Avant-propos
La bataille de l’imprimé à l’ère du
papier électronique
La genèse de ce
livre
Éric Le Ray
À chaque
révolution de société correspond
une révolution de
support.
Michel Serres
En septembre 2006,
j’ai organisé à Montréal un colloque
sur «La bataille de l’imprimé à
l’ère du numérique». Cinq tables
rondes, où étaient réunis
professionnels et universitaires,
furent alors formées autour de
thèmes tels que l’imprimerie à l’ère
du numérique, la situation de la
presse quotidienne, le livre à
l’heure de la convergence et le
politique entre l’écrit et le
virtuel. Les réflexions des
intervenants et des membres du
public permirent de couvrir
l’ensemble des problèmes auxquels
les différents secteurs de l’imprimé
se heurtent au cours de la
révolution numérique contemporaine.
À la suite de ce colloque, j’ai pris
conscience qu’au-delà du numérique
et de l’impression à la demande, qui
était une évolution normale de
l’imprimerie, une révolution du
support (par rapport au papier)
encore plus radicale se préparait
avec le papier électronique. Je
décidai donc de m’inspirer du
colloque en réunissant des articles
de spécialistes de la chose imprimée
et de mettre en perspective ces
réflexions sur les bouleversements
causés par l’arrivée du papier
électronique (ou papiel) sur le
marché des communications et des
nouvelles technologies de
l’information.
La crise de la
société Quebecor World inc.,
deuxième imprimeur mondial, en
grande difficulté financière en
2008, est révélatrice de ce
changement de paradigme vers la
nouvelle économie. Aujourd’hui, à
l’aube de l’ère du papier
électronique, l’intégration
verticale et horizontale introduite
peu avant la mort du fondateur de
Quebecor, Pierre Péladeau, par ses
fils, Érik et Pierre-Karl, se
construit, avec la révolution
numérique du «tout-en-un», au tour
de l’écran électronique, du
téléordinateur, d’Internet et du
sans-fil, non plus autour de
l’imprimé. L’empire Quebecor,
suivant en cela le modèle de
convergence popularisé par
Time-Warner-AOL, est devenu un
conglomérat multimédia grâce à
l’achat du câblodistributeur
Vidéotron et du réseau de télévision
TVA en 2000, et par l’addition de
nouveaux médias dans le groupe
(Internet avec Canoë, téléphonie
résidentielle, puis mobile). Ces
opérations vont permettre la
création d’une nouvelle filiale,
Quebecor Media, la seule qui soit
bénéficiaire aujourd’hui et qui
regroupe Vidéotron, TVA, les
Publications TVA, deux des plus
grands quotidiens, des hebdos
régionaux et des maisons d’édition.
De plus, on note un glissement du
mode «programmation» vers celui du
«contenu», celui-ci devenant
désormais un des éléments-clés de la
réussite dans ce domaine. C’est là
que la reconversion du groupe se
joue et que le papier électronique
comme interface finale aura une
place à prendre.
Ce que révèle cette
crise de Quebecor aujourd’hui, c’est
aussi que chacun devient
éventuellement son propre imprimeur,
son propre diffuseur et émetteur
d’information, son propre éditeur,
qui sait? son propre entrepreneur.
Mais dans cette révolution de
support, que deviennent les
journalistes, les salles de presse?
Avec ces changements du contenant,
qu’est devenu le contenu?
L’information n’est pas gratuite et
ne nous parvient jamais à nous d’une
façon fortuite. Paul Cauchon du
Devoir se demande si l’année 2008
sera marquée par l’explosion des
publications indépendantes sur
Internet. En tout cas, les projets
se bousculent. Mais certains sont
d’avis que très peu parmi les
plates-formes de diffusion de l’ère
Internet, même si elles se
multiplient, proposent des
reportages véritablement originaux
(on ne parle pas ici de centaines de
milliers de sites Internet où c’est
l’opinion express et le point de vue
tranché qui priment...). «Les
sources d’information prolifèrent,
mais les sources concernant les
faits sur lesquels les opinions sont
basées rétrécissent», souligne le
chroniqueur du Devoir.
