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LA DÉPRESSION

sa « nature », ses « causes »…
et ce qui peut être fait à l’encontre d’elle
(aux niveaux individuel et collectif) :

toute sa problématique, d’un point de vue behavioriste strict

ou

Un court article réjouissant au sujet déprimant de la dépression

par Jean-Pierre Bacon


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© 2019 Jean-Pierre Bacon


Au sujet de l’auteur

Diplômé du 2e cycle de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, où l’ingénieur et philosophe Jean-Claude Brief lui a permis de découvrir un des ouvrages de B. F. Skinner qui ont été traduits en français, Jean-Pierre Bacon a été professeur de physique et de mathématiques au Collège de Montréal ainsi que aidant auprès de jeunes en difficulté scolaire.


Depuis de nombreuses années, je m’intéresse aux approches behavioristes, en rapport avec les problèmes humains plus particulièrement (pour quelques précisions, voir la courte biographie qui est à la fin de ce texte). Or récemment, mon attention a été attirée par un dossier au sujet préoccupant : L’épidémie contemporaine des dépressions psychologiques.(1) Alors que je m’apprêtais à en prendre connaissance, son auteur, M. Philippe Thiriart, m’a demandé : croyez-vous qu’il soit possible de traiter de cette problématique d’un point de vue behavioriste strict?

Le behaviorisme strict (radical) est la position du philosophe de la science des contingences de renforcement, laquelle est une part récente de la biologie.(2) Peut-être plusieurs lecteurs découvriront ici l’existence de cette science, de sa technique et de sa position théorique, plutôt méconnues, particulièrement dans le monde francophone, car c’est sous son éclairage que nous tenterons de comprendre (PARTIE 1) ce qu’est la dépression et ce qui l’occasionne, (PARTIE 2) ce qui peut être fait à l’encontre d’elle au niveau individuel et (PARTIE 3) ce qui peut être fait à l’encontre d’elle au niveau collectif. À la fin, nous proposerons (PARTIE 4) une explication de l’ « épidémie » mentionnée ci-dessus en un terme médical suggérant une conception mise en question.

Je souligne que cet article est l’expression d’un point de vue scientifique, en vue de l’établissement de la connaissance recherchée. (Pour la description de la science qui éclaire le point de vue exprimé brièvement ici, les lecteurs peuvent consulter n’importe quel des ouvrages de B. F. Skinner mentionnés dans les notes infra de ce texte, ainsi que, de façon plus élaborée et scolaire toutefois, l’ouvrage intitulé The behavior of organisms, Coplay Publishing Group, Acton, Massachusetts 01720, 457 p., 1938, qui est un sommaire de dix ans de recherches universitaires de ce scientifique reconnu, sommaire dont il était impossible ici de ne faire même qu’un survol un tant soit peu pertinent. Ajoutons que B. F. Skinner a été classé parmi les 100 plus grands penseurs de l’Histoire humaine, en compagnie entre autres de Copernic, de Newton, d’Einstein, de Darwin et de Pavlov, et qu’il est considéré être l’un des hommes de science du XXe siècle les plus influents, selon Larousse et Wikipédia, entre autres sources.)

 (1)

LA « NATURE » DE LA DÉPRESSION ET SES « CAUSES »

Pour un behavioriste radical, tout comportement émis (actions, paroles, etc., publiques ou privées) résulte de l’organisme tel qu’il est au moment où il agit, l’état de celui-ci étant le produit de son « expérience » passée (son antérieure exposition à l’environnement), en tant que membre d’une espèce et en tant que individu. Or cela explique, entre autres, les différences individuelles de réaction des organismes dans une même situation.

Le mot « dépression » apparaît ainsi renvoyer à un état biologique qui est descriptible non pas en faisant appel à la physique des objets matériels ou à une prétendue métaphysique des objets de l’esprit, ni, présentement, à l’anatomie ou à la physiologie, mais en termes du produit de l’antérieure exposition environnementale du déprimé, exposition engendrant la « dépression » (l’abaissement) de la probabilité d’émission et de la « force »(3) de ses comportements. Cette « dépression » peut occasionner, parfois, des choses aussi graves que le suicide, celui où l’individu se laisse mourir ou encore cet autre où il fait un acte « volontaire » mettant fin à sa vie : cet acte-ci apparaît alors être celui qui est devenu le plus probable, dans son répertoire, parmi les conduites susceptibles d’apporter des « plaisirs » (renforcements positifs) et celles permettant d’éliminer ou de diminuer ses « tourments » (stimuli aversifs).

