LA
DÉPRESSION
sa « nature », ses
« causes »…
et ce qui peut être fait à l’encontre d’elle
(aux niveaux individuel et collectif) :
toute sa
problématique, d’un point de vue behavioriste strict
ou
Un court article
réjouissant au sujet déprimant de la dépression
par Jean-Pierre Bacon
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© 2019
Jean-Pierre Bacon
Au sujet de
l’auteur
Diplômé du 2e cycle de la faculté
des arts et des sciences de l’Université de Montréal, où l’ingénieur
et philosophe Jean-Claude Brief lui a permis de découvrir un des
ouvrages de B. F. Skinner qui ont été traduits en français,
Jean-Pierre Bacon a été professeur de physique et de mathématiques
au Collège de Montréal ainsi que aidant auprès de jeunes en
difficulté scolaire.
Depuis de
nombreuses années, je m’intéresse aux approches behavioristes, en
rapport avec les problèmes humains plus particulièrement (pour
quelques précisions, voir la courte biographie qui est à la fin de
ce texte). Or récemment, mon attention a été attirée par un dossier
au sujet préoccupant :
L’épidémie contemporaine des dépressions psychologiques.(1)
Alors que je m’apprêtais à en prendre connaissance, son auteur, M.
Philippe Thiriart, m’a demandé : croyez-vous qu’il soit possible de
traiter de cette problématique d’un point de vue behavioriste
strict?
Le behaviorisme strict (radical)
est la position du philosophe de la science des contingences de
renforcement, laquelle est une part récente de la biologie.(2)
Peut-être plusieurs lecteurs découvriront ici l’existence de cette
science, de sa technique et de sa position théorique, plutôt
méconnues, particulièrement dans le monde francophone, car c’est
sous son éclairage que nous tenterons de comprendre (PARTIE 1) ce
qu’est la dépression et ce qui l’occasionne, (PARTIE 2) ce qui peut
être fait à l’encontre d’elle au niveau individuel et (PARTIE 3) ce
qui peut être fait à l’encontre d’elle au niveau collectif. À la
fin, nous proposerons (PARTIE 4) une explication de l’ « épidémie »
mentionnée ci-dessus en un terme médical suggérant une conception
mise en question.
Je souligne que cet article est
l’expression d’un point de vue scientifique, en vue de
l’établissement de la connaissance recherchée. (Pour la description
de la science qui éclaire le point de vue exprimé brièvement ici,
les lecteurs peuvent consulter n’importe quel des ouvrages de
B. F. Skinner mentionnés dans les notes infra de ce
texte, ainsi que, de façon plus élaborée et scolaire toutefois,
l’ouvrage intitulé
The behavior of organisms, Coplay Publishing
Group, Acton, Massachusetts 01720, 457 p., 1938, qui est un sommaire
de dix ans de recherches universitaires de ce scientifique reconnu,
sommaire dont il était impossible ici de ne faire même qu’un survol
un tant soit peu pertinent. Ajoutons que B. F.
Skinner a été classé parmi les 100 plus grands penseurs de
l’Histoire humaine, en compagnie entre autres de Copernic, de
Newton, d’Einstein, de Darwin et de Pavlov, et qu’il est considéré
être l’un des hommes de science du XXe siècle les plus influents,
selon Larousse et Wikipédia, entre autres
sources.)
(1)
LA « NATURE » DE LA
DÉPRESSION ET SES « CAUSES »
Pour un behavioriste radical, tout
comportement émis (actions, paroles, etc., publiques ou privées)
résulte de l’organisme tel qu’il est au moment où il agit, l’état de
celui-ci étant le produit de son « expérience » passée (son
antérieure exposition à l’environnement), en tant que membre d’une
espèce et en tant que individu. Or cela explique,
entre autres, les différences individuelles de réaction des
organismes dans une même situation.
