais voilà que Sansregret le prive, sans raison, de cette notoriété.

* * *

Sur l’asphalte, qu’une pluie intermittente n’a cessé de noircir durant toute la journée, se reflètent les néons des grands magasins et les nombreux lampadaires qu’un début de nuit vient d’allumer.

Contrairement à la majorité des conducteurs de taxi, celui qui amène Julien à la gare n’est pas bavard. Il n’a pas attendu que son client lui fasse part de sa destination avant de décoller. Comme s’il savait déjà où il devait aller. Bien entendu, Philippe a tout prévu.

Devant, le feu tourne au vert. Julien jette un regard vers la droite et aperçoit, sur la rue transversale, une voiture sport qui ne semble pas vouloir s’arrêter au rouge. L’impact est imminent. Julien blêmit. Le conducteur du taxi ne réagit pas. Il est dans son droit et ce n’est sûrement pas un petit téméraire qui le fera changer de trajectoire.

Tout à coup, sorti de nulle part, un homme apparaît au beau milieu de la rue, à quelques mètres à peine devant la voiture sport. Le chauffard n’a d’autre choix que de bifurquer vers sa gauche et, par le fait même, évite le taxi de justesse. Julien respire à nouveau. Il s’en est fallu d’une fraction de seconde pour aller jouer éternellement de la harpe sur un nuage. De toute évidence, son heure n’était pas arrivée pour passer de vie à trépas.

Par la lunette arrière, il voit l’homme, son sauveur, qui tourne la tête dans sa direction. Bien qu’il rapetisse à vue d’œil, Julien reconnaît en lui un vagabond au visage embroussaillé d’une barbe épaisse. Son long imperméable beige et sale traîne jusque sur la chaussée. Une casquette grotesque couronne sa chevelure abondante et dégoulinante, tombant sur ses épaules qui lui paraissent assez frêles. Il en a pitié. L’espace d’un moment, il est tenté d’ordonner au conducteur de prendre à son bord celui à qui ils doivent la vie. Il rejette cette idée.

L’homme disparaît de la vue de Julien alors que le taxi effectue un virage à gauche. Il aurait voulu le remercier de l’avoir ainsi sauvé. Il n’est pas dupe. N’eût été la présence de ce malheureux vagabond, l’accident aurait été inévitable. Et la mort, instantanée.

— Nous n’allons pas dans la bonne direction, se risque à dire Julien en approchant son visage de l’oreille du conducteur. Il fallait tourner à droite.

Qu’un léger grognement lui est offert en retour de son affirmation. Julien est sidéré par le peu de loquacité de ce chauffeur au crâne dégarni et surtout par sa réaction grossière. Ça suffit pour aujourd’hui. Ce genre d’attitude l’exaspère. Les relents de sa colère envers Sansregret sont toujours présents dans sa tête. Et puis la façon de conduire de ce chauffard ainsi que celle du grognon devant lui n’arrange en rien son humeur massacrante.

— Arrêtez ici, lance-t-il sèchement!

Le taxi continue sa route sans même démontrer une quelconque hésitation. Cet homme est sûrement sourd et muet! Non. Il lui a souhaité le bonsoir lorsqu’il s’est engagé dans le véhicule. Il a des ordres. Celles de Philippe. C’est inacceptable. Sansregret ne peut tout de même pas décider de tout. Julien est assez grand pour savoir ce qu’il a à faire. Loin devant, un feu de circulation pend au-dessus de la rue. Si, par chance, ils doivent s’arrêter au rouge, il en profitera pour quitter la voiture. Julien jette un œil au compteur. Douze dollars. Il soulage son portefeuille d’un billet de vingt dollars et se tient prêt à le lancer sur la banquette avant.

Brusquement, les freins du véhicule sont actionnés et après une légère glissade sur l’asphalte reluisant, celui-ci s’immobilise. Julien n’y comprend rien. Ce conducteur est complètement marteau!

— Qu’est-ce qui vous prend?

