AVANT-PROPOS
C’est d’abord pour mes
enfants et petits-enfants
que j’ai décidé d’écrire mes mémoires. Et même pour la génération
suivante, déjà amorcée par la petite Juliette, née en mars dernier.
C’est pourquoi ils racontent beaucoup de péripéties familiales et
personnelles.
La rédaction s’est
échelonnée sur plusieurs
années, comprenant évidemment de grands pans de ma carrière
publique. Des amis lecteurs m’ont souligné que peut-être d’anciens
collègues et collaborateurs en apprécieraient la lecture. C’est
pourquoi ce livre est offert au public, avec la collaboration
financière de l’École nationale d’administration publique, dont on
fête en 2009 le quarantième anniversaire, et dont j’ai été le
créateur et le premier directeur.
Roland Parenteau,
août 2008
EXTRAIT DU CHAPITRE
L’École nationale
d’administration publique
1969 – 1978
Un sujet de fierté
J’ai décrit dans le chapitre
Mon incursion dans l’appareil gouvernemental du Québec dans
quelles circonstances j’ai été nommé directeur de cette école
d’administration publique qui n’était même pas encore créée. Je ne
sais pas si le ministre Marcel Masse connaissait, à ce moment-là,
mes initiatives au cours des années précédentes dans le projet de
création sinon d’une école d’administration publique, du moins d’un
programme de formation spécifique dans ce domaine. De toute façon,
le projet n’était pas nouveau pour moi et je savais très bien
comment l’orienter si on me laissait suffisamment de latitude pour y
arriver.
Une formation
universitaire pour les fonctionnaires
La première fois que j’ai été
associé à un tel projet, en 1961, c’était suite à un appel
téléphonique de René Lévesque, alors ministre dans le gouvernement
Lesage, qui m’invitait à dîner au restaurant. Sachant que j’étais
professeur à l’École des hautes études commerciales, il m’a demandé
si l’École accepterait de former des administrateurs publics en plus
de former des gens d’affaires, comme c’était le cas depuis une
cinquantaine d’années. Dans ma grande naïveté, je lui répondis que
la chose serait certainement possible. Il suffirait d’ajouter au
programme quelques cours sur le secteur public et les sciences
politiques et le tour serait joué ! René Lévesque me connaissait
assez bien, puisque j’avais, au cours des années précédentes,
participé à plusieurs reprises à son émission de télévision Point
de mire.
Après cette rencontre, j’ai rédigé
un mémoire destiné au directeur de l’École des HEC, monsieur Esdras
Minville, pour lui suggérer de créer un programme spécifique destiné
aux futurs fonctionnaires, en puisant pour les deux tiers dans les
cours existants et en ajoutant des cours propres au secteur public.
Il convient de préciser qu’à l’époque, le programme d’études à
l’École des HEC était de niveau baccalauréat. Il n’était donc pas
encore question d’un programme de niveau maîtrise (un MBA par
exemple). M. Minville se déclara favorable à ma proposition.
J’imagine qu’il avait dû en parler avec ses confrères de
l’Université de Montréal, puisque j’appris peu de temps après que le
projet rencontrait une vive opposition de la Faculté des Sciences
sociales. En effet, cette dernière estimait qu’une telle initiative
relevait d’elle et non de l’École des HEC. Cette attitude négative
s’est maintenue et aucun projet concret n’en est sorti.
On se trouvait là, pour la
première fois, en présence d’un conflit qui se répétera à plusieurs
reprises, à savoir : si un programme en administration publique
doit
combiner des éléments de science politique avec des éléments de
sciences administratives, il faut déterminer quel élément doit
dominer et, par conséquent, quelle faculté universitaire doit en
être responsable. On verra plus loin comment la création de l’École
nationale d’administration publique (ÉNAP) contribuera à atténuer ce
conflit.
Deux ans plus tard, je suis invité
à participer à un comité créé par le ministre de la Jeunesse, Paul
Gérin-Lajoie, dans le but d’étudier l’opportunité de créer un
programme de formation à destination des administrateurs publics. Le
comité était assez représentatif des diverses instances susceptibles
d’être intéressées au projet. Il était présidé par Jean-Marie
Martin, doyen de la Faculté des Sciences sociales de l’Université
Laval, et le secrétaire était Roch Bolduc, le grand spécialiste de
l’administration publique du gouvernement du Québec, lequel
deviendra, beaucoup plus tard, sénateur à Ottawa.
