Chapitre 1
L’homme avait l’air hébété. La
concentration lui était pratiquement impossible. À
travers les brumes de son cerveau, des fragments de
lucidité l’avaient conduit devant une vieille porte
barrée avec un cadenas, et à l’aide d’une lime
antique trouvée par hasard, dans l’anfractuosité
d’un mur, il avait silencieusement donné du mou aux
pentures. Les vis étaient rouillées et il avait
réussi à défaire la porte en se servant de la lime
comme levier. Cela avait été plus facile que prévu,
mais il ne le réalisait pas tellement. Il voulait
surtout ne pas faire de bruit, mais cela aussi était
plus ou moins conscient. De l’autre côté de la
porte, la noirceur régnait. La lueur de la lampe
provenant de la grande pièce peinait à pénétrer dans
cet endroit obscur.
Il ne savait pas ce qu’il faisait
dans cette maison, mais il savait que ce n’était pas
un endroit familier et son instinct lui commandait
de fuir. Ses yeux s’habituaient lentement à
l’obscurité… Il remarqua une partie plus obscure qui
semblait s’éloigner du mur intérieur vers
l’extérieur de la pièce. Il s’y rendit et allongea
la main. C’était froid et métallique. Il entendit un
sifflement et remarqua une toute petite lueur qui
séparait cette masse en deux. Il écouta
attentivement.
Il reconnut les manifestations du
vent. Il mit la main sur la lueur et sentit le
froid. Il frissonna. Ses gestes étaient lents. Il
lui fallait se battre avec son cerveau pour prendre
conscience de ce qui se passait. Comment sortir de
cet endroit qui lui faisait peur? Son instinct lui
suggéra de tenter de pousser doucement sur la masse
sombre pour rejoindre l’extérieur qu’il percevait
tout près.
Quelque chose bougea et il
entendit un bruit métallique qui lui fit peur. Il
lui avait semblé que le bruit était fort,
démesurément fort. Il arrêta tout mouvement et se
mit à écouter. Il n’entendit rien. Peut-être,
finalement, que le bruit n’avait pas été si fort. Il
n’était pas certain de ses sens comme s’ils étaient
tous soumis en même temps à des distorsions. Tantôt
il n’entendait pas ses pas, tantôt il les entendait
trop bien.
Il sortit à nouveau du
brouillard. Son esprit avait-il été longtemps
absent? Il ne le savait pas. Ses yeux se fixèrent
par hasard sur une petite bande noire le long de la
fente. Il allongea la main à nouveau. Il sentit une
protubérance. Il tâta de la main et reconnût avec
quelques misères une barre métallique reposant sur
un support en forme d’« U ». Il poussa légèrement
dessus et, au lieu de céder vers le haut, elle
bougea sur le côté. Il fut surpris. Il arrêta de
nouveau et écouta… Rien. Il partit de nouveau dans
les brumes et il en revint.
Sa main était toujours sur la
barre métallique. Il poussa à nouveau et il réalisa
qu’elle glissait de côté. La barre coula lentement
vers la gauche puis elle s’arrêta. Il tenta de la
pousser à nouveau, rien ne bougea. Il regarda à
nouveau la fente et remarqua qu’il n’y avait plus
d’interférence au milieu. Il entendait le vent. Il
sentait de temps à autre son souffle froid au
travers de la fente.
Il sortit du brouillard à
nouveau. L’obscurité régnait tout autour. Il
attendit. Lentement, quelques fragments
s’assemblèrent. Il réalisa qu’il avait le bras levé
et que sa main touchait du métal. Ah oui! Il se dit
qu’il devait tenter à nouveau de pousser sur le
panneau de métal et non sur la barre. Il prit ses
deux mains et poussa toujours lentement pour ne pas
faire de bruit… Pourquoi ne pas faire de bruit? Il
ne savait pas, seul son instinct en était convaincu.
Il sentit que le panneau avait bougé un peu. Ses
bras retombèrent et il se sentit curieusement comme
en état d’apesanteur. Il eut soudain le vertige. Il
paniqua… Il avait l’étrange impression que rien
n’avait de sens, c’était complètement fou.
Il remonta ses bras et mit ses
mains sur le panneau. Il poussa plus fort, du moins,
il le crut. La fente s’élargit soudainement. Le vent
s’engouffra et une substance blanche lui souffla la
figure. C’était froid. Il lui sembla qu’il
connaissait cette substance. Il continua de pousser.
Le panneau se trouva soudain à la verticale et il
l’échappa. Il fut horrifié. Aucun bruit métallique
ne se produisit. Il ne comprenait pas. Il voyait
maintenant à l’extérieur. Le panneau était toujours
aux trois quarts ouvert.
Tout était gris pâle à
l’extérieur et ce gris semblait bouger sans cesse.
Il demeurait là à fixer l’inconnu. Il aperçut
soudain de grands bras noirs à travers la mouvance
du gris. Puis, il vit quelque chose qui ressemblait
à un sapin. Comment savait-il que c’était un sapin?
