AVERTISSEMENT
Ce roman est une véritable fiction et toute ressemblance avec des personnes
connues est tout à fait fortuite et pure coïncidence. Les noms de tous les
personnages sont de véritables créations, étant sauf le nom de la fondatrice
des sœurs de l’Immaculée-Conception, et ils ne se réfèrent à aucune personne
vivante ou décédée. Le fait de donner des noms à tous les personnages, cela
donne l’impression qu’ils existent vraiment dans la réalité.
En toutes circonstances, la liberté créatrice de l’auteur s’est exprimée.
L’art du roman n’est-il pas de rendre crédible l’imaginaire de l’auteur ?
Je vous remercie de tout cœur, chère lectrice et cher lecteur, de tenir
compte de cet avertissement.
René A. GAGNON
CHAPITRE 1 - EXTRAIT
Y a eu son compte
21 h 19
— Il ne perd
rien pour attendre celui-là ! Regardez-le s’agiter comme s’il dominait
l’univers. C’est aujourd’hui que ça arrête. Stop, rien ne va plus. Fils de
pute !
À travers une fenêtre, au deuxième étage d’un duplex, on apercevait un homme
qui discutait au téléphone, le combiné coincé entre sa tête et son épaule
gauche. Il semblait s’exprimer autant avec ses mains qu’avec ses lèvres.
— Tu parles d’une idée d’ouvrir un bureau sur une artère habituellement très
passante. Espèce de crotté ! Y est entouré de duplex. Un quartier propre,
mais pauvre. Ça doit être rempli d’écornifleurs et de vieilles pies
rabougries. C’est mieux de ne pas courir le risque d’avoir des témoins. Je
ne peux pas le tirer toute de suite. Viande à bibittes ! Trou du cul !
Il pleuvait beaucoup… une véritable pluie torrentielle s’écoulait par une
fin de chaude soirée, vers l’achèvement de l’été. La ville de
Notre-Dame-du-Chêne attendait avec impatience ce déversement orageux pour
chasser un degré d’humidité étouffant qui persistait depuis trois jours. Le
thermomètre se maintenait aux environs de 310 C durant le jour et il ne
descendait pas plus bas que 250 C après le coucher du soleil. Avec un taux
d’hygrométrie de 65 %, la température ressentie quelques heures après
l’aurore s’élevait à 420 C et à 310 C la nuit. Il était donc préférable
d’éviter tout effort physique.
— Il me fait suer l’écœurant ! J’en ai vu du monde à l’hôpital aujourd’hui !
C’est effrayant ! « Colisse » que ça allait mal ! Ç’a pris des heures avant
que mon gars soit soigné.
Les aînés, les cardiaques, les asthmatiques et tout autre individu qui
souffrait d’une maladie pulmonaire éprouvaient beaucoup de difficultés à
respirer normalement. Les salles d’urgence des hôpitaux de la région étaient
occupées à 145 % et le personnel infirmier ignorait où entasser les
patients. Il y avait même eu, en cette troisième journée de canicule, une
panne d’électricité de plus de deux heures. Les autorités de la Santé
publique avaient craint le pire, mais heureusement, on ne déplorait aucun
décès imputable au climat. Par contre, la très grande chaleur avait
certainement épuisé les malades les plus faibles. Dans les statistiques,
l’on n’attribuerait pas les prochains décès aux conditions météorologiques
comme ceux qui s’étaient produits ailleurs dans la Province du Québec. Les
seules personnes qui avaient perdu la vie ces derniers jours dans les
diverses institutions de soin de la région se trouvaient déjà en phase
terminale.
— Tu ne comptes sûrement pas mourir dret là, salopard ! T’aurais pas un
sourire au travers de ta maudite face ! La grande faucheuse va te
surprendre, chien sale. J’anticipe ce moment avec une méchante satisfaction.
Chaque seconde d’attente augmente mon plaisir. Quasiment un orgasme ! Un
vrai trip de toxico avant qu’y ait sa dose ! Espèce de pourriture ! Tu ne
perds rien pour attendre ! T’es rendu à ta dernière heure et tu l’ignores.
Ton temps est compté ! Salaud !
Dans les mouroirs, l’ultime soupir avait été longuement espéré, voire
désiré. Mais pour leurs proches, même dans le cas d’une fin souhaitée, cela
représentait un choc. Car la mort signifie une rupture définitive avec la
personne qui avait partagé avec eux leurs passions, leurs joies et leurs
difficultés. Pour d’autres, ils seraient débarrassés d’un être humain qui
les avait fait tant souffrir. Pour d’autres, encore, cela les laisserait
totalement indifférents en raison du faible lien tissé entre eux et certains
pourraient se demander s’il y avait déjà eu une relation quelconque. Pour
plusieurs, autant les membres de la famille que la personne mourante étaient
soulagés.
— Y aurait pas pu travailler hier soir, ce dégueulasse-là ! Avec toute cette
pluie, j’espère que je ne manquerai pas mon coup. Ordure !
Les citoyens, au contraire, saluèrent cet orage comme un don venu
directement du ciel en ce mardi 30 août 2011. La nature aussi semblait se
délecter de cette douche providentielle. Les arbres, les plantes décoratives
et les gazons chantaient tous un cantique de remerciement à la déesse-mère,
la terre.
— Enfin, tu sors de ta tanière. Oui, cours à ton auto pour pas te faire
mouiller ! La chasse commence ! Charogne ! Tu prends vraiment tout ton temps
pour démarrer. Quoi ? Tu n’empruntes pas ton chemin habituel ? Tu déranges
toujours mes plans, fumier ! Tu vas y goûter pour le vrai, cette fois-là !