Le mot « dépression » apparaît
ainsi renvoyer à un état biologique qui est descriptible non pas en
faisant appel à la physique des objets matériels ou à une prétendue
métaphysique des objets de l’esprit, ni, présentement, à
l’anatomie ou à la physiologie, mais en termes du produit de
l’antérieure exposition environnementale du déprimé, exposition
engendrant la « dépression » (l’abaissement) de la probabilité
d’émission et de la « force »(3) de ses comportements. Cette
« dépression » peut occasionner, parfois, des choses aussi graves
que le suicide, celui où l’individu se laisse mourir ou encore cet
autre où il fait un acte « volontaire » mettant fin à sa vie : cet
acte-ci apparaît alors être celui qui est devenu le plus probable,
dans son répertoire, parmi les conduites susceptibles d’apporter des
« plaisirs » (renforcements positifs) et celles permettant
d’éliminer ou de diminuer ses « tourments » (stimuli aversifs).
Cela étant dit, il est alors
facile de réaliser ce qui suit : ce que fait ou ce que ne fait pas
un déprimé résulte de lui, non de son sentiment de mal-être, tout
comme les effets d’une pomme verte ingérée sont « causés » par
celle-ci, non par sa couleur, laquelle n’est qu’indicative du
caractère indigeste du fruit de cette catégorie, — tout étant
constant par ailleurs. Autrement dit, un sentiment ou une émotion
n’est pas « la cause » d’une partie de l’histoire ultérieure d’un
organisme; il est plutôt « l’effet » de son histoire antérieure. Sa
connaissance (d’abord privée, à savoir par l’individu, puis,
éventuellement, manifestée publiquement, à des membres de la
communauté) est précieuse pour connaître l’état de cet organisme,
alors.
Et nous pouvons dire quelque chose
de semblable à propos du comportement verbal du « déprimé, », public
ou privé (ses « pensées ») : pour un behavioriste strict, ce
comportement est fonction d’événements directement observables.
Certes un mot émis peut rappeler de mauvais « souvenirs » et l’état
d’un individu qui rumine ou ressasse des événements est nuisible,
mais pour s’occuper de cela, il vaut mieux aller directement aux
« causes », sans recourir à des concepts mentalistes, comme expliqué
précédemment. Quoi qu’il en soit, les procédures « périphériques »,
sont insuffisantes, du dire même de spécialistes impliqués ici et
d’observateurs.
Bref il y a un lien entre les
émotions, les pensées et le comportement, et le changement de ce qui
est ressenti et/ou pensé et celui de la conduite ont une seule et
même cause, à chercher dans le milieu environnant.
Quant aux désordres médicaux
pouvant accompagner la « dépression » (comme des maux d’estomac ou
un ulcère, qu’un médecin, avec l’aide des compagnies
pharmaceutiques, peut avoir à soigner durant la période dépressive),
disons que, pour un behavioriste strict, ils sont tous « somatiques
», non « psychologiques », chacun étant « causé » par des parties du
corps du « déprimé » telles que des glandes ou des tissus mous qui
répondent de façon chronique dans les circonstances occasionnant
l’état corporel ressenti (la « dépression »).(4)
(2)
TRAITEMENT DE LA
DÉPRESSION AU NIVEAU INDIVIDUEL
L’idée du traitement individuel du
problème m’amène d’abord à cette question, entendue récemment :
est-ce que le bonheur s’apprend?
Pour un behavioriste radical, tout
bien-être (opposé particulièrement ici à l’état ressenti par un «
déprimé ») est un sous-produit de l’antérieure exposition d’un homme
à l’environnement, en tant que membre d’une espèce et
en tant qu’individu. De cela on peut dire, d’une façon métaphorique,
que le bonheur n’est pas inné.
De là réalisons que les
conduites qui apportent le bonheur peuvent, elles, être
apprises, au cours de la vie personnelle : il est question des
comportements renforcés sous le mode positif(5) (par la récompense,
comme on dit communément) ou sous le mode négatif(6) (par la
disparition ou par la diminution de la punition, au sens commun,
assez large(7)). Et la beauté de la chose est que nul besoin n’est
nécessité de tourner l’attention du patient vers son passé,
fréquemment inaccessible, ou vers de prétendues choses à l’existence
suspecte, voire vers des objets clairement imaginaires, car ce qu’on
recherche, ce sont les présentes conditions
environnementales des conduites à acquérir, pour les établir et pour
les maintenir, dans le milieu externe, à la place des actions
inappropriées.