Cette fois, l’homme tourne vers lui un visage mi-cruel, mi-souriant. Une certaine lueur de satisfaction brille dans ses yeux. Celle que l’on ressent pour un devoir accompli. Julien détourne le regard, incapable de soutenir davantage celui du chauffeur. Il est totalement décontenancé.

Envahi par un profond désir de prendre la fuite, il sonde la poignée de la porte. Verrouillée! Il cherche un instant, mais ne trouve pas le mécanisme de déverrouillage. Il est pris au piège. Quel piège? Pourquoi un chauffeur de taxi voudrait-il le séquestrer de la sorte?

— Le petit monsieur est arrivé à destination.

— Ce n’est pas la gare!

— Le petit monsieur a un rendez-vous au bout de la ruelle.

Effectivement, la bouche d’une ruelle étroite et sombre s’ouvre toute grande à sa droite. Elle n’a rien d’invitant. Au contraire, elle est lugubre, sale, mal éclairée. Pas question pour Julien de s’engager dans un endroit aussi peu accueillant. Et puis, quel rendez-vous? La peur le saisit brusquement en traîtresse. Son sang se glace. Philippe avait raison de l’obliger à quitter Montréal. Il sait maintenant que sa vie est en péril. Trop tard. Le fraudeur l’a battu de vitesse. Et surtout de finesse!

Je n’ai rendez-vous avec personne!

— Bien sûr que si, mon petit monsieur.

— Qui? Qui veut m’attirer ainsi dans un guet-apens aussi flagrant?

— La mort, mon petit monsieur. La mort.

La mort! Il est beaucoup trop jeune pour ça! Sa carrière d’enquêteur privé ne fait que commencer. De plus, une carto-mancienne lui a prédit, pas plus tard que la semaine dernière, qu’il aurait une longue vie heureuse et gratifiante. Son heure n’est sûrement pas arrivée. Si c’était le cas, le chauffard de tantôt y aurait mis un terme.

Le conducteur du taxi quitte son poste et contourne le capot du véhicule pour aller se planter au milieu du trottoir à gauche de la ruelle. Julien décèle une ombre qui se détache sur le sol et qui s’immobilise à droite de l’entrée de cette foutue ruelle. Un acolyte. Décidément, il s’agit d’un coup très bien préparé. Il est coincé. Il sonde la portière de l’auto donnant sur la rue. Pas plus de succès qu’avec sa consœur. Le conducteur est maître de la situation, il doit se résigner.

Il expulse tout l’air de ses poumons avant de lever un visage aux traits visiblement vaincus en direction de son geôlier. Ce dernier sourit et, de son contrôle à distance, il déverrouille la porte côté trottoir.

— Le petit monsieur devient raisonnable à ce que je vois.

Julien jauge le gabarit de ses escortes et admet intérieurement qu’il n’est pas de taille à les combattre. La résignation n’est pas déshonorante en soi et c’est en relevant fièrement la tête qu’il s’engage dans le couloir sombre qui s’allonge devant lui. Ses pas se font, néanmoins, lents et hésitants. Pas question pour lui de courir à sa mort. Mieux vaut l’affronter dignement et prendre le temps de comprendre pourquoi cela lui arrive.

Dix mètres devant lui, une silhouette se dessine. Un homme portant un chapeau l’attend patiemment. Dans sa main, un objet brillant. Sans doute une lame destinée à son exécution. Julien sent, derrière lui, la présence des deux cerbères. De chaque côté, des palissades, hautes de trois mètres, refoulent dans son esprit, toute intention de fuite. Même l’immense conteneur à ordures qu’il vient de dépasser ne pourrait lui permettre d’enjamber cette forteresse qu’il juge malheureusement infranchissable.

Tout à coup, un grognement s’élève. Un grommellement que Julien croit reconnaître pour l’avoir entendu il y a quelques minutes à peine. Il avait été produit par le chauffeur du taxi. Il se retourne vivement. Le malfrat gît sur le sol. Un ultime soubresaut; son corps demeure immobile. La surprise, et surtout l’embryon d’un espoir, redonne aux joues de Julien une légère teinte rosée. Il se sent envahi d’une force qui ne lui est pas commune, d’un désir de vivre. Il avait perdu ce dernier en s’engageant dans la ruelle. Cependant, le visage de l’acolyte du décédé en dit long sur ses intentions de vengeance. Julien n’y est pour rien! Il marchait à quatre mètres devant. Comment aurait-il pu abattre cet homme?