Nous n’étions que deux de Montréal
dans ce comité : un professeur de la Faculté de Droit de
l’Université de Montréal et moi, encore professeur aux HEC. La
plupart des autres membres étaient rattachés de près ou de loin à
l’Université Laval, ce qui était de nature à favoriser cette
université lorsque serait résolu le problème de la formation des
fonctionnaires. Et cela d’autant plus qu’elle estimait avoir une
vocation naturelle à cet égard, du fait de sa proximité avec le
gouvernement provincial, pour satisfaire à la fois aux besoins du
gouvernement du Québec et à ceux du gouvernement fédéral.
Je connaissais tous les membres du
comité pour les avoir rencontrés au cours des années précédentes
dans des colloques ou d’autres réunions. J’étais aussi membre du
Conseil d’orientation économique, ce qui multipliait les occasions
de rencontres. Enfin, comme je l’ai déjà mentionné, ce sont mes
nombreuses apparitions à la télévision à cette époque qui m’ont fait
connaître bien plus que je ne l’aurais imaginé et sans que je m’en
rende compte.
De toute façon, le comité en
question a fini par aboutir à un rapport recommandant la création
d’un Centre des hautes études administratives, indépendant des
universités existantes mais s’appuyant fortement sur les ressources
humaines de ces institutions. Il s’agissait d’un excellent rapport
rédigé par Roch Bolduc, mais qui n’a pas eu de suite immédiate. Le
rapport avait été remis au ministre commanditaire, Paul
Gérin-Lajoie, alors ministre de la Jeunesse. Précisons qu’il
n’existait à l’époque ni ministère de la Fonction publique ni
ministère de l’Éducation. Ce n’est qu’en 1964 que ce dernier
ministère sera créé, en dépit de l’opposition du haut clergé
québécois. Paul Gérin-Lajoie en deviendra le premier titulaire.
Le projet du comité Martin n’a pas
eu de suite à cause, semble-t-il, d’une querelle de juridiction
entre le ministère de la Jeunesse et la Commission de la fonction
publique, dont faisait partie Roch Bolduc. Celui-ci estimait que le
projet d’école de formation des cadres devait relever de la
Commission de la fonction publique, alors qu’au ministère de la
Jeunesse, on estimait qu’elle devait relever de ce ministère.
Résultat : néant. Le sous-ministre de l’Éducation de l’époque,
Arthur Tremblay, prétendait que son ministère était la
« commission
scolaire du gouvernement » et que, par conséquent, la formation
des
fonctionnaires relevait de lui. De toutes façons, le projet est
resté dans les limbes pendant quelque quatre ou cinq ans, et la
nomination des hauts fonctionnaires a continué à se faire sans qu’on
se soit préoccupé de leur donner une formation adéquate.
Cependant, deux événements majeurs
sont survenus durant cette période. D’abord, un changement de
gouvernement en 1966, avec l’arrivée d’une équipe de l’Union
nationale dirigée par Daniel Johnson. Puis la création de
l’Université du Québec (UQ), qui va apporter un vent de fraîcheur
dans l’évolution de l’enseignement supérieur de la province.
Il convient d’ajouter qu’avoir des
hauts fonctionnaires bien préparés faisait l’objet d’une
préoccupation constante, et la solution facile avait été d’envoyer,
chaque année, à la prestigieuse ENA de Paris, et cela à plusieurs
reprises, un contingent de jeunes fonctionnaires parmi les plus
brillants. Ces fonctionnaires étaient censés suivre un programme de
formation conçu spécialement pour eux, mais inspiré évidemment du
programme de l’ENA. Il s’agissait là d’un pis-aller et on s’est vite
rendu compte de l’écart considérable entre la fonction publique
française et celle du Québec, évidemment inspirée du système
britannique.
De là l’idée de ressusciter pour
la province le projet de sa propre école. Dès lors, le ministre de
l’Éducation, Jean-Jacques Bertrand, a formé un groupe de travail en
vue d’étudier le problème de la formation et du perfectionnement des
administrateurs publics de niveau supérieur. L’objectif était de
préparer des adjoints aux cadres et des cadres supérieurs. Roch
Bolduc a fait tout naturellement partie de ce groupe de travail.
La recommandation, datée de juin
1968, a été sans équivoque : création d’une école
d’administration
publique dans le cadre de la nouvelle Université du Québec, en voie
de formation. Cette création, ainsi que le rattachement à la
nouvelle université, de même, je suppose, que ma nomination au poste
de directeur, ont causé une extrême déception à l’Université Laval,
qui estimait, étant localisée à Québec, avoir une vocation naturelle
dans la formation des hauts fonctionnaires de la province. Elle
avait d’ailleurs créé, en septembre 1961, un programme de trois ans
en administration publique, en cours du soir. Cet enseignement,
assumé par le département de science politique, a utilisé certains
professeurs de l’Université, dont plusieurs, comme Roch Bolduc,
André Gélinas et Claude Morin, se sont retrouvés plus tard à l’ÉNAP.