Cela étant dit, il est alors facile de réaliser ce qui suit : ce que fait ou ce que ne fait pas un déprimé résulte de lui, non de son sentiment de mal-être, tout comme les effets d’une pomme verte ingérée sont « causés » par celle-ci, non par sa couleur, laquelle n’est qu’indicative du caractère indigeste du fruit de cette catégorie, — tout étant constant par ailleurs. Autrement dit, un sentiment ou une émotion n’est pas « la cause » d’une partie de l’histoire ultérieure d’un organisme; il est plutôt « l’effet » de son histoire antérieure. Sa connaissance (d’abord privée, à savoir par l’individu, puis, éventuellement, manifestée publiquement, à des membres de la communauté) est précieuse pour connaître l’état de cet organisme, alors.

Et nous pouvons dire quelque chose de semblable à propos du comportement verbal du « déprimé, », public ou privé (ses « pensées ») : pour un behavioriste strict, ce comportement est fonction d’événements directement observables. Certes un mot émis peut rappeler de mauvais « souvenirs » et l’état d’un individu qui rumine ou ressasse des événements est nuisible, mais pour s’occuper de cela, il vaut mieux aller directement aux « causes », sans recourir à des concepts mentalistes, comme expliqué précédemment. Quoi qu’il en soit, les procédures « périphériques »,  sont insuffisantes, du dire même de spécialistes impliqués ici et d’observateurs.

Bref il y a un lien entre les émotions, les pensées et le comportement, et le changement de ce qui est ressenti et/ou pensé et celui de la conduite ont une seule et même cause, à chercher dans le milieu environnant.

Quant aux désordres médicaux pouvant accompagner la « dépression » (comme des maux d’estomac ou un ulcère, qu’un médecin, avec l’aide des compagnies pharmaceutiques, peut avoir à soigner durant la période dépressive), disons que, pour un behavioriste strict, ils sont tous « somatiques », non « psychologiques », chacun étant « causé » par des parties du corps du « déprimé » telles que des glandes ou des tissus mous qui répondent de façon chronique dans les circonstances occasionnant l’état corporel ressenti (la « dépression »).(4)

(2)

TRAITEMENT DE LA DÉPRESSION AU NIVEAU INDIVIDUEL

L’idée du traitement individuel du problème m’amène d’abord à cette question, entendue récemment : est-ce que le bonheur s’apprend?

Pour un behavioriste radical, tout bien-être (opposé particulièrement ici à l’état ressenti par un « déprimé ») est un sous-produit de l’antérieure exposition d’un homme à l’environnement, en tant que membre d’une espèce et en tant qu’individu. De cela on peut dire, d’une façon métaphorique, que le bonheur n’est pas inné.

De là réalisons que les conduites qui apportent le bonheur peuvent, elles, être apprises, au cours de la vie personnelle : il est question des comportements renforcés sous le mode positif(5) (par la récompense, comme on dit communément) ou sous le mode négatif(6) (par la disparition ou par la diminution de la punition, au sens commun, assez large(7)). Et la beauté de la chose est que nul besoin n’est nécessité de tourner l’attention du patient vers son passé, fréquemment inaccessible, ou vers de prétendues choses à l’existence suspecte, voire vers des objets clairement imaginaires, car ce qu’on recherche, ce sont les présentes conditions environnementales des conduites à acquérir, pour les établir et pour les maintenir, dans le milieu externe, à la place des actions inappropriées.

Pour cela donc, un comportementaliste, qui est concentré sur le présent environnement afin de modifier les conditions des actions, est susceptible d’être beaucoup plus efficace(8) qu’un intervenant qui dirige presque toute l’attention vers l’univers privé de ce qui est ressenti, vers des choses plus inaccessibles encore ou, pire, vers des entités fictives.

Ainsi, le spécialiste qui découvre que la dépression d’un homme est occasionnée par son comportement inefficace dans son nouveau milieu (comme c’est le cas dans le texte de B. F. Skinner, cité plus bas) peut l’aider à entreprendre un stage d’appoint, pour s’adapter à son nouvel environnement, à trouver ensuite un encadrement dans lequel ses comportements seront généralement renforcés, voire à chercher un autre emploi si les conditions de sa dépression ne peuvent pas y être changées.