— Tu as commis une énorme erreur, Julien!

Cette fois, c’est la consternation. Toute une vie se déroule devant les yeux de l’infortuné. Surtout les derniers jours. Elle s’arrête sur la note qu’il a découverte dans un dossier concernant une fraude de deux cent mille dollars et qui portait, au bas de la dernière page, les lettres P et S.

Il se retourne vivement pour tenter de percer la noirceur de son regard perturbé et d’atteindre celui de la silhouette au chapeau. Elle est trop floue, mais maintenant il sait. Il sait qui se cache dans l’ombre de cette ruelle. P et S! Comment est-ce possible qu’il n’ait pas fait de rapprochement?

— Philippe Sansregret! C’est donc vous! C’est vous qui avez fraudé votre propre compagnie de plusieurs millions!

— Je t’avais sous-estimé. Tu n’avais qu’à échouer pour rester en vie.

Un second grognement vient se répercuter sur les palissades. Julien fait volte-face avec une rapidité inouïe. Le deuxième cerbère a rejoint son congénère. Il se tord de douleur. Dans ses yeux écarquillés, Julien peut y lire une peur intense, un désarroi indescriptible.

Tout à coup, un bruit de course lui révèle que Philippe a pris ses jambes à son cou et qu’il fonce à toute allure vers l’autre extrémité de la ruelle meurtrière. Puis, aussi soudainement qu’est survenue la mort des deux lascars, le son sourd d’un corps qui s’effondre sur le sol vient confirmer à Julien que son ex-patron a, à son tour, été fauché mystérieusement.

Il n’y est pour rien! Il n’a pas d’arme! C’est de la pure folie, du délire! Serait-il atteint de psychose? Un schizophrène en puissance qui a de la difficulté à contrôler ses actes; qui n’a pas conscience de ce qu’il fait?

Non. Il est tout à fait normal! Ce n’est pas lui qui a tué ces trois hommes. C’est tout simplement absurde tout ça. Poser des gestes aussi vindicatifs sans s’en rendre compte est incontesta-blement impossible.

* * *

L’effet de choc paralyse littéralement Julien alors qu’il devrait en profiter pour déguerpir de cet endroit le plus rapidement possible. Son regard désemparé tournoie autour de lui. Il doit y avoir une explication à tout ça. Il est enquêteur après tout. Il doit la trouver.

Un mouvement attire son attention. Près de la benne à ordures, quelque chose ou quelqu’un a bougé. Quelqu’un, bien sûr! Il s’en veut d’avoir eu cette idée saugrenue qu’une chose pouvait se déplacer ainsi. Il plisse légèrement les yeux afin de focaliser sa vision sur le conteneur. Ça bouge encore!

— Qui est là?

Les secondes défilent dans le silence durant un long moment. Toute une série d’hypothèses vient troubler les pensées de Julien qui les rejette les unes après les autres. Il ne parvient pas à trouver un sens à ce qui s’est produit sous son nez. Par surcroît, l’impression d’être le suivant sur la liste des décédés commence à le hanter de plus en plus. Pourquoi en serait-il autrement? Bien sûr, il est du côté des bons, mais cela ne lui garantit pas d’être épargné par le tueur invisible.

Il répète sa question; mais cette fois, en pleurnichant. On repassera pour le courage. Après tout, il n’y a pas de honte à avoir de craindre la mort. Tous les condamnés ont cette réaction avant de périr par la main d’un bourreau.

Une ombre quitte l’abri du conteneur. Une ombre qui n’est pas totalement inconnue de Julien. Elle porte un long manteau qui traîne sur le sol. Elle est également coiffée d’une casquette. Le vagabond!

— Qui êtes-vous? crie-t-il d’une voix désemparée.

— Ton ami de passage, tout simplement.

— Comment pouvez-vous être mon ami alors que je ne sais pas qui vous êtes?