Mais le programme a été abandonné, après trois promotions, en 1966,
je ne sais trop pourquoi.
L’Université du Québec comportait
trois types d’institutions : des universités constituantes, à
vocation générale quoique régionale : d’abord Montréal,
Trois-Rivières et Chicoutimi, et plus tard, Hull, Rimouski et
Abitibi-Témiscamingue; puis des écoles supérieures à vocation
spécialisée, et enfin des instituts de recherche. L’ÉNAP
correspondait à la deuxième catégorie, étant spécialisée dans la
formation des administrateurs pu-blics. Juridiquement, tout en
faisant partie du réseau de l’UQ, elle jouissait d’une large
autonomie de fonctionnement, puisqu’elle possédait son propre
conseil d’administration, dont j’étais le président, et sa propre
commission des études. Elle devait cependant respecter la
réglementation générale qui s’appliquait à l’ensemble du réseau. Son
budget aussi était négocié par le siège social de l’UQ avec le
gouvernement. C’est le gouvernement qui nommait les directeurs et
recteurs des différentes constituantes de l’Université, mais il s’en
tenait souvent aux recommandations du Conseil des Gouverneurs de
l’Université.
J’étais à l’époque directeur de
l’Office de planification du Québec et n’avais d’aucune façon été
mêlé aux travaux du dernier comité gouvernemental prônant la
création d’une école. J’ignorais même l’existence du comité. Et
voilà que le ministre Marcel Masse, à qui j’avais remis ma démission
en tant que directeur de l’Office de planification, m’offre la
direction de cette nouvelle institution : l’École nationale
d’administration publique. Je m’empresse d’accepter la proposition,
qui correspondait d’ailleurs au souhait que j’avais alors de
retourner à l’enseignement.
J’ai appris plus tard que le
président de l’Université du Québec, Alphonse Riverin, avait songé à
nommer comme directeur un jeune professeur talentueux de l’École de
Commerce de l’Université Laval, qu’il avait connu alors que lui-même
était professeur à la même institution. Mais Riverin s’est très vite
rallié au choix du ministre. Il me connaissait bien, puisque nous
avions travaillé ensemble alors que nous étions tous les deux
professeurs dans des écoles de commerce, lui comme professeur de
comptabilité à Laval, moi comme professeur de science économique aux
HEC. Il a d’ailleurs exprimé plus tard, dans ses mémoires, une
appréciation des plus favorable à l’égard de l’ÉNAP, qu’il a
qualifiée de « joyau de l’Université du Québec ». Un tel
hommage ne
pouvait pas me déplaire, puisque j’étais non seulement le directeur
mais le créateur de l’ÉNAP.
Un incident assez curieux s’est
produit dans la création de l’ÉNAP par le gouvernement. La
proposition de créer une école par l’Université du Québec était
libellée : « école d’administration publique ». C’est
le
gouvernement qui a ajouté le mot « nationale ».
L’initiative venait,
paraît-il, du ministre de l’Éducation d’alors, Jean-Guy Cardinal,
qui avait peut-être des tendances indépendantistes, tout en faisant
partie d’un gouvernement de l’Union nationale. Le même sort est
arrivé d’ailleurs à la même époque à l’Institut national de
recherche scientifique (INRS), qui faisait aussi partie de
l’Université du Québec.
Dans les lettres patentes de
l’École, datées du 26 juin 1969, on constate que si l’ÉNAP fait
partie du réseau de l’Université du Québec, le gouvernement se
réserve le droit de prendre les décisions importantes. C’est ce qui
explique que c’est un ministre du gouvernement qui m’a offert le
poste de directeur. Qui avait suggéré mon nom ? Mystère. De
toute
façon, j’étais emballé par cette nomination et la confiance qu’on
m’accordait. Et cela d’autant plus qu’il fallait partir de zéro. Pas
de personnel à intégrer, pas de locaux, pas de budget. Tout était à
faire.
