(Lévis, le 6 octobre 2010 – Il n’y a que la belle
aventure de LS-Radio qui peut donner lieu à un
communiqué de presse de 5 pages) Il y a quarante
ans, en septembre 1970, Michel Trahan, un animateur
de radio pas comme les autres, et sa bande de
copains à l'imagination sans limites, révolutionnent
le monde des médias québécois sur les ondes de CFLS
(LS-Radio) à Lévis. L'aventure dura à peine neuf
mois mais s'inscrira à jamais dans l'histoire grâce
à l'innovation de sa formule caractérisée par la
participation des auditeurs et la flexibilité de la
programmation. On en parlera jusque dans le
Vancouver Sun et même à l'ONU qui offre à l’équipe
de passer sur ondes courtes pour une diffusion
internationale.
Dans une entrevue exclusive accordée par Michel
Trahan, directeur des programmes, et Gaston Binet,
animateur, le 22 septembre dernier au siège social
de la Fondation littéraire Fleur de Lys à Lévis, les
deux artisans de LS-Radio nous ont livré de nouveaux
détails croustillants au sujet de cette aventure
radiophonique historique.
Les p’tits hommes verts débarquent !
Gaston Binet entre en ondes pour la soirée. Un
auditeur lui téléphone et l’appel est transmis en
ondes : «Il y a des p’tits hommes verts de chaque
côté de la station». Il abandonne son micro pour
aller voir de ses propres yeux ce qui se passe
dehors et, chose faite, il revient en studio : «Oui,
il y a des p’tits hommes verts dehors». Puis, un
autre auditeur intervient : «Je viens de traverser
le pont de Québec et moi aussi j’ai vu des p’tits
hommes verts». Les appels des auditeurs voyant ici
et là des p’tits hommes verts se succèdent et on
sent une certaine inquiétude. Soudainement, une
panne de courant se produit dans la région; la
rive-sud et le rive-nord sont plongées dans le noir.
L’inquiétude grandit. «Les p’tits hommes verts,
raconte Gaston Binet, sont entrés dans la station,
ont regardé ce qui se passait et sont sortis sans
dire un mot.» Les rapports d’auditeurs inquiets par
les p’tits hommes verts arrivant un peu partout se
multiplient en ondes. Certains téléphonent à la
police. Gaston Binet, qui devrait fermer la station
à 1 heure du matin décide de rester en ondes jusqu’à
trois heures devant l’insistance de son auditoire.
Le matin venu, Michel Trahan arrive à la station et
se retrouve devant une énorme pile de messages.
Parmi ces derniers, une note de rappeler la police
de Ste-Foy. «Vous avez fait peur au monde hier avec
vos p’tits hommes verts en pleine panne de courant»,
lui rapporte l’agent de police.
Les p’tits hommes verts, c’était le nom donné par le
premier auditeur en ligne ce soir-là aux soldats de
l’armée canadienne en déploiement au Québec lors de
la Crise d’octobre. Mais jamais personne ne les
désigna de leur vrai nom, préférant l’expression
«les p’tits hommes verts, sans doute pour éviter les
représailles. Mais pour les auditeurs ne pouvant pas
constater de visu la présence de ces p’tits hommes
verts, l’expression laissait planer l’idée…
d’extraterrestres.
«Ce n’est que plus tard dans la journée que nous
avons fait le rapprochement entre notre soirée des
p’tits hommes verts et le canular d’Orson Welles» se
rappelle Trahan et Binet. En effet, le 4 octobre
1938 sur les ondes radio de CBS à New York, le
dramaturge Orson Welles diffuse une adaptation
théâtrale de «La guerre des mondes» de HG Wells au
cours de laquelle un présentateur de CBS annonce et
commente l’arrivée des Martiens sur Terre. Près d’un
million d’auditeurs se feront prendre au jeu et
croiront alors que les États-Unis sont attaqués par
les Martiens. Les soldats en permission de l’armée
stationnée au port de New York seront rappelés en
service pendant l’émission. LS-Radio venait donc de
répéter, à une moindre échelle, l’expérience à Lévis
à une différence prêt : Orson Welles avait tout
planifié lui-même tandis qu’à LS-Radio l’initiative
revient aux auditeurs, et ce, grâce à la formule
d’animation qui permettait aux animateurs de
transmettre en ondes les appels des auditeurs en
tout temps.
