Silence, on tue !
Le tapuscrit est terminé. Il a été posté.
Dans sa naïveté de débutant, Maxime croit
qu’il a écrit le chef-d’œuvre du siècle.
L’auteur se voit déjà adulé. Les gens
s’alignent pour le rencontrer lors d’une
séance de signatures. Son roman est
tellement palpitant qu’un producteur veut
l’adapter pour le cinéma.
Il a le droit de rêver pendant que l’attente
se prolonge. Trois mois plus tard, il n’a
pas reçu de réponse à son envoi même s’il
avait demandé un accusé de réception. Il
téléphone à la maison d’édition. On lui
apprend que dans le meilleur des cas, on
pourra lui donner signe de vie dans trois
autres mois, peut-être plus. Il ne sait pas
encore que dans le pire des scénarios, il ne
recevra jamais un mot, pas même une lettre
de refus.
Suivant les conseils d’un auteur chevronné,
Maxime décide d’envoyer son manuscrit à
plusieurs maisons, simultanément. Un matin,
dans la boîte aux lettres, il trouve une
enveloppe à l’entête de l’une d’elles. Il la
décachette avec fébrilité. Il est à quelques
secondes de voir son rêve se réaliser.
Monsieur,
Nous avons pris connaissance de votre
manuscrit et nous avons le regret de vous
informer qu’il n’entre pas dans le cadre de
nos collections, qui sont établies en
fonction des besoins de l’heure et de
l’exiguïté du marché.
Nous profitons de l’occasion pour vous
remercier de l’intérêt que vous portez à
notre maison d’édition…
Le premier choc passé, l’auteur se dit qu’il
lui reste encore quelques chances. Il
retrousse ses manches, ressort ses crayons
et continue de pondre son deuxième
chef-d’œuvre en attendant que le premier
soit reconnu.
Quelques jours plus tard, Maxime lit,
incrédule :
…
Malgré la qualité de votre ouvrage, notre
maison d’édition n’est pas en mesure de le
publier. Votre roman n’entre pas dans nos
priorités éditoriales.
Le même
scénario se produit la semaine suivante, en
des termes semblables :
… Votre
roman ne correspond pas à nos politiques
éditoriales.
Quelles
sont donc ces politiques éditoriales ?
demande l’auteur. Il ne le saura pas. Sa
demande restera lettre morte.
« Notre
agenda éditorial est complet jusqu’en
2010 »,
lui apprend le quatrième éditeur, le mois
suivant.
Au moment
où le désespoir le guette, il se souvient
que Margarett Mitchell a essuyé 17 refus
avec Autant en emporte le vent avant
d’être éditée. Maxime espère ne pas battre
le record de cette dernière.
« Le
roman que vous nous proposez n’est pas sans
qualités ni intérêts, mais nous sommes au
regret de vous annoncer que nous ne pouvons
pas le publier. Recevant plusieurs
manuscrits par semaine, nous devons
effectuer un choix qui, la plupart du temps
s’avère difficile. De plus, comme notre
programme de publication est complet pour
l’année prochaine, nous sommes dans
l’obligation de privilégier les textes qui
appellent de près notre sensibilité.
Nous
vous remercions d’avoir pensé à nous et nous
vous souhaitons bon courage dans vos futurs
projets. »
Maxime
s’étonne de ne jamais recevoir de critique
constructive. Si on lui disait par exemple à
quel endroit il doit élaguer ou développer,
quel point retravailler ou quoi peaufiner,
il le ferait sans hésitation.
En réponse
à ses prières, le sixième éditeur joint une
grille d’évaluation du roman.
Après le
titre du tapuscrit, il lit les critères dont
le comité de lecture a tenu compte.
Syntaxe : 10/10
Orthographe : 9/10
Ponctuation : 9/10
Vocabulaire : 10/10
Transitions : 10/10
Style :
10/10
Intérêt : 9/10
Cohérence : 10/10
Crédibilité : 10/10
Originalité : 8/10
Libre
de clichés : 10/10
Libre
de jugements : 10/10
Total :
115/120
Clientèle visée : Adultes
Recommandation pour l’édition : oui.
Maxime
jubile. Enfin, une année de travail sera
couronnée. Il lance des hourras, il
remercie Dieu même s’il est plus ou moins
croyant et danse sur place. Il ne marche
pas, il plane. Il se trouve sur un petit
nuage de gloire, au-dessus des gens
ordinaires.
Toutefois,
il revient bien vite sur terre, lorsqu’il
lit, ahuri, la lettre que l’éditeur a jointe
à l’envoi :
« Malgré les recommandations positives de
mon comité de lecture, je me vois dans
l’obligation de refuser votre roman.
Le
marché potentiel m’incite à la prudence. Je
suis persuadé que j’aurais du mal à le
vendre. Continuez, si ce n’est déjà fait,
votre recherche d’éditeur.
Je vous
souhaite la meilleure des chances dans vos
projets d’écriture.»
Après une
nouvelle comme celle-là, pense Maxime, je
n’aurai pas besoin de chance, mais D’UN
MIRACLE.
Obtenir un exemplaire