Cette nouvelle responsabilité qui
m’était confiée, tout en n’étant pas totalement étrangère aux
activités que j’avais déployées dans la première partie de ma
carrière, tranchait quelque peu avec les responsabilités que j’ai
assumées de 1964 à 1969, alors que j’étais directeur du Conseil
d’orientation économique, puis directeur de l’Office de
planification du Québec. Il s’agissait là d’efforts destinés à
mettre en place un système rationnel de développement économique de
la province. On a vu que cette aventure s’était révélée à peu près
sans issue. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a encouragé à
faire un virage vers l’administration publique.
Les collaborateurs
Et maintenant, sur qui
pouvions-nous compter ? Nous avions un directeur des études,
André
Gélinas, membre également du conseil d’administration, auparavant
professeur d’administration publique à la faculté de Droit de
l’Université Laval. Personne très compétente avec laquelle je me
suis toujours bien entendu. Siégeait aussi au c.a. Roch Bolduc, le
« grand manitou » de la fonction publique du Québec, qui
connaissait
le secteur mieux que quiconque. Nous étions tous les trois nommés
par le gouvernement lui-même. Le conseil d’administration comprenait
en outre quelques autres membres, dont le rôle a été d’importance
variable : Marc Bélanger, professeur à la Faculté des Sciences
de
l’administration de l’Université Laval ; John Dinsmore,
sous-ministre associé au ministère de l’Éducation, qui représentait
l’élément anglophone ; Pierre Martin, ancien élève de l’ENA de
Paris, vice-président à la planification de la nouvelle Université
du Québec, éminence grise qui a joué un rôle important dans la
création et le développement de l’ÉNAP ; Paul Tellier, à
l’époque
greffier-adjoint au Conseil des ministres du gouvernement fédéral,
un des plus hauts fonctionnaires d’Ottawa, actif plus tard dans
l’entreprise privée comme président de Bombardier. Notre secrétaire,
Claude Archambault, anciennement de l’Université Laval, a joué un
rôle très efficace dans le lancement de l’École sur le plan
administratif.
Les locaux
Une fois ces collaborateurs
désignés, il fallait se trouver un gîte et procéder au recrutement
de quelques employés : une réceptionniste, quelques secrétaires,
etc. Heureusement, la haute direction de l’Université du Québec nous
a proposé son aide. En attendant un site plus permanent, elle nous a
offert de disposer de locaux qu’elle avait occupés temporairement.
Il s’agissait de quelques appartements qui faisaient partie d’un
édifice bien connu à Québec, le Claridge, sur Grande-Allée. À notre
arrivée, les locaux en question avaient été complètement vidés de
leurs meubles. Tout ce qui restait, c’était, dans l’ancien bureau du
président de l’Université, une énorme plante grimpant jusqu’au
plafond, qu’on n’avait pas osé déménager, semble-t-il. C’est cette
pièce qui m’a servi de bureau, après qu’on eut réussi à emprunter
quelques vieux meubles ici et là. C’était évidemment temporaire.
Nous cherchions quelque chose de plus permanent, notamment des
salles de cours, dont nous aurions besoin une fois notre programme
mis au point et nos premiers étudiants recrutés.
Le bâtiment que nous avons alors
réussi à obtenir et qui était situé dans la petite rue du
Mont-Carmel dans le vieux Québec, à deux pas du Château Frontenac,
avait été laissé par l’École d’architecture de l’Université Laval
parce que trop petit. Pour nos débuts, cela faisait l’affaire,
d’autant plus que l’édifice, une ancienne école ayant appartenu à
des religieuses, avait été rénové avec un goût remarquable. Cela
n’avait pas été l’École d’architecture pour rien. Après deux ou
trois ans, l’édifice se révéla trop exigu pour nous aussi, vu la
croissance du nombre d’étudiants et du personnel. Cela entraîna
plusieurs déménagements, dont un dans un centre commercial de
Sainte-Foy, jusqu’à ce que l’ÉNAP obtienne enfin, en 1998, son
propre édifice, flambant neuf, sur le boulevard Charest, dans un
vieux quartier de Québec en voie de rénovation complète sous
l’impulsion du maire de la ville, Jean-Paul L’Allier. Tous ces
locaux ont servi au siège social et aux activités d’enseignement de
l’ÉNAP à Québec. Au fur et à mesure que l’ÉNAP se développait en
région, il a fallu évidemment se trouver d’autres locaux. Dans tous
les cas cependant, il s’agissait de location.