La «visite» est arrivée
Moins d’un mois après son entrée en ondes à
LS-Radio, Michel Trahan et son équipe se
retrouvaient donc en pleine Crise d’octobre. Pendant
cette période, Yvon Dufour, le directeur général de
la station, avise son directeur des programmes,
Michel Trahan, de se préparer à se joindre à lui
pour recevoir la «visite». Puis, un matin, monsieur
Dufour joint Michel Trahan : «La «visite» est
arrivée, viens me rejoindre à mon bureau». La
«visite», c’était le code pour les autorités
policières impliquées dans la Crise d’octobre. Dans
le bureau de monsieur Dufour, la police provinciale,
la Gendarmerie royale du Canada et l’armée. Michel
Trahan arrive avec une petite boîte qu’il place à
ses côtés le temps de la rencontre. À la fin de
cette dernière, les invités rassurés sur les
intentions de LS-Radio, monsieur Dufour donne la
parole à Michel Trahan. Il saisit sa petite boîte,
se lève et en sort quelques exemplaires d’un
quarante-cinq tours de Ginette Reno et en remet un à
chaque invité. Seul Michel Trahan pouvait penser à
une pareille conclusion de la rencontre avec la
«visite». Comble du succès de l’opération, l’un des
invités demande une deuxième copie du disque de
Ginette Reno. À LS-Radio, on savait comment
déstabiliser toutes appréhensions possibles face à
la liberté des ondes, ce qui n’était rien en pleine
Crise d’octobre.
La station se présentait avec succès comme le pôle
positif face à Montréal alors devenue bien malgré
elle un pôle négatif avec cette Crise d’octobre.
La visite à l’Organisation des Nations Unies
(ONU)
De retour d’un voyage à Haïti, Michel Trahan est
accueilli en ondes par un collègue qui lui pose une
question toute simple : «Pis, ton voyage en Haïti,
Michel ?». La réponse vient après une courte
hésitation et a tout pour surprendre l’auditoire :
«Il a neigé à Port-au-Prince», lance Michel Trahan…
en référence à la chanson de Jean-Pierre Ferland.
Puis le téléphone sonne, on demande monsieur Trahan.
«Comme ça il a neigé à Port-au-Prince» reprend
l’auditeur qui se présente : «Je suis l’ambassadeur
d’Haïti à l’ONU. Je suis de passage à Québec et
j’aimerais vous rencontrer». Les échanges entre les
deux hommes se concluront sur une invitation à venir
présenter la formule de LS-Radio à la direction de
la radiodiffusion de l’ONU à son siège social à New
York. Une lettre d’invitation officielle suivra et
Michel Trahan invite son collègue animateur André
Rhéaume à l’accompagner dans la «Big Apple».
La nouvelle fera rapidement le tour du Québec. À la
veille de son départ, Michel Trahan reçoit quelques
appels de menaces : «Ne va pas vendre notre radio
aux Américains.» Sur la première page de
l’hebdomadaire la Tribune de Lévis on voit les deux
représentants de LS-Radio monter à bord de l’avion
sur le tarmac de l’aéroport de Québec.
L’objectif de la rencontre a tout pour permettre de
cerner la nouveauté de la formule radiophonique
expérimentée à Lévis. L’ONU veut que l’équipe de
LS-Radio déménage à son siège social, dans les
locaux de la direction de la radiodiffusion, et
diffuse sur ondes courtes pour devenir
internationale.
Michel Trahan se souvient de la réaction des
Français lors de cette réunion à l’ONU : «Votre
formule de radio n’est pas bonne pour l’Afrique».
Michel Trahan rétorque : «Notre formule est
universelle». Michel Trahan garde aussi en mémoire
la question adressée à André Rhéaume, jusque-là
plutôt silencieux : «Qu’est-ce que vous pensez de
l’ONU ?». La réponse témoigne de la franchise qui
fait alors la marque de plusieurs animateurs de
LS-Radio : «C’est une patente qui ne marche pas. Je
n’ai aucune confiance dans l’ONU.»