Pour cela donc, un
comportementaliste, qui est concentré sur le présent environnement
afin de modifier les conditions des actions, est susceptible d’être
beaucoup plus efficace(8) qu’un intervenant qui dirige presque toute
l’attention vers l’univers privé de ce qui est ressenti, vers des
choses plus inaccessibles encore ou, pire, vers des entités
fictives.
Ainsi, le spécialiste qui découvre
que la dépression d’un homme est occasionnée par son comportement
inefficace dans son nouveau milieu (comme c’est le cas dans le texte
de B. F. Skinner, cité plus bas) peut l’aider à entreprendre un
stage d’appoint, pour s’adapter à son nouvel environnement, à
trouver ensuite un encadrement dans lequel ses comportements seront
généralement renforcés, voire à chercher un autre emploi si les
conditions de sa dépression ne peuvent pas y être changées.
En présence d’un divorcé, il
pourra d’abord l’amener à une fine conscience réfléchie des moments
de sa semaine où son mal-être est grand, puis à faire alors des
activités (physiques ou « intellectuelles ») qui sont incompatibles
avec l’émission des réponses émotionnelles à éliminer, à enlever de
son milieu immédiat d’éventuels objets qui favorisent inutilement
ces réponses émotionnelles ainsi qu’à s’engager dans des actions
gratifiantes avec des amis ou avec de nouvelles connaissances.
En relation avec un enfant qui
déprime à la suite de ses insuccès scolaires en mathématiques, il
conseillera à ses parents de faire appel à une aide extérieure,
comme à un bon élève d’un niveau supérieur, qui lui fera prendre
de l’avance dans cette matière, de sorte à maximiser les
conditions d’apprentissage dans les cours ultérieurs. Ces parents
pourront aisément le superviser ensuite dans de nouveaux devoirs,
particuliers, consistant à refaire des exercices solutionnés en
classe dans la journée, lesquels permettront qu’ils se corrigent
lui-même, immédiatement, et lui présenteront la bonne démarche à
suivre, lorsque ce sera nécessaire. L’intervenant les incitera
éventuellement aussi à se servir d’une chose appréciée par l’enfant
(par exemple, un jeu électronique, incluant un qu’ils avaient
confisqué antérieurement, en « punition », jusqu’aux éventuels bons
résultats ultérieurs) pour « récompenser » son bon travail
quotidien.
Comme on le voit, ces mesures sont
concrètes et concentrées sur le présent milieu externe, afin de le
modifier pour établir les conduites appropriées et pour maintenir
des réponses fortes, « motivées », etc.
Pour un behavioriste radical, les
procédures adoptées pour cette modification (incluant le
« développement du moi », celles dites « centrées sur les processus
cognitifs, avec ou sans recherche de modification des pensées »,
« l’édification d’un sens vital de soi » et « celles de la thérapie
interpersonnelle ») se réalisent, par l’aménagement de
l’environnement, en apprenant au déprimé où trouver des
« expériences » (contingences) favorables, ou en lui fournissant des
avertissements, des conseils, des instructions, des règles… qui
engendrent un comportement susceptible d’être renforcé. Notons aussi
que les paroles d’un intervenant n’ont un « pouvoir » sur qui que ce
soit que par de telles « expériences ».
Ajoutons que les techniques de
désensibilisation et de relaxation musculaire, les procédures axées
sur la graduation des tâches, celles amenant un patient à donner,
plus ou moins consciemment, des réponses incompatibles avec celles
néfastes et ces autres qui, de façon opposée, lui font acquérir non
seulement la conscience, mais aussi la conscience réfléchie des
problèmes vécus reçoivent leur pleine « justification » dans le
cadre, cohérent, du behaviorisme radical. Contrairement à ce qu’on
suppose souvent, la thérapie comportementale ne consiste pas
exclusivement à établir des « expériences positives », et un
behavioriste radical n’est pas contre les éventuelles améliorations
des choses qui découlent d’une quelconque procédure; il est
uniquement opposé à des interprétations et à des actions en tant
qu’elles réduisent l’efficacité des intervenants.
* * *
Nous ne pouvons terminer cette
section du texte sans noter que, lors de ses actions visant le
concret des choses, un behavioriste radical dissipe souvent et même
subrepticement, par leur réussite pratique8, des présupposés
philosophiques et fait apprendre un discours, approprié, en termes
d’apprentissage.