Au-delà de la
révolution technologique, celle du
support autour du papier
électronique pose aussi le problème
du modèle économique et des
ressources financières, car
Internet, qui coordonne autour de
lui ce nouveau modèle économique,
technologique et culturel, véhicule
un modèle de communication
individuel «hétérarchique» associé à
une gratuité utopique et illusoire.
Dans le secteur de la presse et de
l’information, qui pourra jouer le
rôle de vérificateur de source,
d’enquêteur de faits et gestes
significatifs, de passeur de
connaissances? Un rôle joué par le
journaliste, mais aussi par le pro
fesseur à l’école ou à l’université,
par le savant dans un centre de
recherche. Que deviendra la presse
d’information qui analyse, commente
et interprète les événements, et est
indispensable au bon fonctionnement
démocratique de notre monde qui vit
au jour le jour, sans rendre compte
de l’épaisseur de la réalité? Cette
problématique est la même dans
l’imprimerie ou l’édition qui manque
d’«éditeurs». Le rôle de médiateur
semble se redéfinir à la dimension
personnelle et individuelle et non
plus à travers le corps d’un métier
particulier qui implique des
critères d’apprentissage et de
compétences, et qui véhicule des
valeurs éthiques d’objectivité.
L’information qui devrait être la
base de la connaissance et du savoir
se heurte à la dictature de
l’opinion, faillible, où chacun
détient un morceau de la vérité et
voit le monde par le petit bout de
la lorgnette. La connaissance, elle,
est universelle et vérifiable et
s’associe le plus souvent à la
«raison raisonnable», premier pilier
de la démocratie, comme disait
Habermas. La liberté individuelle
semble centrale dans cette nouvelle
réa lité qui nous ouvre à un
«univers à finalités ouvertes», dont
nous essayons de dessiner les
limites techniques, culturelles et
morales à travers ce livre.
Nous voulons
remercier pour leur aide et leur
contribution à l’élaboration de ce
livre ainsi qu’au colloque sur le
même thème, «La bataille de
l’imprimé à l’ère du numérique», les
personnes suivantes: Jean-Marie
Fecteau, titulaire de la Chaire
Hector-Fabre d’histoire du Québec,
et Robert Comeau, directeur de la
programmation; Michel Cliche, Hélène
Cloutier et Thérèse Marie Weis du
Comité sectoriel de main-d’oeuvre
des communications graphiques du
Québec; l’Université de Sherbrooke
et Mme Hamilton pour son service
technique; Jacques Michon et son
équipe; René Davignon, Karel
Forestal et Linda Giroux de la
Chaire de recherche du Canada en
histoire du livre et de l’édition;
Josée Vincent (présidente) et
Isabelle Gagnon (secrétaire) de
l’Association québécoise pour
l’étude de l’imprimé (AQÉI);
Frédéric Barbier de l’École pratique
des hautes études; Hélène
Blanchette, représentée par Serge
Maisonneuve de la société Xerox
Canada ltée; Jean de Bonville, du
Groupe de recherche sur les
mutations du journalisme de
l’Université Laval; Paul-André
Comeau, de l’École nationale
d’administration publique: Louis
Cauchy, directeur de la
communication à la Fédération des
travailleurs et travailleuses du
Québec; Florian Sauvageau, du Centre
d’études sur les médias; Claude
Martin, du Département de
communication de l’Université de
Montréal; les professeurs Jocelyne
Henen, Guy Gingras et Benoît
Pothier, et les élèves, Audrey-Ann
Beaudry, Mélanie Charrette,
Catherine Éthier-Renaud et Valérie
Destroimaisons du Collège Ahuntsic;
Christian Barbe, de l’Association
des artisans des arts graphiques de
Montréal; et enfin André Dion, de
l’Institut des communications
graphiques du Québec.
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Lire le texte de l'auteur et
collaboratrice Marie Lebert
Lire un extrait du texte de L'auteur
et collaborateur Lorenzo Soccavo
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