Ignorant la question, l’homme avance de quelques pas. Julien recule, craintif. Un rayon de lune, qui vient tout juste de quitter le couvert des toits, se pose sur le visage sauvage de l’in-connu, confirmant à Julien qu’il s’agit effectivement du vagabond. Malgré cela, il ne parvient pas à déceler son regard, ses yeux étant cachés par l’ombre de sa casquette.

— C’est vous qui avez tué ces hommes?

— Leur heure était arrivée, répond-il simplement tout en jetant un œil au cadran lumineux de sa montre-bracelet.

— Et la mienne, non?

— Pas encore, en effet. Mais elle approche. Il n’est que vingt-deux heures.

Le désagréable sentiment qu’un vampire suce son sang jusqu’à la dernière goutte s’empare de Julien. Son cœur bondit et rebondit dans sa cage thoracique. Ses poumons sont sur le point d’imploser tellement il a du mal à puiser l’air environnant. Toutes ses pensées virevoltent dans un indescriptible méli-mélo.

— Mon… heure… approche? réussit-il néanmoins à balbutier, incertain de vouloir entendre la réponse.

— L’heure de ton train. Oui. Il quittera la gare dans à peine quinze minutes.

Julien est abasourdi. Ce vagabond sait quelle est sa desti-nation. C’est à n’y rien comprendre. Cependant, il n’a pas prévu que, par son intervention, ses plans sont complètement chamboulés. Maintenant que le fraudeur est mort, il ne voit plus l’utilité de se rendre à Vancouver pour s’y réfugier. Montréal est sa ville natale et il tient à y habiter le reste de ses jours.

Malheureusement, il y a une ombre au tableau. Comment va-t-il pouvoir expliquer aux policiers la présence de ces cadavres qui jonchent la ruelle, sans pour autant se voir accusé d’être l’auteur de ces crimes? Légitime défense, bien sûr. Le vagabond sera son principal témoin puisque c’est lui qui l’a tiré des griffes de ces assassins. Il refusera certainement de confirmer son rôle dans cette histoire. Julien est aussi coincé qu’il l’était à bord de la voiture taxi. Il n’y a pas d’issue. Sauf Vancouver.

D’un signe de la main, comme s’il était parfaitement conscient du dilemme dans lequel se confrontent les pensées de Julien, le vagabond l’invite à le suivre vers l’entrée de la ruelle. Confiant que son protégé lui obéira à la lettre, l’inconnu se glisse sur le siège conducteur du taxi et fait démarrer le moteur. Derrière lui, le bruit de la portière en se refermant lui indique que Julien est à bord et qu’il est fin prêt à se laisser mener à la gare sans offrir d’opposition.

— Quel est votre nom?

Le vagabond sourit pour la première fois; découvrant une rangée de dents ébréchées et tachées; œuvre du temps. Julien se déplace légèrement pour tenter de détailler, via le rétroviseur, les traits de son bienfaiteur. Ses yeux restent dans l’ombre. Impossible de croiser son regard. Après une courte moue de déception, Julien s’adosse franchement à son siège.

— Mon nom importe peu. On m’en a donné plusieurs dans mon existence. Il n’y en a qu’un seul que je préfère plus que les autres. Tu peux tenter ta chance et essayer de le découvrir.

— Je n’ai pas le cœur à jouer aux devinettes. D’où venez-vous?

— De partout et de nulle part. Je n’ai vraiment pas de port d’attache. J’ai fait le tour du monde un nombre de fois incalculable. Alors, encore là, à toi de trouver où je suis né.

Déboussolé par des réponses aussi évasives, Julien doit capituler. Il n’arrivera jamais à tirer quoi que ce soit de clair de la part de ce vagabond. Mieux vaut garder le silence et ne pas insister à maintenir le cap sur une route qui ne pourrait le mener qu’à l’exaspération. Il a eu assez d’émotions pour l’instant.