Un tel intervenant ne fait,
strictement, nulle concession aux fictions explicatives. Il
s’oppose, entre autres, à celle, encore bien en vogue de nos jours,
du développement d’une nature innée riche en
talents potentiels que l’individu devrait en venir à maîtriser pour
contribuer au bien commun, et à cette autre, plus récente mais tout
aussi inappropriée, de la croissance personnelle
d’un Soi, parfois défini explicitement comme étant d’une nature
virtuelle, que la société devrait émanciper et protéger tout à la
fois, dans les contraintes très limitatives du réel.
Répétons que sa position,
cohérente, est sceptique par rapport, à la fois, aux choses plutôt
suspectes dans leur existence (comme les supposées images mentales),
aux facultés imaginaires (comme le « jugement »), dont on parle à la
place des explications en termes de l’équipement génétique ou de
l’histoire personnelle, et aux méthodes telles que l’introspection
même, laquelle est une façon peu fiable de connaître une personne9.
(3)
TRAITEMENT DE LA
DÉPRESSION AU NIVEAU COLLECTIF
De son côté, le traitement
collectif de la problématique est plus difficile à établir, car il
implique un changement général. Mais nous pouvons aisément en
mentionner quatre principes :
a) utiliser la « récompense »,
plutôt que la « punition » (le renforcement plutôt que les stimuli
aversifs ou le retrait de renforcements positifs) : la première est
un instrument de « motivation », alors que la seconde génère la
duplicité, la contre-attaque, l’anxiété, etc.,
b) faire le moins possible
intervenir les renforcements artificiels et différés, comme
l’argent, car un comportement est mieux défini et maintenu par des
conséquences directement tributaires de l’histoire évolutive (le
pêcheur qui opère pour survivre est davantage investi dans son
comportement que celui qui pêche pour l’obtention de choses qu’il va
éventuellement échanger pour des biens),
c) privilégier le « vécu » des
individus, plutôt que les directives verbales : cela assure les
intervenants d’un comportement d’une plus grande force et qui est
plus enclin à être répété (le comportement d’un automobiliste qui se
dirige vers un lieu de loisirs éloigné dont il connaît le chemin est
plus fort, moins accompagné d’anxiété, etc., que celui d’un homme
conduisant sous des directives),
d) faire en sorte que les
renforcements suivent immédiatement les comportements, car les
« récompenses » qui ne sont pas contingentes sont moins fortes et de
moindre importance au niveau biologique que celles qui le sont (une
friandise pour renforcer la conduite d’un enfant est plus efficace
si elle suit immédiatement l’action que si elle est donnée quelques
minutes plus tard, et n’a aucun effet si elle n’est pas en relation
avec elle).(10)
Pour arriver à traiter la
« dépression » au niveau collectif, il faut certes une réforme
générale, mais celle-ci est loin de devoir passer par
l’établissement d’une communauté expérimentale, telle que Walden
2,(11) et, encore moins, par un changement tributaire d’une
révolution politique, comme dans Walden 3.(12) Serait déjà
très constructive une démarche, disons « Walden 2,5
», consistant à établir et à maintenir le milieu approprié partout,
dans la présente communauté, où il est facile de le faire (comme
dans l’environnement personnel d’un célibataire, comme dans une
famille, comme dans une petite école ou comme dans un milieu de
loisirs ou de travail).(13) Elle pourrait faire intervenir des
spécialistes du comportement. C’est ainsi qu’il serait possible
d’établir une culture se rapprochant de celle que tous ses membres
trouveraient bonne, car elle apporterait à chacun le maximum de
renforcements positifs et le minimum de renforcements négatifs, sur
tous les plans et à long terme, ainsi qu’à court terme.
(4)
Dans cette dernière partie, nous
allons tenter d’expliquer, comme annoncé, ce qui a été appelé
« l’épidémie contemporaine de la dépression » dans le dossier de M.
Philippe Thiriart, mentionné au départ(1).