En présence d’un divorcé, il pourra d’abord l’amener à une fine conscience réfléchie des moments de sa semaine où son mal-être est grand, puis à faire alors des activités (physiques ou « intellectuelles ») qui sont incompatibles avec l’émission des réponses émotionnelles à éliminer, à enlever de son milieu immédiat d’éventuels objets qui favorisent inutilement ces réponses émotionnelles ainsi qu’à s’engager dans des actions gratifiantes avec des amis ou avec de nouvelles connaissances.

En relation avec un enfant qui déprime à la suite de ses insuccès scolaires en mathématiques, il conseillera à ses parents de faire appel à une aide extérieure, comme à un bon élève d’un niveau supérieur, qui lui fera prendre de l’avance dans cette matière, de sorte à maximiser les conditions d’apprentissage dans les cours ultérieurs. Ces parents pourront aisément le superviser ensuite dans de nouveaux devoirs, particuliers, consistant à refaire des exercices solutionnés en classe dans la journée, lesquels permettront qu’ils se corrigent lui-même, immédiatement, et lui présenteront la bonne démarche à suivre, lorsque ce sera nécessaire. L’intervenant les incitera éventuellement aussi à se servir d’une chose appréciée par l’enfant (par exemple, un jeu électronique, incluant un qu’ils avaient confisqué antérieurement, en « punition », jusqu’aux éventuels bons résultats ultérieurs) pour « récompenser » son bon travail quotidien.

Comme on le voit, ces mesures sont concrètes et concentrées sur le présent milieu externe, afin de le modifier pour établir les conduites appropriées et pour maintenir des réponses fortes, « motivées », etc.

Pour un behavioriste radical, les procédures adoptées pour cette modification (incluant le « développement du moi », celles dites « centrées sur les processus cognitifs, avec ou sans recherche de modification des pensées », « l’édification d’un sens vital de soi » et « celles de la thérapie interpersonnelle ») se réalisent, par l’aménagement de l’environnement, en apprenant au déprimé où trouver des « expériences » (contingences) favorables, ou en lui fournissant des avertissements, des conseils, des instructions, des règles… qui engendrent un comportement susceptible d’être renforcé. Notons aussi que les paroles d’un intervenant n’ont un « pouvoir » sur qui que ce soit que par de telles « expériences ».

Ajoutons que les techniques de désensibilisation et de relaxation musculaire, les procédures axées sur la graduation des tâches, celles amenant un patient à donner, plus ou moins consciemment, des réponses incompatibles avec celles néfastes et ces autres qui, de façon opposée, lui font acquérir non seulement la conscience, mais aussi la conscience réfléchie des problèmes vécus  reçoivent leur pleine « justification » dans le cadre, cohérent, du behaviorisme radical. Contrairement à ce qu’on suppose souvent, la thérapie comportementale ne consiste pas exclusivement à établir des « expériences positives », et un behavioriste radical n’est pas contre les éventuelles améliorations des choses qui découlent d’une quelconque procédure; il est uniquement opposé à des interprétations et à des actions en tant qu’elles réduisent l’efficacité des intervenants.

 * * *

Nous ne pouvons terminer cette section du texte sans noter que, lors de ses actions visant le concret des choses, un behavioriste radical dissipe souvent et même subrepticement, par leur réussite pratique8, des présupposés philosophiques et fait apprendre un discours, approprié, en termes d’apprentissage.

Un tel intervenant ne fait, strictement, nulle concession aux fictions explicatives. Il s’oppose, entre autres, à celle, encore bien en vogue de nos jours, du développement d’une nature innée riche en talents potentiels que l’individu devrait en venir à maîtriser pour contribuer au bien commun, et à cette autre, plus récente mais tout aussi inappropriée, de la croissance personnelle d’un Soi, parfois défini explicitement comme étant d’une nature virtuelle, que la société devrait émanciper et protéger tout à la fois, dans les contraintes très limitatives du réel.­­

Répétons que sa position, cohérente, est sceptique par rapport, à la fois, aux choses plutôt suspectes dans leur existence (comme les supposées images mentales), aux facultés imaginaires (comme le « jugement »), dont on parle à la place des explications en termes de l’équipement génétique ou de l’histoire personnelle, et aux méthodes telles que l’introspection même, laquelle est une façon peu fiable de connaître une personne9.

