
L'OBJET
ET LA CONSCIENCE
par Jean-Pierre Bacon
Téléchargement
Vous pouvez télécharger cet article en format pdf en
cliquant ici
© 2019
Jean-Pierre Bacon
Au sujet de
l’auteur
Diplômé du 2e cycle de la faculté
des arts et des sciences de l’Université de Montréal, où l’ingénieur
et philosophe Jean-Claude Brief lui a permis de découvrir un des
ouvrages de B. F. Skinner qui ont été traduits en français,
Jean-Pierre Bacon a été professeur de physique et de mathématiques
au Collège de Montréal ainsi que aidant auprès de jeunes en
difficulté scolaire.
Il y a plusieurs années déjà, alors que je
commençais à m’intéresser aux grands problèmes philosophiques, les
deux questions suivantes m’ont occupé plus particulièrement :
« Qu’est-ce qu’un objet? » et « Qu’est-ce que la conscience? ». Ces
questions sont apparentées aux suivantes, plus « classiques » :
« Qu’est-ce que la matière? » et « Qu’est-ce que l’esprit? ».
Dans cet article, nous parlerons (1) de l’objet
matériel et, plus généralement, de l’objet physique, (2) des
sensations visuelle, tactile, etc., des propriétés physiques et de
la matière, (3) des illusions et des diverses perceptions sujettes
à différentes « interprétations », (4) des sensations comme le
plaisir et la douleur, des émotions, des sentiments, des besoins,
etc., (5) de la conscience et (6) des autres objets dits de
« l’esprit ». En conclusion, nous appliquerons ce qui aura été
proposé, en disant quelques mots[1]
au sujet de plusieurs grands systèmes d’idées élaborés dans
l’histoire.
Soulignons que nous présentons ici un point
de vue établi sous l’éclairage de la science des contingences
de renforcement, appelée également « analyse
expérimentale du comportement » ou « analyse opérante ».
Les affirmations suivantes sont un avant-goût de
cette présentation.
— Les objets physiques, qui sont de divers
genres, n’ont peut-être en commun que d’occuper une position
indiscutable dans l’espace et le temps.
— Ce qui est vu, touché… est dans
l’environnement, comme il semble.
— Une sensation visuelle, tactile ou autre est un
objet abstrait, c’est-à-dire une caractéristique du monde, qui, à la
fois, est exercée par un ou par plusieurs objets physiques et est le
« référent » d’un « mot », dit « abstrait ».
— La partie de l’univers qui est sous la peau
d’un organisme n’est pas d’une nature radicalement différente de
celle qui est à l’extérieur de lui; elle est uniquement plus
difficile d’accès, pour les membres de la communauté.
— Exercés par l’organisme qui les éprouve, les
plaisirs, les douleurs… sont des objets abstraits, comme le sont les
sensations visuelle, tactile, etc.
— Tous les phénomènes « mentaux » sont affaire de
comportements.
Par cet article, j’invite les lecteurs
suffisamment préparés et motivés, à approfondir les idées de B. F.
Skinner, ce scientifique qui a été considéré comme l’un des plus
grands penseurs de l’histoire, en compagnie de Copernic, de Darwin
et de Pavlov, et comme l’un des plus influents du XXe
siècle, selon Le Larousse et Wikipédia, entre
autres sources de références.
Le texte est proposé aussi à titre de glossaire
pour une soixantaine de mots parmi les plus difficiles à analyser
jusqu’à présent. Il peut servir de base aux professeurs et aux
élèves, par exemple, lors d’examens critiques d’écrits en sciences
(pures, humaines, sociales, religieuses, etc.) et en philosophie.
(1)
L’objet
physique, l’objet matériel, etc.
Une bactérie présente dans un organisme, le sang
de celui-ci, cet organisme, une maison dans laquelle ce dernier se
trouve éventuellement et la masse d’air contenu dans cette demeure
sont des choses qui occupent une position indiscutable dans l’espace
et le temps. La propriété mentionnée est ce que des physiciens
confèrent au photon,
à l’électron,
au positron…
isolés, lorsqu’ils considèrent leur « nature
corpusculaire ». Elle est peut-être la seule que possèdent en
commun tous les objets en cause dans cette section.
Les objets physiques sont ceux
qui intéressent les physiciens. Parmi eux, il y a bien sûr
les objets matériels. Le nom « l’objet matériel » se réfère
à une grande classe de choses ayant en commun d’avoir une
masse. Celle-ci est ce qu’on peut appeler « la quantité de
matière », à savoir le nombre d’unités de masse (le kg, par exemple)
permettant l’équilibre sur une balance à deux plateaux. Les
physiciens ont reconstruit ce concept commun, en termes de
l’inertie, et
l’ont distingué de la
pesanteur,
identifiée au concept de la force de gravité. Or bien que la
possession d’une masse semble parfaitement caractériser ces objets
dans le quotidien, il s’avère qu’elle ne soit pas vraiment propre à
ces seules choses (pensons ne serait-ce qu’aux particules qui
constituent « l’antimatière »,
si on ne veut pas s’immiscer ici dans le débat qui est au sujet de
la masse de la lumière,
entre autres choses).