Nous allons procéder en trois
étapes : en donnant, d’abord, un exemple de formulations
explicatives behavioristes strictes (radicales) de la dépression (ce
qui permettra, à la fois, de résumer un peu tout ce qui précède et
de donner une base pour la proposition en fin de ce présent
article), puis un exemple de formulations énumératives,
correspondant au dossier de M. Philippe Thiriart, et, finalement,
une traduction explicative du point de vue qui m’apparaît être
impliqué par cet intéressant dossier.
UN EXEMPLE DE FORMULATIONS
EXPLICATIVES BEHAVIORISTES STRICTES
Dans son ouvrage
Par-delà la liberté et la dignité(14), B. F.
Skinner, le chef de file du behavioriste radical, présente une
courte série de traductions objectives de descriptions
traditionnelles relatives à la dépression. Ces quelques traductions
valent plus qu’un traité classique.
Considérons un jeune homme
dont l’univers a subitement changé. Il vient de terminer ses
études universitaires, et trouve un emploi, ou doit entrer au
service militaire. La plupart des comportements qu’il a acquis
jusque-là se révèlent inutiles dans son nouveau milieu. Les
comportements qu’il manifeste réellement se laissent décrire
comme suit (nous fournissons entre parenthèses une traduction
objective de cette description traditionnelle) : il manque
d’assurance et se sent peu sûr de lui (son comportement est
faible et inapproprié); il est insatisfait et découragé (il est
rarement renforcé, et en conséquence, son comportement subit une
extinction); il est frustré (l’extinction s’accompagne de
réactions émotionnelles); il se sent mal à l’aise et anxieux
(son comportement a fréquemment des conséquences aversives
inévitables qui ont des effets émotionnels); il n’y a rien qu’il
ait envie de faire ou dont il tire du plaisir, il n’a plus le
sentiment de créer quoi que ce soit, il a l’impression de mener
une vie sans but, de ne plus rien réaliser (il est rarement
renforcé pour avoir fait quoi que ce soit); il éprouve de la
culpabilité ou de la honte (il a auparavant été puni pour son
oisiveté ou ses échecs, qui évoquent maintenant des réactions
émotionnelles); il est déçu ou dégoûté de lui-même (il n’est
plus renforcé par l’admiration des autres, et l’extinction qui
en résulte a des effets émotionnels); il devient hypocondriaque
(il conclut qu’il est malade) ou névrotique (il s’engage dans
diverses formes de fuites inefficaces); et il éprouve une crise
d’identité (il ne reconnaît plus la personne que jadis il
appelait « Moi ».
UN EXEMPLE DE FORMULATIONS
ÉNUMÉRATIVES : LE DOSSIER AU SUJET DE L’ « ÉPIDÉMIE » CONTEMPORAINE
DE LA DÉPRESSION
Pour sa part, M. Philippe Thiriart,
l’auteur du dossier qui est mentionné initialement parle comme suit,
en rapport avec son propre écrit.
En Occident, de grands changements
socio-économiques ont eu lieu après la deuxième guerre mondiale. La
population, dans son ensemble, a bénéficié d’une croissance inouïe
de la richesse. De nombreux enfants nés de parents ouvriers ou
paysans ont pu accéder à une des classes moyennes prospères.
Notamment, une scolarisation prolongée a permis à de nombreux jeunes
d’accéder à une nouvelle classe moyenne, intellectuelle et
progressiste, souvent rémunérée par des organismes subventionnés par
l’État.
Cette nouvelle classe « pensante »
s’est substituée aux clercs et aux religieux pour répandre de
nouvelles « valeurs psychosociales » dans la population. Elle a
promu la pleine « réalisation de soi », dans la vie personnelle
ainsi que lors d’un parcours professionnel toujours mieux rémunéré.
Les aspirations et les exigences des jeunes s’en sont accrues
démesurément.
Puis, dans les années 1980, la
croissance économique a beaucoup ralenti. Le pouvoir d’achat des
classes moyennes a stagné, tandis que les aspirations et les
exigences de leurs membres sont demeurées élevées. L’endettement des
ménages et des gouvernements s’est accru inexorablement. Les
services de l’État se sont dégradés en partie. Les emplois à la fois
de prestige et bien rémunérés deviennent alors plus rares. Les
jeunes adultes sont peu nombreux à pouvoir accéder à des positions
confortables, comme des postes intermédiaires dans les services
publics. Plusieurs jeunes, même diplômés universitaires, n’ont plus
accès qu’à des emplois subalternes, médiocrement payés, instables,
répétitifs ou stressants (contrairement à ce qui était un peu
avant), alors que leurs aspirations demeurent élevées. Il n’est pas
étonnant que le réel en « démoralise » un assez nombre.