 (3)

TRAITEMENT DE LA DÉPRESSION AU NIVEAU COLLECTIF

De son côté, le traitement collectif de la problématique est plus difficile à établir, car il implique un changement général. Mais nous pouvons aisément en mentionner quatre principes :

a) utiliser la « récompense », plutôt que la « punition » (le renforcement plutôt que les stimuli aversifs ou le retrait de renforcements positifs) : la première est un instrument de « motivation », alors que la seconde génère la duplicité, la contre-attaque, l’anxiété, etc.,

b) faire le moins possible intervenir les renforcements artificiels et différés, comme l’argent, car un comportement est mieux défini et maintenu par des conséquences directement tributaires de l’histoire évolutive (le pêcheur qui opère pour survivre est davantage investi dans son comportement que celui qui pêche pour l’obtention de choses qu’il va éventuellement échanger pour des biens),

c) privilégier le « vécu »  des individus, plutôt que les directives verbales : cela assure les intervenants d’un comportement d’une plus grande force et qui est plus enclin à être répété (le comportement d’un automobiliste qui se dirige vers un lieu de loisirs éloigné dont il connaît le chemin est plus fort, moins accompagné d’anxiété, etc., que celui d’un homme conduisant sous des directives),

d) faire en sorte que les renforcements suivent immédiatement les comportements, car les « récompenses » qui ne sont pas contingentes sont moins fortes et de moindre importance au niveau biologique que celles qui le sont (une friandise pour renforcer la conduite d’un enfant est plus efficace si elle suit immédiatement l’action que si elle est donnée quelques minutes plus tard, et n’a aucun effet si elle n’est pas en relation avec elle).(10)

Pour arriver à traiter la « dépression » au niveau collectif, il faut certes une réforme générale, mais celle-ci est loin de devoir passer par l’établissement d’une communauté expérimentale, telle que Walden 2,(11) et, encore moins, par un changement tributaire d’une révolution politique, comme dans Walden 3.(12) Serait déjà très constructive une démarche, disons « Walden 2,5 », consistant à établir et à maintenir le milieu approprié partout, dans la présente communauté, où il est facile de le faire (comme dans l’environnement personnel d’un célibataire, comme dans une famille, comme dans une petite école ou comme dans un milieu de loisirs ou de travail).(13) Elle pourrait faire intervenir des spécialistes du comportement. C’est ainsi qu’il serait possible d’établir une culture se rapprochant de celle que tous ses membres trouveraient bonne, car elle apporterait à chacun le maximum de renforcements positifs et le minimum de renforcements négatifs, sur tous les plans et à long terme, ainsi qu’à court terme.

(4)

Dans cette dernière partie, nous allons tenter d’expliquer, comme annoncé, ce qui a été appelé « l’épidémie contemporaine de la dépression » dans le dossier de M. Philippe Thiriart, mentionné au départ(1).

Nous allons procéder en trois étapes : en donnant, d’abord, un exemple de formulations explicatives behavioristes strictes (radicales) de la dépression (ce qui permettra, à la fois, de résumer un peu tout ce qui précède et de donner une base pour la proposition en fin de ce présent article), puis un exemple de formulations énumératives, correspondant au dossier de M. Philippe Thiriart, et, finalement, une traduction explicative du point de vue qui m’apparaît être impliqué par cet intéressant dossier.

UN EXEMPLE DE FORMULATIONS EXPLICATIVES BEHAVIORISTES STRICTES

Dans son ouvrage Par-delà la liberté et la dignité(14), B. F. Skinner, le chef de file du behavioriste radical, présente une courte série de traductions objectives de descriptions traditionnelles relatives à la dépression. Ces quelques traductions valent plus qu’un traité classique.