Classiquement parlant, un corps
est un objet matériel. Il peut se trouver dans différents
états
(solide, liquide, gazeux, etc.). Cela dit, ce qui est communément
appelé « un corps » est souvent un solide. Les
solides sont majoritairement colorés, mais cela ne constitue
évidemment pas leur caractéristique. Il est dit qu’ils sont les
seuls à avoir une forme et un volume par eux-mêmes. Cependant, les
liquides et les gaz ont une position indiscutable dans l’espace et
le temps autant quand ils sont en un jet, en une
flasque, en un nuage cohérent, etc., que lorsqu’ils se
trouvent dans un contenant. On entend aussi que la
propriété des solides est l’impénétrabilité. Mais il existe des
objets qui se comportent comme un solide quand on les frappe du
poing et comme un liquide lorsqu’on y plonge un doigt. De plus, le
mot « impénétrabilité » sert non pas à identifier
une propriété, mais à écarter la suggestion de l’existence d’un
fait : « la possibilité de pénétrer ».
Par ailleurs, un état solide, liquide,
gazeux, etc. est affaire d’une
structure qu’a un objet matériel, à un moment donné. Cet objet
manifeste cette structure par des faits « publics », comme la
conservation de sa forme et de son volume, son écoulement ou sa
dispersion possibles, dans les conditions ambiantes. D’autres mots y
réfèrent, comme « cohésion de ses éléments constitutifs », « forme
cristalline », « indice de réfraction », « masse volumique »,
« ductilité », « malléabilité » et « viscosité ». Aucune classe
d’objets n’est donc communément identifiée sous cette forme, cachée,
et cela peut expliquer certaines des difficultés en cause dans ce
cas.
Ajoutons que tout ensemble de propriétés communes
proposé pour définir le terme général « l’objet matériel » est ce
que les scientifiques reconstruisent en termes de molécules,
d’atomes, d’électrons libres, etc. Ces termes permettent de décrire
précisément les objets, changeants, qui ont les propriétés sous
lesquelles ils sont observés. Notons que pour un behavioriste
radical, il n’y a aucun avantage à rechercher des « invariants »
(ici aux niveaux de la forme, du volume, des constituants dans leur
genre…).
Ce qui précède ne change rien, heureusement, à
notre intuition que, par exemple, un altère fait de deux sphères
liées par une tige est un objet matériel, alors que la Terre et la
Lune constituent un ensemble de deux corps, bien qu’elles soient en
interaction gravitationnelle. Évidemment, nous pouvons répondre à
plus d’un corps (au système Terre-Lune ou à une pile de pièces de
monnaie, par exemple) comme à un objet, mais aucun
ensemble, quel qu’il soit, n’est réductible aux éléments qui le
constituent. Nous pouvons expliquer aussi qu’un corps puisse, lui,
perdre ou gagner des « éléments » tout en continuant à exister,
comme il en était antérieurement.
Enfin, notons que des objets spatiaux et
temporels pourraient ne pas être physiques. Ce serait le cas s’ils
ne montraient aucune régularité permettant leur connaissance par la
physique. Les objets de la
mécanique quantique sont de
l’univers physique, mais du fait que la matière au niveau
impliqué est présentement inaccessible directement, elle n’est
connue que par ses manifestations et à l’aide d’instruments
complexes, dont certains théoriciens disent qu’ils interfèrent et
interféreront toujours avec ce que l’on cherche à connaître par eux.
Peut-être en raison de cela et de moins de régularités,
d’invariances, etc., à ce niveau rudimentaire, les physiciens
arrivent à des propositions très étranges. Des penseurs tentent de
justifier le tout en faisant appel à un monde « suprasensible » qui,
bien que dit « hors du temps et de l’espace », nous demeurerait
accessible, indirectement, par ses « manifestations » dans notre
monde, discordant. Mais ce qui est sensé, cohérent, rationnel et
même réaliste, c’est que ces difficultés sont tributaires de
l’inaccessibilité directe de l’univers à ce niveau, plutôt que de sa
nature.
Comme on le voit, les concepts sont en évolution.
Certains (incluant des entités qui étaient découvertes « dans des
objets de notre connaissance antérieure ») disparaissent à la suite
de l’observation de nouveaux faits, et des mieux adaptés à nos
pratiques sont construits, en attente parfois de leur découverte,
dans un monde qui ne cesse de nous apparaître plus complexe…
(2)
Les sensations
visuelle, tactile, etc., les propriétés physiques et la matière
Pour le philosophe de l’analyse expérimentale du
comportement, ce qui est vu, touché… est là où il semble
être, à savoir dans l’environnement.
Un grand mur gris fer collé au nez d’un
observateur en train de le regarder constitue pour ainsi dire toute
l’image visuelle qui est relative à la vision qu’il
en a. Cette « image » n’est certes pas réductible à un objet
physique, mais non parce qu’elle serait bidimensionnelle et sans
contour déterminé ou bien défini : elle est un objet abstrait, comme
l’est sa couleur.