Toujours selon les recherches de
l’auteur du dossier publié par la revue Le Québec sceptique,
les taux de dépressions et de suicides ont été multipliés par trois
ou par quatre en Amérique du Nord. (En passant, notons ceci : bien
que les femmes se déclarent plus souvent affectées de dépressions
que les hommes, et bien qu’elles fassent davantage de tentatives de
suicide, beaucoup plus d’hommes que de femmes se suicident
effectivement.)
Le système médical et les
compagnies pharmaceutiques font croire que l’étiquette de dépression
neuropsychiatrique peut s’appliquer aux déceptions et aux
démoralisations éprouvées dans la vie. Ces démoralisations ne
sont-elles pas normales, compte tenu des grandes aspirations et
exigences que la culture inculque aux jeunes? L’usage très répandu
de médicaments antidépresseurs ne serait-il pas abusif dans ce cas?
M. Philippe Thiriart donne
quelques sources qui appuient sa description et les lecteurs
intéressés à celles-ci peuvent consulter son dossier1. Pour ma part,
ce qui va m’occuper maintenant est la traduction, en des termes
explicatifs, du plausible point de vue descriptif qui me semble
impliqué par l’article.
UNE TRADUCTION EXPLICATIVE
DE LA DESCRIPTION DES ÉVÉNEMENTS
En toute vraisemblance, les
apparents changements rapides qui sont décrits précédemment ont eu
les conséquences comportementales (particulièrement,
« psychologiques ») mentionnées, ci-dessus, dans le texte de B. F.
Skinner, mais, cette fois, à un niveau plus généralisé, plus
collectif.
Étant passés d’un milieu plutôt
répressif à un relativement permissif et aisé, des gens, apparemment
et vraisemblablement, se retrouvent ensuite dans un monde où ils
perdent leurs acquis ou doivent trimer plus dur, s’endetter, etc.,
pour les conserver. Dans ce monde, il y a aussi dénatalité,
augmentation de la population par immigration, effritement de la
famille… et diminution de l’encadrement des jeunes, baisse du
soutien (par les proches parents et par les intervenants des
services publics gratuits) aux divorcés, aux malades et aux autres
individus en détresse, etc.
Or cette description peut être
traduite succinctement en termes techniques de passages rapides d’un
système punitif15 à un système où peu d’influences et de contrôles
« bienveillants » sont exercés, puis d’un système de renforcement16
à un qui est punitif, voire d’un système de punition à un autre
davantage punitif, avec, toujours, un manque de conditions pour les
comportements renforcés. Selon le point de vue scientifique
soutenu ici, ces systèmes, dans leur changement rapide, seraient les
« causes » (conditions) de l’« épidémie » qui est en question.
Quoi qu’il en soit, il est
possible de ne pas adhérer à ces dernières idées sans, pour autant,
devoir délaisser les premières, qui, réalisons-le, sont sans
comparaison avec celles-là au niveau entre autres de l’importance de
leurs objets (la « nature » de la dépression, ce qui l’occasionne,
ce qui peut être fait à l’encontre d’elle aux niveaux individuel et
collectif) et de la productivité qu’il est sensé, cohérent,
rationnel et même réaliste d’en attendre.
CONCLUSION
Comme il a été dit précédemment,
l’univers a récemment changé rapidement avec la vraisemblable
conséquence d’une apparition subite d’un grand nombre de dépressions
« psychologiques », mais il peut être réjouissant de prendre
conscience qu’une position cohérente d’interventions
efficaces existe déjà, aux niveaux individuel et collectif. Elle est
établie sous l’éclairage de la science récente de l’analyse
expérimentale du comportement (appelée aussi « analyse opérante » ou
« science des contingences de renforcement »). Cette prise de
conscience passe par une formulation différente de l’explication
classique du comportement, qui est en termes des états du corps,
lesquels sont à considérer plutôt comme étant des « indicateurs » de
ce qui ne va pas dans les déterminants qui doivent être changés pour
que le comportement lui-même soit changé.