Considérons un jeune homme dont l’univers a subitement changé. Il vient de terminer ses études universitaires, et trouve un emploi, ou doit entrer au service militaire. La plupart des comportements qu’il a acquis jusque-là se révèlent inutiles dans son nouveau milieu. Les comportements qu’il manifeste réellement se laissent décrire comme suit (nous fournissons entre parenthèses une traduction objective de cette description traditionnelle) : il manque d’assurance et se sent peu sûr de lui (son comportement est faible et inapproprié); il est insatisfait et découragé (il est rarement renforcé, et en conséquence, son comportement subit une extinction); il est frustré (l’extinction s’accompagne de réactions émotionnelles); il se sent mal à l’aise et anxieux (son comportement a fréquemment des conséquences aversives inévitables qui ont des effets émotionnels); il n’y a rien qu’il ait envie de faire ou dont il tire du plaisir, il n’a plus le sentiment de créer quoi que ce soit, il a l’impression de mener une vie sans but, de ne plus rien réaliser (il est rarement renforcé pour avoir fait quoi que ce soit); il éprouve de la culpabilité ou de la honte (il a auparavant été puni pour son oisiveté ou ses échecs, qui évoquent maintenant des réactions émotionnelles); il est déçu ou dégoûté de lui-même (il n’est plus renforcé par l’admiration des autres, et l’extinction qui en résulte a des effets émotionnels); il devient hypocondriaque (il conclut qu’il est malade) ou névrotique (il s’engage dans diverses formes de fuites inefficaces); et il éprouve une crise d’identité (il ne reconnaît plus la personne que jadis il appelait « Moi ».

UN EXEMPLE DE FORMULATIONS ÉNUMÉRATIVES : LE DOSSIER AU SUJET DE L’ « ÉPIDÉMIE » CONTEMPORAINE DE LA DÉPRESSION

Pour sa part, M. Philippe Thiriart, l’auteur du dossier qui est mentionné initialement parle comme suit, en rapport avec son propre écrit.

En Occident, de grands changements socio-économiques ont eu lieu après la deuxième guerre mondiale. La population, dans son ensemble, a bénéficié d’une croissance inouïe de la richesse. De nombreux enfants nés de parents ouvriers ou paysans ont pu accéder à une des classes moyennes prospères. Notamment, une scolarisation prolongée a permis à de nombreux jeunes d’accéder à une nouvelle classe moyenne, intellectuelle et progressiste, souvent rémunérée par des organismes subventionnés par l’État.

Cette nouvelle classe « pensante » s’est substituée aux clercs et aux religieux pour répandre de nouvelles « valeurs psychosociales » dans la population. Elle a promu la pleine « réalisation de soi », dans la vie personnelle ainsi que lors d’un parcours professionnel toujours mieux rémunéré. Les aspirations et les exigences des jeunes s’en sont accrues démesurément.

Puis, dans les années 1980, la croissance économique a beaucoup ralenti. Le pouvoir d’achat des classes moyennes a stagné, tandis que les aspirations et les exigences de leurs membres sont demeurées élevées. L’endettement des ménages et des gouvernements s’est accru inexorablement. Les services de l’État se sont dégradés en partie. Les emplois à la fois de prestige et bien rémunérés deviennent alors plus rares. Les jeunes adultes sont peu nombreux à pouvoir accéder à des positions confortables, comme des postes intermédiaires dans les services publics. Plusieurs jeunes, même diplômés universitaires, n’ont plus accès qu’à des emplois subalternes, médiocrement payés, instables, répétitifs ou stressants (contrairement à ce qui était un peu avant), alors que leurs aspirations demeurent élevées. Il n’est pas étonnant que le réel en « démoralise » un assez nombre.

Toujours selon les recherches de l’auteur du dossier publié par la revue Le Québec sceptique, les taux de dépressions et de suicides ont été multipliés par trois ou par quatre en Amérique du Nord. (En passant, notons ceci : bien que les femmes se déclarent plus souvent affectées de dépressions que les hommes, et bien qu’elles fassent davantage de tentatives de suicide, beaucoup plus d’hommes que de femmes se suicident effectivement.)

Le système médical et les compagnies pharmaceutiques font croire que l’étiquette de dépression neuropsychiatrique peut s’appliquer aux déceptions et aux démoralisations éprouvées dans la vie. Ces démoralisations ne sont-elles pas normales, compte tenu des grandes aspirations et exigences que la culture inculque aux jeunes? L’usage très répandu de médicaments antidépresseurs ne serait-il pas abusif dans ce cas?

M. Philippe Thiriart donne quelques sources qui appuient sa description et les lecteurs intéressés à celles-ci peuvent consulter son dossier1. Pour ma part, ce qui va m’occuper maintenant est la traduction, en des termes explicatifs, du plausible point de vue descriptif qui me semble impliqué par l’article.