Dans son histoire personnelle et dans celle
évolutive, l’homme (comme l’organisme de plusieurs autres espèces)
apprend à donner des réponses différentes à un objet gris et à un
d’une autre couleur. Il le fait bien avant que cette propriété ne
soit un objet pour lui, et, à plus forte raison, avant qu’il ne
comprenne la « nature » de cet important aspect du monde.
Pour faire en sorte qu’un individu découvre
l’entité qu’est le gris fer, en l’occurrence, sa communauté verbale
peut, en plus d’une occasion, dire « gris fer » en présence d’un
corps ayant cette propriété et, par exemple, dire « non gris fer »
devant un objet d’une autre couleur, que cet homme observe.
Rapidement, l’importante propriété physique sous laquelle il agit
différemment comme il est mentionné ci-dessus devient un objet
(abstrait), à savoir le « référent » d’un mot (dit ici
« abstrait »). Le gris fer, comme n’importe quelle autre propriété,
est un aspect important de ceux qu’a un corps qui exerce la
condition préalable de l’émission des conduites en cause.
Contrairement à une sensation visuelle, tactile
ou autre, mais conformément aux objets abstraits des autres
catégories ici, une couleur n’est la condition
spécifique d’aucun acte non social (on identifie cette entité
abstraite alors qu’on voit un objet ayant d’autres propriétés, ne
serait-ce qu’une étendue spatiale et une durée certaines). Elle
l’est du comportement social (précédemment, le mot « gris fer ») qui
en fait une entité, « abstraite».
Ce qui est dit ici du gris fer peut l’être de
n‘importe quelle matière (par exemple, le fer) en tant que concept
(ensemble de propriétés physiques). C’est cet objet que les
physiciens reconstruisent en termes des atomes. Notons que nous
pouvons parler d’une matière comme d’un objet matériel : c’est le
cas lorsque nous disons « apportez-moi du fer », en l’occurrence.
Mais aucune matière n’est réductible à une chose comme un objet
matériel.
Au passage, précisons que le terme général « la
matière » se « réfère » au type des objets abstraits que
sont les diverses matières et que le nom « le gris »
sert à « référer » au type des divers gris, qui existent, dans le
monde.
En résumé, nous pouvons dire que toute
sensation est, à la fois, « inventée » et « découverte »,
comme l’est tout autre objet abstrait (propriété ou ensemble de
propriétés) : ce qui est classiquement appelé « un sujet » est
nécessaire pour qu’elle existe en tant que telle (sensation,
donnée, etc., dans le monde), puis en tant qu’un objet
isolé (abstrait), alors que ce qui est communément appelé « un
objet » est nécessité pour qu’elle existe, d’une quelconque façon, à
savoir en tant que l’objet physique qui la constitue, en tant qu’un
aspect exercé par un ou par plusieurs corps, dans le monde, et en
tant que le « référent » d’un « mot » (comportement verbal).
(3)
Illusions et
perceptions souvent mal interprétées
Pour un behavioriste radical, la perception que
constitue
un
bâton droit plongé dans de l’eau où il ne semble plus être
rectiligne est une « image visuelle » exercée par le bâton
certes, mais aussi par l’eau qui est vue : c’est un objet abstrait
comme toute autre sensation visuelle (voir la section précédente).
Donc, ce qui est vu ici n’est pas une « image » non rectiligne en
nous d’un bâton rectiligne hors de nous, ni, certes, une
« représentation » non linéaire hors de nous d’une chose dite « hors
du temps et de l’espace ».
En un tel cas, nous parlons d’une
illusion, en raison des réponses discordantes qui peuvent
alors être données en touchant l’objet vu ou en le voyant tout à
fait rectiligne grâce à un instrument (miroir, caméscope, etc.).
Les
figures « ambigües » sont utiles pour expliquer ces phénomènes.
Par exemple, un célèbre
cube de
Necker (deux carrés aux arêtes liées par des segments) peut être
perçu comme étant un cube vu du dessus ou comme étant un cube vu du
dessous. Ce qu’on appelle techniquement « l’interprétation »
de la figure n’est pas une réponse visuelle au schéma; c’est un
processus comprenant plus d’une réponse à ce qui est présent. Ainsi,
la vision discriminative préalable d’un des carrés, plus que d’un
autre, peut mener à l’une de ces interprétations (et celle-là est
« favorisée » quand l’un des carrés est un peu plus foncé dans ses
côtés, par exemple). En chaque cas, on peut réaliser que rien ne
change alors dans ce qui est vu, dans le milieu.
Les illusions où tout semble constant par
ailleurs sont très diverses. Ainsi, certains objets bleus peuvent
apparaître tels ou verts, indifféremment.
Et je pense que le lecteur sera intéressé ici à
faire l’expérience de voir une figure tournée vers le haut ou
tournée vers le bas, indifféremment, tout en réalisant clairement
que rien ne change, pour autant, dans ce qui est vu.
Considérer cette construction de mon cru,
« favorisant » ces « vues ».
