EXTRAIT
Le dernier des Gaulois, roman
fantastique, Richard Normand,
Fondation
littéraire Fleur de Lys
Avec le temps, cela devenait normal, naturel, dénué de toute forme de magie.
Dans la pénombre, Sam enfila sa dernière sandale et regarda Men étendue
complètement nue sur le lit. Elle n'avait pas bougé d'un cil. Les yeux
fermés, la respiration douce et paisible, elle aurait facilement pu tromper
n'importe qui : son sommeil n'étant qu'une simulation... une simple
apparence... pour la bonne raison qu'une créature comme elle n'avait aucune
conception du sommeil. Elle faisait semblant de dormir uniquement pour
plaire à son concepteur, puisque tel était sa nature de combler ses moindres
fantasmes. Exactement comme un génie dans une bouteille. Excepté que dans ce
cas-ci les voeux n'étaient pas au nombre de trois. Ils étaient illimités.
Oui, Sam voulait la regarder dormir, et elle se pliait à ses désirs, en
parfaite symbiose avec lui. En Walzsteiner qu'elle était. Sam n'était pas le
seul dans le monde à posséder un tel trésor, et loin d'être le premier.
L'empereur Charlemagne en avait eu une. L'alchimiste Albertus Magnus
aussi... Le père de Socrate... L’écrivain Francis Bacon, auteur véritable
d'Hamlet et de Don Quichotte... Tous étaient Pygmalion. Ils avaient tous
obtenu comme lui cette fameuse recette secrète qui, pour le reste des
incultes, demeurait interdite d'accès.
Interdite... Comme une myriade de choses était interdite à tous ces
esclaves.
Oui, Men, une Walzsteiner, était couchée sur un lit, et ce lit reposait sur
un plancher qui lui-même se trouvait dans une maison perdue au sein de la
grande cage des impostures. Sans conteste, ce monde était un véritable
univers de mensonges et d’écrans de fumée.
Pour tout un chacun; autant pour les oiseaux en cage, les poissons rouges
dans leur aquarium, les bébés entre mauvaises mains, et les petites filles
entourées de vieux oncles vicieux. Pour tous ceux qui ne pouvaient
s’échapper de cet enfer surpeuplé où ils grelottaient de froid l’hiver et
étouffaient de chaleur durant l’été. Où ils étaient nés pour échouer et être
asservis, à souffrir de chagrin, voire de malnutrition. À mourir sans jamais
connaître le fin fond des choses, la vérité toute nue et la victoire, le
succès et surtout, la magie dissimulée au coeur de la matière.
Oui, tous ces caves ne savaient rien... rien de rien... Et ce qui leur
échappait allait bien au-delà du simple duo musical faisant du lipsing à la
barbe de tout le monde, ou d'un sénateur cachant son homosexualité. Et dire
que ces gens faisaient tout un plat avec les morts suspectes de JFK, Marilyn
Monroe, Lady Di et ainsi de suite, ou se questionnaient sur la véracité de
l'alunissage d’Apollo 11 ou encore du World Trade Center comme si c’était là
les plus grandes mises en scène de toute l'histoire de l’humanité. Par tous
les dieux... s’ils savaient tout ce qu’on refusait de leur dire..., ils
bouillonneraient de rage ou se flingueraient de désespoir.
Sam lui, avait fait son choix.
Il n’allait pas se flinguer.
Il n’avait pas tout fait ce travail pour rien. Suivirent ses études, son
noviciat,... Men,... Celle qui était en osmose avec ses moindres pensées,...
qui n'avait pas d’odeur contrairement aux mortels. Non, il n’avait pas
effectué tout cela en vain. Et puis il avait une mission à accomplir.
Une mission beaucoup plus importante que la conception d'une Valseuse. Plus
que tout ce qui avait été fait jusqu'à ce jour. Plus qu’un simple moule à
travailler. Il allait retravailler le monde. Et la seule présence de sa
magnifique Walzsteiner étendue sur les draps lui prouvait qu’il pourrait
réussir.
Il lui avait donné vie, et pourtant elle était issue de la pierre.
Comme Pygmalion l’avait fait par le passé. Comme d'autres l'avaient fait.
