EXTRAIT
La saga des Pradov, Tome III - Le nid de l'étranger,
Pâquerette Béland,
Fondation littéraire Fleur de Lys
La mission de l’ange Samuel
Chapitre
1
Clejani, Roumanie
L’ange Samuel survola des champs de blé et de tournesol, séparés les
uns des autres par des vignes lourdes de fruits. Le tracé des rues
du village rayonnait à partir de la place du marché. Un bar, une
boulangerie, une épicerie s’éparpillaient, ça et là.
Il repéra la mairie et y chercha le primar dont il avait la garde.
Mais l’homme n’y était pas. Il se rendit à son domicile. Absent. Il
sillonna le village. Aucune trace de sa présence. Il revint alors à
la mairie. Une femme entretenait le chef de police sur un sujet qui
l’intéressa :
— Vous n’avez encore rien trouvé ?
Rasvan hochait négativement de la tête.
— Aucune piste ? Aucun indice ?
— Rien. On dirait une disparition miraculeuse.
— Ne dis pas de sottises !
— Hé ! Quelques jours d’absence et il te manque déjà ? Miruna, si je
te le retrouve notre primar, vas-tu enfin te décider à l’épouser ?
Elle esquissa un sourire empreint de tristesse.
— Non ! Il n’y aura pas de mariage Rasvan. Et puis contente-toi donc
de le retrouver pour le moment!
Cette disparition inquiéta l’ange. Il recula dans le temps, juste
avant…
* * *
Le jour déclinait. Mateï se dirigeait vers la cour du château. Il
entra dans le pavillon, se rafraîchit, changea de vêtements et en
ressortit. Il fit le tour du jardin, désherba et arrosa lentement
jusqu’à la brunante. Puis il coupa quelques buissons le long de la
vieille muraille. Quand il frôla le mausolée funéraire, la lune
passa derrière les nuages. Samuel approcha. Assez vite pour
apercevoir l’homme aspiré à l’intérieur du monument par un courant
d’énergie.
L’ange n’avait pas d’autre choix. Il s’enveloppa d’une couche
protectrice pour suivre l’humain sur la voie empruntée par le
ravisseur.
Il s’engouffra dans un long tunnel. À son extrémité, il faillit
s’enliser dans un marais. En le survolant, il se sentit surveillé.
Il scruta le miroitement bleuté. Une pince en surgit. Il l’esquiva.
Mais le crustacé ressortit pour recommencer sa chasse. L’ange
l’éclaira de ses yeux. Et cette lumière le repoussa aussitôt dans
les eaux dormantes. Samuel bougea les paupières ; les ombres
hantaient à nouveau le dessus de l’eau.
À l’autre bout de ce marécage, deux énormes chiens, crocs sortis,
montaient la garde à l’entrée d’un sentier. Il fixa leurs yeux
belliqueux, tendit lentement les mains et leur caressa la nuque.
Amadouées, les bêtes libérèrent le passage en re-muant la queue.
À la fin du sentier, un gouffre béant.
Au loin, une forteresse constituée de deux tours de pierres. Il
plana vers elle. Une grande porte permettait l’entrée aux tours. Il
la traversa.
Du rez-de-chaussée, il entendit des voix à l’étage. Il s’y hissa et
se fusionna au mur de pierres. Un ange embrassait une femme !
— Au revoir, mon amour, dit l’ange.
— Reviens vite ! Je serai en pleine forme à ton retour. J’ai toute
l’énergie dont j’ai besoin à ma portée. En disant cela, elle montra
l’autre tour.
Quand l’ange tourna la tête, Samuel reconnut celui qui n’avait pas
réfuté son accusation dans le cercle de réflexion. Pourtant, ici,
avant de s’envoler, il avait embrassé cette femme mystérieuse.
Pour connaître celle qu’il devait confronter, il transféra sous son
regard l’extrait des archives des anges qui la concernait et le
consulta rapidement.
* * *
Elle avait quitté Brasov à la fin de l’hiver 1878 pour se rendre en
Valachie, au château du prince serbe Ferenc, dans le but d’épouser
son unique fils. Milan qui refusait toute idée de mariage ne s’était
pas présenté pour les accueillir.