↑9↑
Il est difficile de voir ces flèches pointées
vers le bas. Mais quelqu’un peut d’abord regarder le tout alors que
sa tête est tournée vers le bas : il pourra alors voir facilement un
« 6 » encadré de deux flèches vers le bas, puis un « 9 » encadré de
flèches tournées vers le haut et, finalement, l’un ou l’autre cas,
indifféremment, tout en réalisant, à nouveau, que rien ne change
dans le milieu externe. Avec la répétition de réponses renforcées,
des gens peuvent arriver à faire cela alors que leur tête est dans
la position habituelle.[2]
Aux fins de la compréhension de ce texte,
ajoutons ceci.
Une image photographique d’un objet est exercée par
cette photo, qui réfléchit vers l’observateur la lumière de sa
provenance.
Une image virtuelle obtenue par un miroir plan est
constituée par l’objet vu grâce au miroir, comme on peut le
constater en s’approchant progressivement pour toucher le lieu où
elle est exercée, lequel n’est pas derrière ce miroir, ni à sa
surface, mais au verso de l’objet vu. Cette image est une des faces
virtuelles du corps devant le miroir (approximativement, celle qui
est alors cachée).
Une image
télévisuelle est formée par l’écran du téléviseur qui
projette de la lumière vers nos yeux.
L’image réelle de l’objet vu par un système de lentilles appropriées
est exercée, elle, par l’objet vu à travers les lentilles qui
transmettent la lumière provenant de cet objet, en la réfractant.
Enfin, une
image holographique est constituée par un hologramme, qui
transmet la lumière en provenance de l’objet (ou d’un système de
formation d’images de synthèse) en ne faisant passer qu’une partie
d’elle, celle dont on dit qu’elle conserve la
phase
et l’amplitude
de l’originale, en employant les termes du
modèle ondulatoire de la lumière. Telle une image dite
« réelle », par transmission de la lumière à travers un système de
lentilles, ou une dite « virtuelle », par sa réflexion sur un
miroir, celle holographique est exercée ailleurs où elle semble
l’être.
Comprenons que la présence et donc la présente
existence de l’objet vu ne sont nécessitées que dans le second et
dans le quatrième de ces cas. Avec la photographie et avec la
télévision, les images sont des sensations constituées
respectivement par la photo et par le téléviseur, à son écran. En ce
qui concerne l’holographie, disons qu’un hologramme est un objet de
la grande classe des photos, lequel ne réfléchit pas de la lumière
ambiante vers nos yeux (contrairement à ce qui se passe avec une
photo classique), mais transmet des faisceaux cohérents de photons.
Ceux-ci sont émis dans des appareils à
laser (Light
Amplification by Stimulated Emission of Radiations), comme les
flux d’électrons le sont dans un tube cathodique d’un téléviseur.
Pour sa part, l’image visuelle qu’un sujet
aurait en lui-même à l’occasion de la vision d’un objet en son
absence est une représentation dont le concept est construit en
attente de sa découverte. Son existence est suspecte car ce sujet
devrait avoir de nouveaux sens pour la voir. En toute vraisemblance,
ce sont des conditions comme des mouvements oculaires, des réponses
ou des états privés qui incitent à parler ici d’une image visuelle.
Au niveau auditif, nous pouvons facilement prendre conscience de
parler, de chanter, d’entendre des sons… en privé (implicitement)
tout en réalisant clairement que rien, hors de nous ou en nous-même,
n’a alors les propriétés sonores dont il est possible de parler,
sous d’autres conditions que des sons.
Comme on a essayé de le montrer ici, en nul cas
il n’y a lieu de tenter d’expliquer les perceptions en termes
d’imaginaires images mentales. Il est intéressant de réaliser qu’on
ne fait intervenir aucun de ces prétendus objets internes pour
rendre compte d’une observation par contact direct, comme lorsqu’on
touche un corps pour connaître sa rugosité, sa chaleur ou sa forme :
on ne fait pas appel à des copies internes de l’objet, en tous ces
cas.
(4)
Les sensations
comme les plaisirs et les douleurs, les émotions, les sentiments,
les besoins, etc.
Notre propre corps est à peu près comme n’importe
quel autre objet matériel lorsqu’il est question de le voir, de le
toucher, etc. Or pour un behavioriste radical, la « partie » de
l’univers qui est sous notre peau n’est pas d’une nature « autre »,
radicalement différente de celle qui est hors de nous; elle est
uniquement plus difficile à observer, pour les autres individus.
Pour le philosophe de l’analyse expérimentale du
comportement, une brûlure d’estomac est un objet abstrait, comme
l’est la chaleur exercée par un corps brûlant ou la couleur de
celui-ci. La première de ces sensations est constituée par le corps
affecté, dans sa « partie » interne qu’est son estomac, alors que
les deux autres le sont dans l’environnement, par un corps externe.
C’est toujours la communauté verbale qui apprend
à ses membres à identifier une telle donnée, bien qu’ici, elle doive
le faire sous des manifestations publiques de ce qui est ressenti,
avec les difficultés reliées à ce manque d’accessibilité. Et elle le
fait souvent dans des termes descriptifs d’actions ou d’objets
publics. Ainsi, le mot « aiguë » qui est descriptif d’un objet comme
une lance à son extrémité a été généralisé afin de parler de la
sensation occasionnée par l’insertion d’une telle pointe dans le
corps d’un organisme, et il apparaît que le mot « brûlure » servant
à identifier une lésion publique le fut pour décrire une sensation
éprouvée à l’occasion de celle-là.