* * *

À la billetterie de la gare, Julien est surpris par le com-portement du contrôleur. Ce dernier accepte d’emblée son bout de carton, mais jette à peine un œil sur celui que le vagabond lui présente. Comme s’il le connaissait déjà. Un autre mystère qu’il ne tient pas à élucider pour le moment. Son équilibre psychique en a pris pour son rhume ce soir et tenter de comprendre ce qui se passe réellement pourrait le conduire à la folie pure et simple. Une bonne nuit de sommeil dans une voiture-lit va le remettre sur le piton et ce n’est qu’à ce moment qu’il s’attaquera à ce mystère.

La grande salle que doivent traverser Julien et son ami insolite grouille de monde. Une vraie fourmilière. Il est pourtant tard! Vingt-deux heures quatorze. C’est, pour le jeune homme, une première expérience à la gare depuis de nombreuses années. Jamais il n’aurait cru qu’autant de gens l’utilisent. Surtout en fin de soirée.

— Vite, s’impatiente le vagabond. Ton train est sur le point de se mettre en branle.

Une main, ferme et d’une froideur glaciale, se saisit du bras de Julien et l’entraîne, presque de force, vers le quai où est indiqué « Destination Vancouver ». Le vagabond a raison. Le bruit des wagons qui s’entrechoquent, au moment d’amorcer son départ, parvient à ses oreilles. Plus de temps à perdre. Sinon il va rater son embarquement.
En toute hâte, ils zigzaguent à travers la marée humaine. Le mystérieux personnage abandonne son emprise et libère Julien. D’un hochement du chef, ce dernier remercie son bienfaiteur de tout ce qu’il a accompli pour lui pendant cette dure soirée. Bien que l’ombre de sa casquette dissimule toujours ses yeux, Julien croit déceler une certaine lueur émanant de son regard.

Tout à coup. Julien perd pied. Un lacet détaché est la cause de son déséquilibre. Le vagabond le rattrape, in extremis, au moment où sa tête est sur le point de glisser sous une des énormes roues métalliques du wagon. Mourir de cette façon, le crâne broyé, n’est pas exactement ce que la cartomancienne lui avait prédit. De toute façon, cette femme doit faire partie, sans aucun doute, de la confrérie des charlatans, puisque rien ne se passe comme elle lui avait dit.
— Merci, encore une fois.

Le bon samaritain reste muet. Il jette un regard autour d’eux. Des enfants, aux pieds de leurs parents qui envoient la main à un quelconque voyageur, s’amusent avec une minuscule voiture métallique. L’un d’eux croise les yeux du vagabond et, comme s’il n’avait plus le contrôle de ses actes, donne une formidable poussée à la petite auto. Le jouet file à toute vitesse vers Julien qui s’apprête à sauter dans le wagon.

Le vagabond regarde sa montre. Vingt-deux heures quinze.

— Maintenant. C’est l’heure!

Julien pose le pied sur la voiturette qui arrive en trombe, fait une chute dans des mouvements acrobatiques incroyables, puis s’abat lourdement sur le plancher avant de rouler sur le rail. Un terrible cri recouvre le brouhaha de la gare qui se tait aussitôt. Le corps de Julien est coupé littéralement en deux, étranglant son dernier cri.
Brusquement, un tourbillon de poussière et de fumée s’élève, entourant le vagabond, le faisant disparaître complètement. Une fois dissipé, le nuage révèle la véritable identité de celui qui a accompagné Julien dans son dernier voyage.
Vêtue d’une longue aube brune à capuchon et tenant dans sa main droite, une énorme faux, La Mort s’éloigne lentement du quai de la gare et s’évanouit dans un brouillard.
.

 

 

AU SUJET DE L'AUTEUR

PIERRE CUSSON

 

L’auteur est né en décembre 1951 à Sainte-Martine en Montérégie. Sa vie entière s’est déroulée dans ce coin de pays ; ses études, son travail jusqu’à sa retraite. Il profite de cette dernière pour concrétiser son rêve d’enfant ; celui de faire paraître ses écrits afin de les offrir aux lectrices et lecteurs du Québec, du Canada tout entier et d’ailleurs dans le monde.

