Vieil An 868
de la Nouvelle ère
PREMIÈRE
PARTIE
Auteure
CHAPITRE 1
Mission d’un autre type
Beaufils
— Pourquoi tu pleures, Jélésœur ? Tu n’aimes pas mon cadeau ?
Clèrane avait trouvé une pièce de tissu dont la position des boutons cousus
jadis par Jéléna illustrait les Pics-à-Flavia. Avec l’aide de son Albépère,
elle l’avait tendue, collée sur une étresse et embordurée de rondins dorés.
« Les gros sur le cadre, je les ai magiés moi-même », ajouta sa Clèrasœur.
— Oui ! Je le sais. Et je l’aime beaucoup ton cadeau. Je vais l’apporter au
Magicinum et l’exposer dans ma locande. Ainsi, je le verrai tous les jours
et je penserai à toi.
— Alors, pourquoi tu pleures ? insista la petite.
Jéléna ne répondit pas.
Croyant sa Clèrasœur assoupie après lui avoir raconté l’histoire de la jeune
fille triste et du dragonneau égaré dont elle avait commencé l’écriture,
elle avait laissé libre cours à ses larmes.
« Parce que Louvioncle a dit que le DaniMage s’en va pour un an et qu’il ne
t’emmène pas ? »
— Non ! répliqua Jéléna sèchement. Qu’il s’en aille. Loin et longtemps.
La Clèrapetite s’agenouilla dans le lit. Ses petits bras recouverts de
finette rose s’enroulèrent au cou de son aînée.
— Je ne comprends pas pourquoi tu es triste, se désola-t-elle. Elle fredonna
une berceuse que sa Léyémère lui chantait pour calmer ses peines.
Jéléna faillit pouffer en l’entendant. Bientôt quatre ans et déjà elle
possédait le pouvoir de la consolation. Comme une mère !
— Je vais mieux. Merci. Tu es merveilleuse. Mais il est quand même temps de
dormir. Elle éteignit et se glissa sous les draps.
— Raconte-moi encore ton histoire, chuchota Clèrane.
— Euh… C’est la dernière fois. Après, tu dors !
— Promis !
— Il était une fois, une jeune fille qui avait beaucoup de peines…
* * *
Quand Jéléna descendit à la cuisine, Damiane était si concentré sur sa tâche
qu’il n’avait pas touché son pain grillé recouvert d’une épaisse couche de
confiture de fraises. Elle regarda ce qu’il faisait.
— Le jeu de Gabirené !
Son Damifrère la dévisagea d’un air mauvais, offusqué d’avoir perdu sa
concentration.
— C’est un cadeau d’Albénize, expliqua Léyéna. Les déboureurs des chiffres
envisagent de l’utiliser dans les Magiscoles 1 l’an prochain.
— Tu sais en jouer ? s’enquit Damiane.
— Oui. Quand j’étais à Fougères, Gabirené nous avait demandé de le tester.
— Avais-tu inventé un jeu, toi aussi ?
Les regards se posèrent sur elle.
— Non. J’avais une mission d’un autre type, elle hésita, en lien avec mes
magies. Elle se tut. Elle ne pouvait en dire plus.
— Ah, souffla-t-il d’un air déçu.
— Tu ne manges pas, Damifrère ? demanda-t-elle pour dévier le sujet. Je peux
donc prendre ta tartine... Elle avança la main vers l’assiette du scolier.
— Non ! Je la mange, répliqua-t-il avant d’en avaler la moitié. « Tu peux
t’en faire toi-même ! »
— Dami, tu ne parles pas la bouche pleine, ordonna Albénize qui venait
d’entrer dans la cuisine et accrochait son caban à côté de la porte. Ouf !
J’ai nettoyé les entrées ; l’ondée de cette nuit avait laissé près d’un bras
de neige.
Il tira le banc à côté de Jéléna.
« Vas-tu m’accompagner à la fête des Maîtres ? Téchénar a hâte de te revoir.
Il veut se retirer bientôt. Je suppose qu’il espérait que tu lui succèdes.
Quand je lui ai dit que tu accèdes au Magicinum et que tu préconises devenir
Mage, il a eu l’air déçu. »
Il enfonça son couteau dans la tinette et recouvrit son pain de fondant.
« Clémafils ! Qu’est-ce que tu fais ? »
En voulant prendre une cuillérée de confiture, le garçonnet avait renversé
le compotier sur la nappe. Albénize le récupéra avant qu’il soit
complètement vide. Il déposa le contenu de la cuiller sur le pain de
l’enfant et nettoya magiquement les traces de son dégât.
« Fais un peu attention ! Tiens, dit-il en tartinant la confiture, mange ! »
Et lui-même mordit à belle dent dans sa beurrée de fraises.
« La réunion est à la seconde. Si je reviens te chercher après le dîner des
nouveaux Manouvriers, seras-tu prête ? »
Jéléna s’était levée pour chauffer l’eau. Quand elle déposa la tisanière
devant son Albépère, elle avait réfléchi à sa réponse.
— Bien sûr. Je t’y accompagnerai avec plaisir, Albépère, acquiesça-t-elle.