La connaissance qu’un sujet a de son corps quand
il éprouve un plaisir ou une douleur, par exemple, est subjective,
au sens trivial d’être celle d’un sujet. Mais elle est aussi privée
car personne d’autres ne le connaît ainsi. Or, entre autres choses,
cela explique, dans l’éventualité, qu’une de ses dents
ostensiblement cariée n’est pas dite « douloureuse »
lorsqu’il est anesthésié, même localement, tandis qu’elle est dite
« noire » (noire de la carie) alors même qu’il ne la voit pas. Dans
ce cas-ci, la connaissance est publique et elle peut être dépourvue
de presque toute influence subjective.
Pour un behavioriste radical, une sensation
existe, en tant qu’aspect d’au moins un objet, uniquement quand au
moins un sujet « observe » l’un d’eux de la façon impliquée. Lorsque
personne ne le fait, la sensation n’existe, éventuellement, qu’en
tant que les objets qui l’exerceraient dans le cas contraire. La
possibilité de parler à tout moment de cet aspect tient à la
caractéristique du comportement verbal de pouvoir être produit sous
d’autres conditions qu’un tel objet. L’existence d’une sensation en
tant que objet (abstrait) est tributaire, elle, du fait qu’elle est
le « référent d’un mot ».
Ce qui précède peut être dit des émotions
et des sentiments, même quand ces sensations sont
plus diffuses, moins localisées, dans l’organisme.
Les envies, les désirs,
les pulsions, les besoins, etc.
sont en quelque sorte, eux aussi, des aspects non pas d’une entité
mentale, mais d’un organisme, qui se sent tandis qu’il est
dans un état qui est affaire de privation ou de stimulation
aversive. Il est intéressant de noter que cet organisme, dans cet
état, est susceptible d’être affecté avec force par ce dont il est
privé et par le retrait ou par l’éloignement de ce qui lui est
aversif, respectivement.
En passant, comprenons bien ceci, avancé de la
position soutenue dans ce texte. Un individu ne mange pas parce
qu’il a faim et ne fuit pas parce qu’il
a peur, pour utiliser des exemples. Il peut manger
sans avoir faim ou ne pas le faire alors qu’il est affamé, et, de
même, il lui est possible de s’éloigner rapidement sans être apeuré
ou de ne pas le faire quand il est mort de peur. La connaissance
qu’un organisme a de lui-même tandis qu’il est dans un tel état
« favorise » ses actions appropriées de recherche ou de fuite, selon
le cas; elle ne les « cause » pas. Ainsi, la faim et la peur
(c’est-à-dire l’organisme en tant que les « aspects » sous lesquels
il se sent, lui-même, quand il est dans un état de privation et de
stimulation aversive, respectivement) sont chacun à expliquer,
vraisemblablement en termes de l’histoire évolutive, tout comme le
sont la recherche ainsi que la fuite loin de ce qui est aversif.[3]
(5)
La conscience
Quand on comprend bien ce qui précède, il reste
beaucoup moins de choses à expliquer concernant la conscience et en
rapport avec « l’esprit ».
Pour un behavioriste, la conscience
est affaire de comportements. Il en est ainsi de la
conscience sensorielle (celle des objets externes, par les
sens) et de la conscience sensitive (celle que, par
d’autres « voies », un organisme a de lui-même dans des états ou
dans des événements internes).
Pour avoir la conscience intime d’un objet
matériel, il ne suffit pas d’être en contact avec lui ni même d’y
réagir. À ce compte, des objets inanimés seraient conscients des
autres corps. La conscience qui est en question ici est affaire de
« réactions » dont les conséquences font en sorte que leur
production (émission) est plus probable dans de semblables
circonstances ultérieures. Ces comportements sont appelés « opérants »[4].
Rapportons ici un certain nombre d’analyses
relatives à la conscience.[5]
Évidemment, nous ne proposons ici que quelques grandes idées
directrices.
Il importe de distinguer la conscience
d’une chose et la conscience de la conscience de
cette chose : tout comportement est d’abord
inconscient, et la conscience de celui-là est tributaire
des réponses qui lui sont données. En passant, disons qu’il ne faut
pas confondre cette conscience-ci et la conscience réfléchie (voir
ce qui est dit de la réflexion à la section suivante).
Le rêve est constitué de
comportements émis par l’organisme endormi, dans les limites
impliquées par cet état. Des mouvements rapides des yeux, des
muscles de l’oreille moyenne, etc., appuient cette proposition.
Penser est se comporter d’une certaine façon.
Soulignons que ce n’est pas un esprit, prétendu, qui se
comporte ainsi. On peut souligner aussi qu’une
pensée a les dimensions d’un comportement, non pas
celles d’un processus interne imaginaire qui s’extérioriserait avec
cette conduite. Par exemple, penser à haute voix est se comporter
verbalement, et il est possible de penser verbalement de façon
implicite (« en miniature », pour ainsi dire).