UNE TRADUCTION EXPLICATIVE DE LA DESCRIPTION DES ÉVÉNEMENTS

En toute vraisemblance, les apparents changements rapides qui sont décrits précédemment ont eu les conséquences comportementales (particulièrement, « psychologiques ») mentionnées, ci-dessus, dans le texte de B. F. Skinner, mais, cette fois, à un niveau plus généralisé, plus collectif.

Étant passés d’un milieu plutôt répressif à un relativement permissif et aisé, des gens, apparemment et vraisemblablement, se retrouvent ensuite dans un monde où ils perdent leurs acquis ou doivent trimer plus dur, s’endetter, etc., pour les conserver. Dans ce monde, il y a aussi dénatalité, augmentation de la population par immigration, effritement de la famille… et diminution de l’encadrement des jeunes, baisse du soutien (par les proches parents et par les intervenants des services publics gratuits) aux divorcés, aux malades et aux autres individus en détresse, etc.

Or cette description peut être traduite succinctement en termes techniques de passages rapides d’un système punitif15 à un système où peu d’influences et de contrôles « bienveillants » sont exercés, puis d’un système de renforcement16 à un qui est punitif, voire d’un système de punition à un autre davantage punitif, avec, toujours, un manque de conditions pour les comportements renforcés. Selon le point de vue scientifique soutenu ici, ces systèmes, dans leur changement rapide, seraient les « causes » (conditions) de l’« épidémie » qui est en question.

Quoi qu’il en soit, il est possible de ne pas adhérer à ces dernières idées sans, pour autant, devoir délaisser les premières, qui, réalisons-le, sont sans comparaison avec celles-là au niveau entre autres de l’importance de leurs objets (la « nature » de la dépression, ce qui l’occasionne, ce qui peut être fait à l’encontre d’elle aux niveaux individuel et collectif) et de la productivité qu’il est sensé, cohérent, rationnel et même réaliste d’en attendre.

CONCLUSION

Comme il a été dit précédemment, l’univers a récemment changé rapidement avec la vraisemblable conséquence d’une apparition subite d’un grand nombre de dépressions « psychologiques », mais il peut être réjouissant de prendre conscience qu’une position cohérente d’interventions efficaces existe déjà, aux niveaux individuel et collectif. Elle est établie sous l’éclairage de la science récente de l’analyse expérimentale du comportement (appelée aussi « analyse opérante » ou « science des contingences de renforcement »). Cette prise de conscience passe par une formulation différente de l’explication classique du comportement, qui est en termes des états du corps, lesquels sont à considérer plutôt comme étant des « indicateurs » de ce qui ne va pas dans les déterminants qui doivent être changés pour que le comportement lui-même soit changé.

 

© 2019 Jean-Pierre Bacon

 


NOTES

  1. THIRIART, Philippe. L’épidémie contemporaine des dépressions psychologiques, IN le Québec sceptique, no 85, pp. 44-52, https://www.sceptiques.qc.ca/assets/docs/Qs85p44-52.pdf

  2. Voir Pour une science du comportement : le behaviorisme, B. F. Skinner, DELACHAUX & NIESTLÉ, éditeurs, Neuchâtel-Paris, traduit de l’anglais par F. Parot, 1979, 263 p., pour bien distinguer le behaviorisme radical de diverses autres positions, comme le structuralisme, le behaviorisme méthodologique et le cognitivisme, ainsi que pour dissiper des critiques clairement sans fondements que, malheureusement, on entend encore parfois à son sujet, après quelques années.

  3. La probabilité d’émission d’un comportement est l’affaire de sa fréquence d’apparition, en certaines circonstances, et sa « force » est celle de la forme (topographie) du phénomène observé, dans l’espace et le temps.

  4. Voir Science and human behavior, B. F. Skinner, The free Press, USA, 449 p.

  5. Le renforcement sous le mode positif est le processus par lequel la fréquence d’un comportement est accrue à la suite de la présentation d’un stimulus particulier. Il est défini par cet effet, sur le comportement. On distingue généralement deux grandes catégories de (stimuli qui exercent des) renforcements positifs : les renforcements primaires, ou non conditionnés, comme la nourriture, et les renforcements secondaires, ou conditionnés, comme l’argent.