Bizarre… Il entendit soudainement le vent, un vent
très fort. Il frissonna et recula dans le noir. Il y
avait encore ces brumes… Il revint vers l’autre
pièce, vers la clarté.
La lumière l’aveugla. La première
lumière qu’il avait vue n’était plus là. Où
était-elle? Il ferma les yeux et il la vit un peu à
nouveau. Une lumière pouvait-elle être dans le
cerveau? Il ne comprenait pas. Il ouvrit les yeux.
Il vit le lit et la lampe. Il eut froid aux pieds.
Il les regarda. Ils étaient nus, rien ne les
protégeait. Il frissonna à nouveau. Ses yeux
remontèrent sur son corps. Il découvrit qu’il était
nu.
Ce fut un choc. Il prit quelque
temps à comprendre tout cela. Il chercha du regard
et vit des vêtements sur une chaise. Il s’y rendit.
Il commença à s’habiller de façon plus ou moins
consciente. Tout en s’habillant, il remarqua des
taches noires sur ses vêtements. Il ne trouvait pas
d’explication sur la présence de ces taches. Il
s’habillait avec des automatismes. Il prit la
cravate et en la tournant autour du collet de la
chemise, il s’aperçut que ses mains étaient noires.
Il les regarda avec surprise. Il finit par
comprendre que les taches noires provenaient de ses
mains.
Lorsqu’il eut mis ses souliers,
il s’examina et trouva curieux qu’il se trouvât en
habit avec veston, chemise et cravate. Il lui sembla
que cela n’était pas de mise avec son environnement.
Il écouta à nouveau et n’entendit rien. Il revint
vers la pièce noire et vit un peu de blanc sur le
sol. Il y mit sa main et son esprit lui suggéra
soudain qu’il s’agissait de neige. Alors, il comprit
qu’il neigeait avec de grands vents et des
bourrasques. Il revint dans la première pièce et
regarda pour trouver un manteau et des bottes. Il ne
trouva rien. Il était perplexe. Il sentait qu’il
devait fuir ces lieux et son instinct lui disait de
trouver une protection quelconque pour aller à
l’extérieur. Il eut un vertige et essaya de
s’agripper au lit. Il s’assit quelques instants.
Il se retrouva soudain près de
l’ouverture dans l’autre pièce avec une couverture
de laine sur l’épaule et debout sur une chaise. Il
s’agrippa aux côtés de l’ouverture et se hissa à
l’extérieur. Le vent et la neige lui fouettèrent le
visage. Il lui sembla qu’il faisait moins noir. Il
s’éloigna de la maison et se retourna. À travers les
bourrasques, il distingua un genre de maison en bois
blanc et il entrevit l’ouverture d’où il était
sorti. Cela ressemblait à une ouverture de soute à
charbon et là, il comprit pourquoi il avait les
mains noires.
Une lumière s’alluma à une des
fenêtres, il prit peur. Il savait qu’il fallait
fuir. Il se dirigea à l’opposé de la maison et
parvint à un endroit où il y avait des arbres. Il se
retourna à nouveau et, avec difficulté à cause des
bourrasques de neige, il vit une automobile
stationnée près de ce qu’il pensa être le devant de
la maison. Il se dit qu’il devait marcher
parallèlement à l’axe que formaient la maison et
l’automobile. Il devait y avoir un chemin qu’il ne
devait pas emprunter, mais qu’il devait longer de
loin pour aller quelque part.
Aller où? Il n’avait pas la
réponse. Il valait sans doute mieux aller vers
quelque endroit en suivant un chemin que vers
l’inconnu. Il s’enroba dans la couverture de laine,
mais ses souliers ne le protégeaient guère de la
neige qui recouvrait ses chevilles. Il marchait dans
ce qui lui semblait être un sous-bois. Le vent y
était moins violent. Il avait quand même de la
difficulté à prévoir tous les obstacles et les
vertiges ne le laissaient pas. Après un certain
temps qu’il ne pouvait évaluer, il dut s’arrêter. Il
déplia la couverture et il se recroquevilla sous un
arbre en ayant soin de rentrer ses pieds sous la
couverture. Il se fit le plus petit possible pour
être capable de fermer toute ouverture. À l’abri du
vent, c’était supportable, mais les pieds
demeuraient froids. Il ne savait pas trop quoi
faire. Il ne pouvait pas demeurer là, car ils
pourraient le retrouver. Pourquoi « ils »?
Lorsqu’il quitta les brumes, il
ouvrit les yeux et ne vit rien. Il se rappela la
couverture. Il eut un sourire. Il se rappelait
quelque chose… mais rien de plus… enfin non… il vit
un visage de femme… il fit d’immenses efforts pour
se souvenir… sa femme… il avait une femme. Il avait
besoin de repos. Il lui fallait continuer d’essayer
de se souvenir. Le blizzard continuait de souffler,
mais à l’intérieur du bois on sentait une certaine
protection.