L’orientation
Le plus important n’était
évidemment pas les locaux, mais l’orientation à donner à l’École,
les objectifs précis à poursuivre, le type d’étudiants à recruter,
les détails du programme à fournir, etc. Les lettres patentes
n’étaient pas très explicites à cet égard. Notre mandat, c’était de
créer une « école nationale d’administration ayant pour objet la
formation et le perfectionnement d’administrateurs publics, ainsi
que la recherche relative à l’administration publique ». N’ayant
aucune attache avec des départements universitaires existants, nous
étions donc totalement libres d’innover. C’était l’avantage du
statut d’École supérieure, et cela dans un cadre en pleine
croissance et ouvert aux innovations, celui de l’Université du
Québec.
Dans de telles circonstances
cependant, l’honnêteté nous oblige à consulter les nombreux rapports
qui ont conduit à la décision gouvernementale, en vue d’en respecter
au moins l’esprit. Nous nous sommes interrogés sur le mécanisme de
promotion des fonctionnaires à l’intérieur du gouvernement du Québec
et aussi des autres organismes publics. La simple promotion à
l’intérieur de l’organisation ne nous apparaissait pas
satisfaisante. Pas question d’adopter la formule de l’ENA de Paris
ou d’autres organismes semblables, qui offraient un enseignement de
haut niveau à de jeunes étudiants triés sur le volet, en général
sans expérience, et à qui étaient offerts, au sortir des études, des
postes de cadres intermédiaires ou supérieurs, ou à tout le moins un
chemin privilégié pour atteindre ces niveaux. C’était l’approche
élitiste.
Il restait à étudier deux
approches. La première consiste à recruter des administrateurs de
l’extérieur déjà expérimentés. Nous pouvons disposer de deux sources
possibles : les autres gouvernements et l’entreprise privée.
C’est
une stratégie que le gouvernement du Québec avait utilisée en toute
urgence lors de la prise du pouvoir par le gouvernement Lesage en
1960. Plusieurs fonctionnaires fédéraux de grande qualité avaient
été recrutés par divers ministères, alors désespérément en manque de
leaders. Mais la source est assez limitée. On peut également
recruter dans l’entreprise privée. Là aussi, les possibilités sont
limitées, ne serait-ce que pour la question des salaires. Il faut
ajouter qu’un administrateur d’entreprise privée aura souvent de la
difficulté à se plier aux exigences des impératifs politiques.
Enfin, la deuxième voie consiste à offrir à des candidats possédant
déjà une connaissance suffisante de leur profession et chez qui on a
détecté des aptitudes à la gestion, un complément de formation axé
surtout, mais pas exclusivement, sur les sciences de la gestion.
Il nous apparaissait important de
vérifier cette approche. Gélinas et moi ayant été nommés en juin
1969, nous ne pouvions entamer nos activités d’enseignement qu’en
septembre 1970. Ceci nous laissait suffisamment de temps pour aller
voir à l’étranger comment se négociait le problème de l’enseignement
de l’administration publique. Étant donné la limite de temps, le
choix s’est porté sur certaines institutions de France et de
Grande-Bretagne et, accessoirement, des États-Unis.
En France, nous avons, bien
entendu, visité la prestigieuse ENA. Entre parenthèses, dans ce
pays, on n’ajoute pas le terme « publique » à
« administration »,
parce que l’administration est toujours du domaine public. Nous
avons aussi visité l’Institut international des Affaires publiques,
l’Institut européen d’administration des affaires (INSEAD),
l’équivalent des HEC à Montréal, l’École nationale des ponts et
chaussées (l’équivalent de l’École polytechnique), de même que le
Service de la coopération technique du ministère des Affaires
étrangères.
De ces visites, une conclusion
s’est vite imposée : on ne pouvait pas en tirer beaucoup de
leçons,
le système politique français étant radicalement différent du nôtre.
Qui plus est, les institutions visitées s’adressaient surtout à de
futures recrues et non à des fonctionnaires en exercice. Il en était
tout autrement en Grande-Bretagne, dont la situation ressemblait à
la nôtre. C’est ainsi que nous y avons visité l’Administrative
Staff College de Henleyon-Thames et le Center for
Administrative Studies de Regent’s Park. Nous avons aussi visité
une autre institution ressemblant à l’ENA de Paris, le Civil
Service Staff College de Sunningdale. Après notre retour au
Canada, André Gélinas a visité quelques institutions américaines, ce
qui nous a permis de compléter notre rapide tour d’horizon. Résultat
net : il nous fallait bâtir de toutes pièces une École répondant
à
des besoins spécifiques.
Ce dont les gouvernements avaient
besoin, ce n’était pas un premier cycle en administration publique,
visant à fournir une nouvelle main-d’œuvre, mais un cycle plus
avancé visant à combler les besoins de moyen et de haut niveau, ce
que les anglophones appellent le middle management.