  6. Le renforcement sous le mode négatif est le processus par lequel est accrue la fréquence d’apparition d’un comportement à la suite du retrait ou de la diminution d’un stimulus « aversif ». Il y a deux types de  stimuli « aversifs » : primaires, comme une punition corporelle, et secondaires, comme une réprimande verbale.

  7. Le mot « punition » est un terme servant à identifier une grande classe, comprenant deux types de choses : l’administration d’un renforcement négatif et le processus de la suppression d’un renforcement positif. La suppression du renforcement positif occasionne la disparition, l’extinction, de la réponse dans le répertoire de l’organisme puni, alors que l’administration d’un renforcement négatif ne fait qu’engendrer la cessation immédiate de la conduite, laquelle risque d’être produite à nouveau, en des situations non menaçantes, où la punition n’apparaît pas être octroyée. Pour un behavioriste radical, aucune punition n’est positive, nulle ne fait acquérir un comportement renforcé (sous le mode positif ou sous le mode négatif). La punition n’est pas le contraire du renforcement et elle engendre des sous-produits nuisibles, comme l’anxiété, qui est exercée par un organisme dans ce qui nuit à l’apprentissage de conduites renforcées à la place des punies.

  8. Pour des exemples, très pertinents, voir Les thérapies behaviorales, modifications correctives du comportement et behaviorisme, Gérard MALCUIT, Luc GRANGER et Alain LAROCQUE, éd. Les Presses de l’Université Laval, 1972, 219 p.

  9. M. Philippe Thiriart, mentionné précédemment dans l’article, vient de me soumettre le résumé d’une recherche récente montrant, à nouveau, qu’une personne se connaît souvent très mal, elle-même. Entre autres, on y montre que la relation est faible entre les déclarations d’intention et les comportements effectifs une fois que l’individu est en situation. Voir : Lee ROSS & Richard E. NISBETT, The person and the situation (perspectives of social psychology), Great Britain, Pinter and Martin Ltd,(1991) 2011, 288 p. https://www.amazon.ca/Person-Situation-Perspectives-Social-Psychology/dp/1905177445

  10. Voir, par exemple, Science et comportement humain, B. F. Skinner, 3e édition, traduit de l’anglais par André et Rose-Marie Gonthier-Werren, préface de Marc Richelle, introduction d’Alexandre Dorna, Éditions IN PRESS, 416 p., 2011.

  11. B. F. Skinner. Walden 2 communauté expérimentale, 2e édition, Éditions IN PRESS, 2012. (Walden 2 est un ouvrage de la catégorie des fictions.)

  12. ARDILA, Rubin. Walden trois, traduit du castillan par Raphaël Villatte, téléchargement gratuit sur le site : freixa.over-blog.com/article-22392940.html. (Walden trois est un ouvrage de la catégorie des fictions.)

  13. BACON, Jean-Pierre. Tous les grands problèmes philosophiques sous l’éclairage de la science des contingences de renforcement, la Fondation littéraire fleur de Lys, Lévis, mai 2017, 1484 p., téléchargement gratuit.

  14. B. F. Skinner. Par-delà la liberté et la dignité, traduit de l’américain par Anne-Marie et Marc Richelle, Éditions Hurtubise, Montréal, et Éditions Robert Laffont, Paris 6e, 1971, p. 179.

  15. Un système punitif est, par exemple, une partie de l’environnement naturel, un dispositif expérimental ou une communauté verbale qui établit certaines « expériences » comportant des conduites suivies de punitions (voir la note no 7).

  16. Un système de renforcement est, par exemple, une partie de l’environnement naturel, un dispositif expérimental ou une communauté verbale qui établit certaines « expériences » comportant des conduites suivies de renforcements (voir les notes nos 5 et 6). Les systèmes de renforcement et ceux punitifs existent indépendamment de tout effet qu’ils pourraient avoir sur un organisme.
    Diplômé du 2e cycle de la faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, où l’ingénieur et philosophe Jean-Claude Brief lui a permis de découvrir un des ouvrages de B. F. Skinner qui ont été traduits en français, Jean-Pierre Bacon a été professeur de physique et de mathématiques au Collège de Montréal ainsi que aidant auprès de jeunes en difficulté scolaire.


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