Penser est, souvent, agir faiblement : un
avantage d’un tel comportement, implicite, est qu’un individu peut
se comporter sans s’engager. Ajoutons qu’il est possible d’amplifier
ces réponses d’une façon instrumentale ou de les encourager à
redevenir publiques. Et on peut les décrire dans les mots acquis
pour la description des comportements publics.
(Notons ici que le « je pense » opposé à « je
sais » exprime la faible probabilité qu’a un événement, comme dans :
« je pense que je le ferai ».)
Une idée n’est pas une entité
autonome; c’est le comportement, lui-même, ou, du moins, un qui est
probable. C’est cela qu’un individu possède.
Le nom « la connaissance » se
« réfère », lui, à une grande classe de comportements (opérants4).
Ceux-ci vont des conduites qui sont apprises directement, lors des
expériences (ici contingences de renforcement[6]),
jusqu’à celles qui sont dirigées par des règles. Les unes et les
autres ont leurs propres avantages et leurs propres inconvénients,
liés, entre autres, à la « force » ou à la « motivation » des
réponses et aux bénéfices éventuels pour un individu de ne pas être
exposé directement au milieu, respectivement. Cette connaissance est
à distinguer des écrits, par exemple, qui la favorisent.
L’intuition dont il est en
question dans ce texte est de la connaissance, résultant d’un
individu, tel qu’il est à ce moment. Elle est encore mal expliquée
présentement, relative à l’indétermination de ce comportement.
Chacun de ces actes ne semble pas impliquer un
événement causal : les conditions qui contribuent à les établir et à
les maintenir appartiennent à l’histoire de l’organisme.
C’est ce qui est dit quand on informe que l’analyse expérimentale
des phénomènes classiquement réunis sous les noms « la
psyché » et « l’intellect » a été rendue
possible par la découverte d’une causalité différente de celle de la
physique : on peut les expliquer en termes non pas de variables
« causales », mais de variables « historiques », à savoir
d’éléments représentatifs des conditions acquérant leur rôle
dans l’histoire personnelle. En bref disons que, sous
l’éclairage de la science des contingences de renforcement, il
apparaît vraisemblable de penser que les conséquences d’un « acte
volontaire » (opérant4) émis par un organisme
transforment celui-ci de telle sorte que des stimuli qui étaient
présents dans les circonstances de son émission acquièrent, pour
lui, le rôle de conditions préalables de la production d’une
conduite de la même classe, dans de semblables circonstances
ultérieures. Ils en sont les causes en ce sens. Par comparaison,
disons que les causes des physiciens sont effectives
spontanément et en tous les cas, selon les lois
déterministes de la physique.
Ajoutons que l’âme ou la
personne d’un homme est son répertoire comportemental. On
peut assez facilement le réaliser en pensant aux dessins animés de
notre enfance où un savant fou changeait celle d’un bon personnage
par celle d’un mauvais, et vice versa, en connectant leur cerveau
par deux séries de fils conducteurs. Comprenons que c’était non pas
la vue des courants électriques passant dans ces fils en sens
inverse, ni à plus forte raison celle d’entités invisibles, qui nous
amenait à comprendre ce qu’on voulait nous faire saisir alors, mais
la découverte des nouveaux comportements de chacun d’eux, l’un
agissant comme l’autre et vice-versa (incluant parfois en parlant
comme cet autre avec le motif même de sa voix).
Réalisons que ce fictif échange de flux
électriques ne nous permet pas de comprendre comment l’histoire de
l’exposition d’un organisme à son environnement lui fait acquérir
son répertoire comportemental, en toute apparence et vraisemblance.
Celui-ci est certes une chose dont le concept est présentement
construit, en attente de sa découverte par l’anatomie ou par la
physiologie, vraisemblablement. Mais l’analyse opérante peut servir
ici, en montrant aux scientifiques ce qu’ils doivent chercher et où
le trouver.
En passant, notons que le moi
est le produit des expériences de la vie quotidienne, caractérisé
par la sensibilité aux « récompenses » (renforcements, sous le mode
positif ou sous le mode négatif) et aux « punitions » (au sens
large, incluant l’extinction). L’acteur est l’organisme, lui-même,
devenu une personne avec des réponses différentes et parfois
contradictoires, en raison de son histoire d’exposition au milieu
environnant. La conscience morale ou le
surmoi est une composante majeure du comportement humain.
Presque inconscient, il est surtout le résultat des pratiques
punitives de la société qui affronte le ça, le « Viel
Adam » judéo-chrétien, à savoir la « nature » dérivée des
sensibilités innées de l’homme aux renforcements, dont la plupart
sont en conflit avec les intérêts d’autrui.
(6)
L’esprit
Le mot « esprit » des métaphysiciens peut souvent
être traduit à peu près ainsi : un lieu non physique dans lequel les
phénomènes obéissent à des lois non physiques. L’esprit immatériel
remplacerait le cerveau matériel, le milieu physique y deviendrait
expériences, les comportements y seraient projets, intentions,
idées, les réponses s’y réduiraient à des activités de volonté,
cognitives, intentionnelles et générales, et là seraient les
concepts et les autres objets abstraits, qui n’auraient donc pas de
référence externe. Autrement, l’esprit ne serait, plus ou moins,
qu’un homoncule immatériel.