Et elle était immortelle. Une Walzsteiner ne pouvait ni vieillir, ni tomber
malade... Bien que soumise toutefois à une seule règle fondamentale liée à
sa dépendance envers son concepteur; le toucher. C’était là le seul facteur
et la seule donnée qui permettaient de la garder en vie... et susceptible,
si oublié, de lui causer du tort.
Être effleurée, ne serait-ce que d’un doigt, au moins une fois tous les
cycles lunaires. Voilà la condition. Voilà ce qui allait permettre à Sam
d’en jouir aussi longtemps qu’il lui plaira... ou jusqu'à l’âge limite de 80
ans. Un seul petit contact et le mauvais sort était conjuré... Pour un
mois... Cette règle bafouée, et la Valseuse redevenait ce qu'elle avait été
au début; de la pierre. Irréversiblement.
Mais Sam avait l’esprit tranquille. Il savait qu’il ne pourrait pas passer
plus d’une journée sans prendre sa merveilleuse Men dans ses bras.
Tranquillement, il gagna les portes vitrées et sortit sur le balcon. Là, le
coeur débordant d’une énergie nouvelle, il gonfla ses poumons et brossa du
regard le paysage autour de lui.
Levant les yeux vers le ciel pur de l’aube naissante, il fixa l’horizon vers
l’est, dévisagea le soleil en brandissant le poing, et l’apostropha en ces
termes :
— Je sais qui tu es, astre du jour ! cracha-t-il avec mépris. Grâce à la
Panacée qui inonde mon corps, tu as été démasqué ! Que soient maudits ta
forme plate et tous ceux qui t'ont conçu ! Que ta lumière fadasse s’éteigne
à jamais et retourne aux Chanirs à qui tu l'as si outrageusement volée !
Indifférent à ses invectives, le soleil poursuivait son ascension
coutumière, tout juste au-dessus des arbres, mais sans pour autant ébranler
la confiance de Sam qui enchaîna sur le même ton acéré :
— Ta fin va bientôt sonner, faux astre du jour, simulacre de Chanir ! Tes
mensonges seront dévoilés à la face du monde et tu ne pourras plus rien
interdire ! Car je suis le dernier des premiers ! Le début d'une nouvelle
ère ! Et lorsque le grand midi adviendra, tu t'effondreras dans ton univers
de Ténèbres ! Et la paroi de ton faux ciel sera enfin anéantie !
« Mais il est fou » devaient se dire les voisins tandis que l’écho de ses
imprécations se perdait dans la vallée. « Qu'est-ce qu'il lui prend
d'enguirlander le soleil de cette manière, chaque matin, comme un imbécile,
et où cela va-t-il le mener ? Serait-ce l'enfance tragique qu'il a eue qui
en serait la cause ? Et les mauvais traitements subis y auraient-ils laissé
des séquelles permanentes ? Ou bien serait-ce ce cinglé d’apiculteur le
responsable ? Dieu seul sait ce qu’il avait bien pu lui fourrer dans le
crâne... Heureusement, ce criminel de guerre avait été démasqué. Il
croupissait en prison désormais et c'était bien fait pour lui. Mais alors...
Qu'attendaient donc les autorités pour intervenir maintenant auprès de ce
malheureux ? Attendait-on qu'il soit trop tard ?
Oui, en effet, c’est ce qu’ils devaient tous se dire ces empêcheurs de
tourner en rond, mais Sam n’avait que faire de leurs commentaires
silencieux. Son âme était désormais comme une grille à travers laquelle
pouvait souffler impunément le vent de leurs insultes et de leurs doléances
secrètes. Pour la première fois de sa vie, il était devenu quelqu’un oui,
Kelkun d’une certaine manière il s’était reconstruit pour assister à la
ruine du monde et ainsi annoncer son devenir. Sa métamorphose. Tout comme la
réalité était elle aussi sur le point de se transformer. Alors il ne
demandait qu’à crier sa victoire, sa nouvelle vision de la vie, à la terre
comme au ciel, au soleil à l’horizon. Et à la lune... Oui, cette maudite
lune... Pour qu’enfin les hommes se préparent au grand avènement.
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