Elle s’était installée au château avec son personnel de maison
pendant les préparatifs. Pour éviter ces gens, Milan quittait sa
demeure tôt le matin et revenait très tard.
Un soir qu’il avait trop bu, il entra par une porte de côté qui
donnait sur un étroit escalier et grimpa les marches dans le noir en
tâtant les murs du bout des doigts. Ayant atteint l’étage, il se
re-trouva nez à nez avec la jeune fille.
— Bonsoir ! Vous êtes le prince Milan, n’est-ce pas ? Elle lui fit
une révérence qui révéla sa poitrine. « Je suis heureuse de faire
enfin connaissance avec mon futur époux. »
— Heu ! Quoi ? C’est vous que je dois épouser ? Vous êtes Cléjane ?
— Vous êtes déçu ? Et sur un ton empreint de tristesse, elle ajouta
: « Si vous ne voulez pas de ce mariage, vous n’avez qu’un mot à me
dire et je vais retourner là d’où je viens. »
— Surtout pas ! Je serai enchanté de devenir votre époux.
Elle ébaucha un sourire de contentement et tourna les talons.
Milan, pantois, ne comprenait pas pourquoi il avait changé d’avis
aussi vite.
Le jour fatidique arriva. Les popes de la région s’assemblèrent pour
bénir l’église nouvellement construite et célébrer le premier
mariage en son sein.
En plus des cadeaux traditionnels, Milan eut l’idée originale de
baptiser, du nom de Clejani, le village, le château et les terres
environnantes. Comme cette forme d’immortalité lui plut, elle le
remercia si chaleureusement qu’il ne put rien lui refuser par la
suite.
Quelques semaines plus tard, il remua tout le village pour lui
trouver une herbe particulière. Pour acquérir d’autres plantes, il
courut à la ville la plus proche. Quand une recette exigea une fleur
rare, il partit à la montagne et attendit le bon moment pour la
cueillir.
Mais plus il s’absentait longtemps pour la satisfaire, plus elle
l’inondait de reproches.
Un jour, à son retour, elle lui refusa même l’accès à son
appartement.
— Mais pourquoi ?
— Elle ne se sent pas bien, répondit la femme de chambre. Son
médecin personnel lui a ordonné du repos.
Il revint à la charge avant qu’elle ferme la porte :
— Hé ! Ce ne serait pas qu’elle va avoir un bébé ?
— Non, prince.
Milan était atterré. Il faisait tout pour elle alors que… !
Rongé par la jalousie, il quitta le château avec chevaux et carrosse
; il les laissa dans les champs à l’extérieur du village et revint à
pied à la tombée de la nuit. Il s’introduisit par une porte de
service. Des cuisines, il entra dans une réserve pour aliments,
grimpa sur une échelle, déplaça des planches du plafond et
s’engouffra dans un espace secret entre les étages. Il rampa jusqu’à
une trappe qu’il referma derrière lui et traversa la pièce. Il
souleva une peinture, fit bouger les lattes de bois et jeta un coup
d’œil à travers les fentes. Sa femme s’entretenait avec son médecin.
Vers la droite, un homme était étendu sur un lit. « La preuve de sa
trahison ! Mais je le reconnais : c’est le berger disparu depuis une
semaine. Que fait-il là ? »
…Samuel s’intéressait de plus en plus à la scène.
Les deux acolytes se dirigèrent vers le grabat. L’apothicaire
souleva l’homme affaibli. Cléjane dessina autour de lui, à une
certaine distance, la forme de son corps. Quand elle arriva au
milieu du dos, le guérisseur joignit son mouvement au sien, et le
berger s’effondra. « Mais qu’est-ce qu’ils font ? » marmonna Milan
entre ses dents. L’apothicaire ramassa le patient et le jeta sur le
lit. Milan replaça le cadre et s’en retourna, pensif.
Le protecteur de Cléjane leva les yeux vers l’endroit où Milan se
tenait quelques instants auparavant et Samuel reconnut le regard de
celui qu’il venait de démasquer dans une université américaine.
* * *
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