Dès l’âge de 13 ans, Pierre Cusson termine son premier roman de science-fiction Les envahisseurs viennent de l’espace. Malheureusement pour lui, les maisons d’édition auxquelles son père s’est adressé ont refusé, malgré certains commentaires positifs, de faire paraître son roman. Un éditeur en particulier a catégori-quement refusé de rencontre et le père et le fils, prétextant qu’il était impossible pour un garçon de son âge d’écrire un roman.

Quoiqu’il en soit, ces refus n’ont pas freiné la passion de Cusson pour mettre noir sur blanc toutes les histoires évoluant jour et nuit dans sa tête. Un second roman de science-fiction, Soucoupe contre soucoupe, a été complété alors qu’il n’avait pas encore 15 ans. La réaction des maisons d’édition a été la même, mais avec moins de scepticisme. Une éditrice a toutefois pris la peine de lui téléphoner pour le féliciter d’avoir inclus deux femmes parmi ses 4 principaux personnages et l’a encouragé à continuer d’écrire ; qu’un jour il parviendrait à se faire éditer.

Pendant plus de 35 ans, Cusson s’est contenté d’écrire des romans, des nouvelles ainsi que de la poésie sans les proposer à des maisons d’édition, préférant vivre pleinement sa vie de famille ; son épouse et leurs 4 enfants.

Néanmoins, en 2001, aidé par son épouse, il a fait paraître à compte d’auteur, un recueil de poésie Nuages de rêves. La même année, la maison d’édition France-Europe lui a proposé d’intégrer 10 de ses poèmes dans un collectif de poésie en Europe, Le Damier 3.

Toujours en 2001, Cusson a obtenu la 3e position dans un concours de nouvelles à Bayonne en France, ce qui l’a rempli de fierté.

Ce n’est pourtant qu’en 2010-2011 que l’auteur a fait paraître ses deux premiers romans ; Le prédateur du fleuve et L’artiste, par l’entremise de La Fondation Littéraire Fleur de Lys. Ces publications ont été le coup d’envoi de son cheminement en tant qu’auteur de romans à suspense.

Aujourd’hui Cusson en est à présenter aux lectrices et lecteurs son 11e manuscrit ; un recueil de nouvelles intitulé Histoires d’esprits.

Du même auteur

 

2001 — Nuages de rêves : Aide à l’édition : Les éditions à la Carte.

2001 — Le Damier 3 : collectif de poésie : Éditions France-Europe.

2011 — Le prédateur du fleuve : Fondation Littéraire Fleur de Lys.

2011 — L’Artiste : Fondation Littéraire Fleur de Lys.

2012 — Sous la poussière des ans : Éditions Bellefeuille.

2014 — Le Prédateur du fleuve : Le marinier ; repris par les Éditions Pratiko.

2014 — Le Prédateur du fleuve : L’Artiste ; repris par les Éditions Pratiko

2015 — Lédo : Éditions Pratiko.

2016 — Garok : Éditions Pratiko.

2019 — Le Copieur : Éditions AdA.

2019 — Le presbytère de l’horreur : Éditions AdA.

2021 — Jeu d’indices : Éditions Lo-Ély.

2023 — L’Ange purificateur : Éditions Lo-Ély.

2024 — Au nom de Claire : Éditions De l’Apothéose.

2001 — Nuages de rêves : Aide à l’édition  Les éditions à la Carte.

2001 — Le Damier 3 : collectif de poésie : Éditions France-Europe.

2011 — Le prédateur du fleuve : Fondation Littéraire Fleur de Lys.

2011 — L’Artiste : Fondation Littéraire Fleur de Lys.

2012 — Sous la poussière des ans : Éditions Bellefeuille.

2014 — Le Prédateur du fleuve : Le marinier ; repris par les Éditions Pratiko.

2014 — Le Prédateur du fleuve : L’Artiste ; repris par les Éditions Pratiko 

2015 — Lédo : Éditions Pratiko.

2016 — Garok : Éditions Pratiko.

 

 

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Pierre Cusson se fera un plaisir de lire et de répondre personnellement à vos courriels.

Adresse de correspondance électronique :

pierrec55@hotmail.com

 

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