Finalement, André Rhéaume dira qu’il n’a pas
l’intention de faire de la radio dans un «bunker» et
Michel Trahan ajoutera «Nous autres, ça se passe à
Lévis». Ainsi venait de prendre fin le rêve de l’ONU
de s’approprier la formule de Lévis. Quarante ans
plus tard, Michel Trahan n’a aucun regret.
Mais avant de quitter l’édifice, les deux comparses
de LS-Radio rendent une petite visite au bar de
l’ONU. «Je me rappelle, raconte Michel Trahan, que
l’un des deux ambassadeurs sur place m’a demandé, en
regardant la carte du monde en bronze : «Pourquoi
voulez-vous vous séparer, le Québec ? Le Canada est
un si beau pays.» Et seul Michel Trahan pouvait
servir une telle réponse : «On ne veut pas se
séparer. On veut se souder (au reste du monde)».
Une visite de courtoisie à l’ambassadeur du Canada
conclut le voyage. À la suite de la réception de la
lettre d’invitation officielle de l’ONU, Michel
Trahan s’était demandé s’il devait en aviser le
l’ambassadeur canadien. «Non, c’est LS-Radio
l’invitée, non pas le gouvernement canadien» se
dit-il. Il prit l’initiative d’une courte visite
improvisée à l’ambassadeur du Canada. «Oui, nous
sommes au courant de votre visite à l’ONU» affirma
l’ambassadeur en ajoutant : «Si vous voulez, je peux
vous mettre en contact avec Pierre Elliot Trudeau
(alors Premier ministre du Canada)». «Non, non, ce
ne sera pas nécessaire» répondit Michel Trahan,
davantage préoccupé par les aspirations du Québec
que celles du Canada.
«Où vous prenez ça cette musique-là ?»
La programmation musicale de LS-Radio se distinguait
de celles de toutes les autres stations parce
qu’elle se soustrayait volontairement à l’influence
de l’industrie et des agents d’artistes. À la
question «Où vous prenez ça cette musique-là ?»,
Gaston Binet répondait simplement «Il y a deux côtés
à un 45 tours» ou «Une plage plus loin que celle de
l’industrie» en parlant des 33 tours. «Quand on
entrait en studio, on était en plein contrôle. On
avait le volant dans les mains.» explique Gaston
Binet.
«Je me souviens de la sortie de la chanson «My Sweet
Lord» de George Harrison. On l’a fait joué au moins
six fois en boucle. L’aventure nous demandait
beaucoup d’énergie et nous étions un peu fatigués au
moment de la sortie de cette chanson et elle agit
sur l’équipe comme un «Red Bull», raconte Gaston
Binet.
Improviser au lieu de suivre des feuilles de route
préétablies en discothèque requiert effectivement
beaucoup plus d’énergie mais l’aventure de LS-Radio
a transformé à jamais à la fois les animateurs et
les auditeurs de l’époque, tout comme leurs
relations.
Invités partout, même là où on ne l’attendait pas !
«Nous étions invités partout, des communes aux
petits fours» se souvient Gaston Binet. «Un soir, on
soupait à la bonne franquette avec des jeunes, et le
lendemain, nous dégustions des petits-fours chez un
médecin ou on prononçait un discours devant le
personnel d’une commission scolaire» LS-Radio
rejoignait toutes les classes de la société pour ne
pas dire qu’elle fondait toutes les classes en une
seule.
Michel Trahan se rappelle de l’invitation faite à
LS-Radio pour participer à une soirée de débat au
sujet de la fameuse murale de Jordi Bonet au Grand
Théâtre de Québec. Lorsque LS-Radio s’installe sur
la scène avec les autres participants au débat, un
fonctionnaire présent dans la salle s’interroge :
«Mais qu’est-ce qu’LS-Radio fait là ? Ce n’est pas
un parti politique.» En effet, seuls les partis
politiques intéressés pouvaient occuper la scène du
débat. Mais les organisateurs ne pouvaient pas
entrevoir la discussion sans la participation de
LS-Radio. Voilà une belle démonstration des
privilèges accordés aux animateurs de LS-Radio
invités partout, vraiment partout, même là où on ne
l’attendait pas.