© 2019
Jean-Pierre Bacon
NOTES
-
THIRIART, Philippe. L’épidémie
contemporaine des dépressions psychologiques, IN le Québec
sceptique, no 85, pp. 44-52,
https://www.sceptiques.qc.ca/assets/docs/Qs85p44-52.pdf
-
Voir
Pour une science du comportement : le behaviorisme,
B. F. Skinner, DELACHAUX & NIESTLÉ, éditeurs, Neuchâtel-Paris,
traduit de l’anglais par F. Parot, 1979, 263 p., pour bien
distinguer le behaviorisme radical de diverses autres positions,
comme le structuralisme, le behaviorisme méthodologique et le
cognitivisme, ainsi que pour dissiper des critiques clairement
sans fondements que, malheureusement, on entend encore parfois à
son sujet, après quelques années.
-
La probabilité d’émission d’un
comportement est l’affaire de sa fréquence d’apparition, en
certaines circonstances, et sa « force » est celle de la forme
(topographie) du phénomène observé, dans l’espace et le temps.
-
Voir
Science and human behavior, B. F. Skinner, The free
Press, USA, 449 p.
-
Le renforcement sous le mode
positif est le processus par lequel la fréquence d’un
comportement est accrue à la suite de la présentation d’un
stimulus particulier. Il est défini par cet effet, sur le
comportement. On distingue généralement deux grandes catégories
de (stimuli qui exercent des) renforcements positifs : les
renforcements primaires, ou non conditionnés, comme la
nourriture, et les renforcements secondaires, ou conditionnés,
comme l’argent.
-
Le renforcement sous le mode
négatif est le processus par lequel est accrue la fréquence
d’apparition d’un comportement à la suite du retrait ou de la
diminution d’un stimulus « aversif ». Il y a deux types de
stimuli « aversifs » : primaires, comme une punition corporelle,
et secondaires, comme une réprimande verbale.
-
Le mot « punition » est un
terme servant à identifier une grande classe, comprenant deux
types de choses : l’administration d’un renforcement négatif et
le processus de la suppression d’un renforcement positif. La
suppression du renforcement positif occasionne la disparition,
l’extinction, de la réponse dans le répertoire de l’organisme
puni, alors que l’administration d’un renforcement négatif ne
fait qu’engendrer la cessation immédiate de la conduite,
laquelle risque d’être produite à nouveau, en des situations non
menaçantes, où la punition n’apparaît pas être octroyée. Pour un
behavioriste radical, aucune punition n’est positive, nulle ne
fait acquérir un comportement renforcé (sous le mode positif ou
sous le mode négatif). La punition n’est pas le contraire du
renforcement et elle engendre des sous-produits nuisibles, comme
l’anxiété, qui est exercée par un organisme dans ce qui nuit à
l’apprentissage de conduites renforcées à la place des punies.
-
Pour des exemples, très
pertinents, voir
Les thérapies behaviorales, modifications correctives du
comportement et behaviorisme, Gérard MALCUIT, Luc
GRANGER et Alain LAROCQUE, éd. Les Presses de l’Université
Laval, 1972, 219 p.
-
M. Philippe Thiriart,
mentionné précédemment dans l’article, vient de me soumettre le
résumé d’une recherche récente montrant, à nouveau, qu’une
personne se connaît souvent très mal, elle-même. Entre autres,
on y montre que la relation est faible entre les déclarations
d’intention et les comportements effectifs une fois que
l’individu est en situation. Voir : Lee ROSS & Richard E.
NISBETT, The person and the situation (perspectives of social
psychology), Great Britain, Pinter and Martin Ltd,(1991) 2011,
288 p.
https://www.amazon.ca/Person-Situation-Perspectives-Social-Psychology/dp/1905177445
-
Voir, par exemple,
Science et comportement humain, B. F. Skinner, 3e
édition, traduit de l’anglais par André et Rose-Marie
Gonthier-Werren, préface de Marc Richelle, introduction
d’Alexandre Dorna, Éditions IN PRESS, 416 p., 2011.