L’analyse opérante explique ces phénomènes de
façon bien différente.
Dans cette section, nous allons parler de dits
« objets de l’esprit » qui sont affaire de comportements sans être
strictement des conduites. Encore ici, nous ne proposerons que
quelques grandes idées directrices. Rappelons qu’un des buts de cet
article est d’attirer l’attention des lecteurs pour qu’ils aillent
approfondir ces grandes idées, en lisant les ouvrages de B. F.
Skinner.
Pour un philosophe de la science des contingences
de renforcement, la mémorisation est un processus
faisant en sorte qu’une réponse accroît sa probabilité d’émission en
certaines circonstances. Pour lui, les expériences ne sont pas comme
les « mémoires d’un défunt », ses écrits, présents en un lieu donné.
Elles ne sont stockées nulle part; elles modifient l’organisme de
sorte qu’il se conduise d’une façon particulière sous des conditions
d’un type particulier. Le rappel de cette conduite
consiste à « favoriser » son émission.
La discrimination est le
processus qui, impliquant plus d’une réponse à plus d’un objet (stimulus),
donne, au terme, une réponse efficace à l’un d’eux. Elle est à
distinguer d’une action facilitant cette réponse. Ainsi,
regarder un corps « favorise » la vision
qui est au terme de sa discrimination.
L’attention n’est pas une
activité, mentale ou cognitive, qui a pour effet de surélever des
stimuli dans leur intensité, dans leur définition (précision), etc.,
et d’en abaisser corrélativement d’autres, ni un changement de
stimuli observés. C’est, plutôt, un « état » occasionné par le
changement dans les expériences qui sous-tendent tout le processus
de la discrimination.
Le jugement est bien plus que
l’attention au monde. La notion implique de répondre de façon
idiosyncrasique au milieu en raison du passé de l’exposition à
celui-ci. Le processus interne imaginaire relève en fait de
l’équipement génétique et de l’histoire personnelle de l’individu
impliqué. De façon commune, ce qui est appelé « le jugement »
est la réponse donnée à la fin de l’analyse d’une conduite ou de ses
raisons (voir un peu plus bas).
Ce qui est communément appelé « le choix »
ou « la volonté » n’est un événement ni
intentionnel, ni causal, ni spontané. La notion est à remplacer par
la probabilité d’émission de « comportements volontaires »
(opérants4), dont les facteurs déterminants appartiennent
à l’histoire de l’individu. Du fait qu’ils sont absents de la
situation, ils laissent penser à la liberté, mais
celle-ci est fonction de l’absence de présentes contraintes
environnementales, non de l’inexistence de toute détermination
antérieure.
La motivation à agir d’une
certaine façon est tributaire des conséquences qui ont suivi cette
action émise antérieurement. Ces effets définissent cette action, en
relation avec un état de privation ou de stimulation aversive,
souvent lié aux circonstances de l’émission de celle-là.
Un peu à l’inverse, la dépression
est l’abaissement de la force et de la probabilité
d’émission des comportements d’un organisme dont l’état, dit « dépressif »,
est un produit de son exposition antérieure à un milieu qui est
pauvre en « récompenses » (renforcements) lorsqu’il se comporte. (En
passant, rappelons ici que
l’extinction n’est pas la punition au sens commun.)
Le mot « intention » tourne
l’attention vers l’avenir, mais, comme avec « but »
et « projet », il faut considérer les conséquences
ultérieures des actions qu’un individu a faites, dans le passé,
pour expliquer ce qu’il en est. Ces effets sont dans
l’environnement, non dans son cerveau ou en son esprit.
La généralisation est un
mécanisme faisant qu’une réponse renforcée dans des circonstances
déterminées tend à réapparaître dans une situation semblable, qui,
par la ressemblance des stimuli, ne partage que quelques
caractéristiques. Celles-ci deviennent les conditions préalables
exclusives d’un comportement opérant de la même forme, grâce à la
discrimination.
L’habitude d’agir d’une certaine
façon n’est pas la condition de ce comportement; elle est son
caractère habituel (fréquent). (De même la coutume
est le caractère coutumier d’une conduite, et en termes de
l’usage, il est souvent question du comportement usuel,
familier, dans un groupe.)
Apprendre est acquérir des savoirs ou des
savoir-faire. L’apprentissage de comportements
(opérants4) résulte d’une exposition à l’expérience (un
seul cas de contingences de renforcement suffit parfois).
La compréhension est affaire de
réponses appropriées aux objets impliqués ainsi que de la
« tendance » de plus en plus forte à les produire.
La réflexion est l’analyse
des raisons (les expériences positives, par
opposition aux mauvaises expériences) des comportements, incluant de
ceux dont on donne des causes imaginaires (comme les
« superstitions »).
L’élaboration de concepts est
l’établissement d’un type particulier de conditions, par les
stimuli, de réponses « volontaires » (opérantes4). Elle
est tributaire de l’exposition d’un individu à un ensemble
d’expériences positives (les contingences de renforcement6).