Inquiète-toi pas, je te suis ! On roule. Quoi ? On se rend dans la partie
sud de la ville ? Au lieu de se diriger à l’ouest ?
Les puisards n’arrivaient pas à engouffrer toute cette eau qui dévalait des
trottoirs et dans les rues. Elle entraînait avec elle de la boue et des
cailloux provenant d’un terrain vague où se construisait un supermarché
d’alimentation. Une nappe d’eau recouvrait certains endroits. Non loin de
là, il y avait deux stations-service qui se faisaient presque face de chaque
côté de la rue Maurice. Ainsi l’on pouvait desservir les clients de cette
artère principale qui longeait la rivière Ohanko, nom amérindien qui
signifie « nerveux ». Jérôme Aubert de la Chesnaye et Adam Chouart des
Groseilliers avaient fondé le village de Notre-Dame-du-Chêne au XVIIIe
siècle. Ils avaient choisi de s’établir à cet endroit particulier parce que
la rivière offrait un bon potentiel pour l’érection d’un moulin. Maintenant,
elle divisait la ville en deux parties inégales, environ un tiers au nord et
deux tiers au sud de ce cours d’eau. En direction est, la rue Maurice menait
au centre-ville et en direction ouest, les gens pouvaient quitter la ville.
L’une des deux stations-service abritait le dépanneur « Chez Edmond » et
l’autre, le service de location de films « Montpetit Vidéo ». En cette fin
de journée, en raison du mauvais temps, il n’y avait que très peu de clients
qui s’arrêtaient pour remplir leur réservoir d’essence. Encore moins de gens
se présentaient pour acheter quelques nécessités oubliées à l’épicerie ou
pour louer un film.
— Oh ! C’est tranquille ici. La déflagration de la foudre va couvrir mon
tir. De mieux en mieux. Satanée peste !
Parfois, le tonnerre se faisait entendre dans des grondements qui semblaient
causer un léger tremblement de terre. En d’autres moments, les éclairs
lézardaient l’espace céleste, se frayant un chemin au travers de nuages
noirs, gonflés à bloc d’une colère trop longtemps retenue. La lumière ainsi
projetée avec force imprimait un avertissement divin dans un ciel
mouvementé. Les éclats d’illuminations affichaient de manière embrouillée,
en raison de la chute diluvienne de pluie, bâtiments et paysages comme une
peinture surréaliste. Le tonnerre retentissait tout comme l’effet d’un
caisson de grave et les éclairs de stroboscope. Il ne manquait plus que la
musique pour figurer se retrouver dans un club de danse qui serait mené par
un adepte invétéré du speed . Pire encore, de se voir catapulter dans un
mauvais film d’horreur. La nature se faisait-elle complice d’intentions
malveillantes ou en était-elle seulement l’interprète ?
— Parfait ! Il veut faire le plein d’essence. Il va se montrer. Une proie
facile. C’est plus intéressant que la chasse aux canards. Mon père ignore
totalement le bénéfice qu’il m’a rendu en m’initiant à tirer du fusil. Viser
juste et tuer ! Chien sale !
Une voiture en très bon état d’usage malgré ses dix ans, s’arrêta pour
prendre de l’essence à la station-service « Montpetit Vidéo » en direction
ouest. Sur les quatre pompes en service, elle fut garée près de la pompe la
plus près de la porte d’entrée du magasin.
On devait insérer une carte de crédit ou de débit dans l’ordinateur des
pompes près de la rue si l’on désirait obtenir de l’essence. Cette pratique
avait été instaurée pour éviter les vols. Aux deux premières pompes, les
clients pouvaient payer à la caisse et bénéficier des avantages offerts par
la carte CAA . Voulant profiter de cette prime, un homme, début
cinquantaine, s’était garé à l’endroit approprié.
— Y est pas capable de me faciliter la tâche ! Espèce de dégueulasse ! Il
fait exprès même sans le savoir. Peau de vache ! Les pompes vont le
dissimuler. Patience ! Au paiement, je l’aurai, le verrat !
Il ouvrit donc la portière et sortit en direction de la pompe. Apparut un
individu de taille moyenne et pas un gramme de gras sur tout le corps. Il
était envié par plusieurs connaissances de son entourage. Il portait une
courte barbe de même couleur que ses cheveux bouclés poivre et sel. Un
pantalon noir et un polo jaune éclatant renforçaient son attitude joviale.
Il fit le plein. Il se dirigea vers le club vidéo, portefeuille en main,
pour payer son essence. Soudain, entre deux détonations du tonnerre,
lorsqu’il ouvrait la porte, un coup de feu retentit. La balle perfora la
vitre de la porte d’entrée pour se loger dans l’abdomen de cet homme.
L’individu tomba sur le dos. La jeune femme qui se tenait à la caisse se
cacha derrière le comptoir et elle se mit à pleurer avec frénésie.
Accroupie, tout en sanglotant, elle reprenait sans cesse à haute voix
qu’elle ne voulait pas mourir, qu’elle devait s’occuper de son bébé.
— Y a eu son compte, ce maudit suppositoire qui pousse dans le trou de cul
de tout le monde ! La douille ? Mais où est la douille ? Ce n’est pas le
temps de moisir ici. Je décolle.
Une voiture se défila alors à vive allure en direction ouest, ayant à son
bord le cerveau de cette machination perverse pour éliminer un individu qui
en savait trop sur sa personne... La douille avait été emportée par la
pluie. Elle était tombée dans le puisard qui était situé à quelques mètres
seulement de l’endroit où l’on avait tiré un coup de feu.