-
B. F. Skinner.
Walden 2 communauté expérimentale, 2e édition,
Éditions IN PRESS, 2012. (Walden 2 est un ouvrage de la
catégorie des fictions.)
-
ARDILA, Rubin. Walden trois,
traduit du castillan par Raphaël Villatte, téléchargement
gratuit sur le site :
freixa.over-blog.com/article-22392940.html. (Walden
trois est un ouvrage de la catégorie des fictions.)
-
BACON, Jean-Pierre. Tous les
grands problèmes philosophiques sous l’éclairage de la science
des contingences de renforcement, la Fondation littéraire fleur
de Lys, Lévis, mai 2017, 1484 p., téléchargement gratuit.
-
B. F. Skinner.
Par-delà la liberté et la dignité, traduit de
l’américain par Anne-Marie et Marc Richelle, Éditions Hurtubise,
Montréal, et Éditions Robert Laffont, Paris 6e, 1971, p. 179.
-
Un système punitif est, par
exemple, une partie de l’environnement naturel, un dispositif
expérimental ou une communauté verbale qui établit certaines
« expériences » comportant des conduites suivies de punitions
(voir la note no 7).
-
Un système de renforcement
est, par exemple, une partie de l’environnement naturel, un
dispositif expérimental ou une communauté verbale qui établit
certaines « expériences » comportant des conduites suivies de
renforcements (voir les notes nos 5 et 6). Les systèmes de
renforcement et ceux punitifs existent indépendamment de tout
effet qu’ils pourraient avoir sur un organisme.
Diplômé du 2e cycle de la faculté des arts et des sciences de
l’Université de Montréal, où l’ingénieur et philosophe
Jean-Claude Brief lui a permis de découvrir un des ouvrages de
B. F. Skinner qui ont été traduits en français, Jean-Pierre
Bacon a été professeur de physique et de mathématiques au
Collège de Montréal ainsi que aidant auprès de jeunes en
difficulté scolaire.
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Du même auteur
Tous les grands problèmes philosophiques
sous l'éclairage de la
science des contingences de renforcement,
Le behaviorisme radical et
les grands problèmes philosophiques,
Essai, Jean-Pierre Bacon,
Fondation littéraire Fleur de Lys
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Une philosophie scientifique et globale pour
aujourd'hui et pour l'avenir,
essai, Jean-Pierre Bacon, Fondation littéraire Fleur
de Lys
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Jean-Pierre Bacon
Qu’est-ce que la philosophie?
LE DOSSIER COMPLET
La philosophie classique
Qu’est-ce que la philosophie?
Quelles sont les grandes questions philosophiques?
Qui sont les plus célèbres philosophes dans l’Histoire?
Un classement critique des doctrines et des systèmes philosophiques.
Quel est l’avenir de la philosophie?
Le behaviorisme radical
La philosophie de l’analyse expérimentale du comportement
La philosophie de l’histoire
Complétée par trois annexes
Qu’est-ce que le temps?
Le naturel et l’artificiel
Concept et fonction
Essai, Fondation
littéraire Fleur de Lys,
Lévis, Québec, 2022,
92 pages.
Format Lettre (8,5 X 11
pouces)
ISBN
978-2-89612-621-7
Exemplaire papier : non disponible : non disponible : non disponible : 24.95$
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Tous les articles
de cet auteur
Qu'est-ce qu'un concept - Qu'est qu'une fonction ?
par Jean-Pierre Bacon
Qu'est-ce que le temps ? par Jean-Pierre Bacon
Qu'est-ce que l'histoire ? par Jean-Pierre Bacon
La dépression par Jean-Pierre Bacon
L'objet et la conscience par Jean-Pierre Bacon
La liberté par Jean-Pierre Bacon
L'univers par Jean-Pierre Bacon
Le comportement verbal par Jean-Pierre Bacon
Le behaviorisme radical par Jean-Pierre Bacon
Le naturel et l’artificiel par Jean-Pierre Bacon
Fondation
littéraire Fleur de Lys,
31, rue St-Joseph, Lévis, Québec, Canada. G6V 1A8
Téléphone : 581-988-7146
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