Meilleurs moments
Michel Trahan ─ «Mon meilleur moment, s’il faut en
choisir un, c’est lorsque les gens de CHOM-FM, la
radio anglophone la plus populaire de Montréal, sont
venus nous rencontrer à Lévis. Jusque-là, on disait
que la meilleure radio était anglophone. Par
exemple, quand les gens revenaient de voyage aux
États-Unis, ils s’empressaient de souligner
l’originalité de la radio à Los Angeles et à New
York. Et là, pour la première fois, sans doute,
c’était les anglophones qui s’intéressaient à notre
radio, à LS-Radio, l’embryon d’une radio purement
québécoise. Je me souviens encore d’attendre les
gens de CHOM-FM sur le perron de la station, fier
comme un Maire français en apparats accueillant ses
petits cousins d’Amérique. Je me voyais avec une
ceinture fléchée autour de la taille. Je n’oublierai
jamais cet événement.»
Gaston Binet ─ «Mon meilleur moment de LS-Radio…
C’est l’aventure elle-même, toute l’aventure, parce
qu’elle m’a transformé profondément, tant sur le
plan personnel que professionnel. Je ne voyais plus
les choses comme avant, j’en avais désormais une
conscience plus large et plus profonde. À la fin de
l’aventure, il m’était impossible de revenir en
arrière, de faire de la radio traditionnelle. Par
exemple, après LS-Radio, je suis entrée à
Radio-Canada dans l’équipe de l’émission de
contre-culture. Un soir, nous nous sommes mis
plusieurs stations de radio ensemble et nous nous
répondions en chanson. Le Saguenay choisissait une
chanson et Montréal lui répondait avec une autre
chanson. Ça, c’est purement et simplement du
LS-Radio. C’était de l’improvisation. On était
nous-mêmes, au bon endroit, au bon moment, avec la
bonne équipe. Et on était conscients que l’aventure
ne durerait pas, ce qui nous incitait à vivre
intensément chaque moment. Il n’est donc pas
étonnant qu’on nous parle encore de cette expérience
radiophonique unique quarante ans plus tard.»
Le Rapport Z
En 1970, quelques mois avant l’arrivée de l’équipe
de LS-Radio à l’antenne, le gouvernement du Québec
se dote d’un ministère des communications et
Jean-Paul L'Allier y sera nommé par le Premier
ministre Robert Bourassa. Évidemment, le nouveau
ministère suit de près l’aventure de LS-Radio et les
pressions se font sentir à la fin de l’expérience
pour une intervention gouvernementale assurant
l’avenir de la formule. Monsieur L’Allier mandate
alors un sous-ministre afin de lui faire rapport, ce
sera le fameux «Rapport Z». Michel Trahan aura
l’occasion de rencontrer le ministre pour en
discuter. «Dites-moi, qu’est-ce qui s’est passé à
LS-Radio ?» demande le ministre à Michel Trahan. «Ce
qui s’est passé… Vous le savez, vous étiez à
l’écoute. Nous avons là les prémisses d’une vraie
radio québécoise.» de répondre l’ancien directeur de
programme de LS-Radio. La discussion ne faisait que
commencer. Quelques mois plus tard naissait sur le
campus de l’Université Laval la première radio
communautaire au Québec (CKRL-FM) avec l’appui du
ministère des Communications du Québec.
Appel à tous
La Fondation littéraire Fleur de Lys s’est donnée
pour mission de perpétuer la mémoire de la belle
aventure de LS-Radio (1970-71). À l’occasion du
quarantième anniversaire de cette révolution
radiophonique, l’organisme lance un appel à tous
afin de recueillir souvenirs et commentaires en vue
de la publication d’un livre. Déjà, on trouve sur le
site Internet de la Fondation un article dévoilant
d’autres détails intéressants qui permettent de
comprendre toute l’ampleur de l’aventure.
http://manuscritdepot.com/a.serge-andre-guay.4.htm
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SOURCE
Serge-André Guay, président éditeur
Fondation littéraire Fleur de Lys
Téléphone : 581-988-7146 Courriel :
contact@manuscritdepot.com
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