Les concepts ne sont pas dans le cerveau ou dans le métaphysique
esprit : comme l’espèce humaine et les autres classes définies par
un ensemble de propriétés, les concepts (ces ensembles) n’ont aucune
existence véritable quand nul objet ne les exerce.
La résolution d’un problème
consiste en des activités menant à une réponse dont la conséquence
est la solution (le renforcement) escomptée.
Le nom « la déduction » se
« réfère » à une grande classe comprenant des types de processus, à
distinguer. Il est question du processus comportemental de base
quand, par exemple, un observateur déduit par expérience qu’un
événement n’a pas lieu en voyant qu’il pleut fort. On doit parler
plutôt d’un processus de manipulation de termes quand, par exemple,
on déduit « a est c » des énoncés« a est
b » et « tout b est c », à partir du
mot-clé « tout », sans peut-être même savoir ce que représentent
a, b et c.
L’induction est l’extraction ou
la dérivation de règles; elle est opposée à l’application de
celles-ci, laquelle est un cas particulier de la déduction. On peut
parler ainsi autant quand les comportements sont façonnés
directement par l’environnement que lorsqu’ils sont régis par des
règles, comme ceci est le cas dans un cadre logique de manipulations
d’énoncés. Ce premier processus comportemental, présupposant la
modification du milieu, est à distinguer aussi de l’analyse des
expériences positives (les contingences de renforcement6)
dans lesquelles les réponses sont renforcées. Celle-ci, à son tour,
est distincte du processus du renforcement (le processus de
l’accroissement de la probabilité d’émission d’un comportement
opérant).
Globalement, l’intelligence est
la susceptibilité aux « expériences » (contingences ontogénétiques),
conduisant à une grande rapidité d’apprentissage (rapidité de
conditionnement) et à la capacité de maintenir un plus grand
répertoire de conduites sans confusion, entre autres choses.
L’imagination n’est pas une
faculté. Le nom se réfère à une grande classe comprenant des choses
n’ayant à peu près rien en commun : par exemple, a) la
vision d’un objet en l’absence de celui-ci, b) la vision de
choses réelles dans une proximité irréelle, c) la
construction d’une définition favorisant la découverte qui est au
terme du mécanisme de l’abstraction (celle-ci est
un trait caractéristique du comportement verbal : voir
l’identification du gris, à la seconde section), et, d)
la « création » ci-dessous.
La création, elle, est
tributaire de l’émission de conduites à probabilité faible, dans les
circonstances impliquées, ou, uniquement, de la production de choses
nouvelles, originales, pouvant ne pas résulter de l’application de
règles, voire apparaître ne surgir de rien. C’est souvent le cas
dans un nouvel environnement. Mais pour un behavioriste radical, les
comportements impliqués ici résultent, eux aussi, de l’organisme qui
les émet, tel qu’il est au moment où il agit, son état étant le
produit de son exposition antérieure à l’environnement, en tant que
membre d’une espèce et en tant que individu.
Conclusion
Sous l’éclairage de l’analyse opérante, un
behavioriste radical propose l’explication des phénomènes mentaux en
ne faisant appel ni à la matière ni à l’esprit. En termes de
comportements, il n’a nul besoin d’en appeler au
monisme (peu
importe qu’il soit matérialiste ou spiritualiste) ou au
dualisme.
En parlant des discordances occasionnelles entre
des réponses à l’environnement plutôt qu’entre des
mondes, il permet de dissiper de grands systèmes d’idées. Il
peut discréditer leurs propositions, incluant celles-ci : a)
ce qui est communément appelée « l’expérience » n’est pas la source
des véritables connaissances, b) il faut capituler devant
la science et tenter de la fonder sur des postulats d’une « Raison »,
innée, ou, du moins, sur des règles méthodologiques permettant de se
passer de la science, c) il faut se taire quand on est
confronté à la frontière de ce qui peut être dit ou, d) on
doit alors s’adonner à l’indescriptible extase qui apporte le
changement inexplicable de l’ordre de la morale qui est opposé à
l’ordre normatif de la science.
En parlant de discordances occasionnelles entre
des réponses à l’environnement plutôt qu’entre des
expériences, il explique aisément l’accord qui s’établit
presque toujours entre les observateurs, bien que les expériences
« privées » de chacun d’eux ne soient pas observables pour les
autres. Il n’a donc pas à délaisser de données, importantes,
permettant de comprendre les choses. Et il n’est pas de ceux qui
avancent (à l’opposé de l’intuition commune), a) qu’il
faille se tourner exclusivement vers les moyens d’observer les
phénomènes (comme le proposent les partisans du
positivisme logique, de l’opérationnalisme
ainsi que les supporters de leur équivalent en psychologie[7]),
b) qu’il soit possible d’ignorer ce qui est appelé « le
phénomène mental » (dont les cas ne seraient que des épiphénomènes,
au comble impossibles à observer objectivement), c) que la
physique de la matière suffirait à rendre compte de ces choses ou
même, d) qu’un robot qui se comporterait exactement comme
un homme, répondant comme lui aux stimuli et changeant son
comportement en fonction des mêmes opérations, passerait le test de
pouvoir être considéré comme un être humain, même s’il n’éprouvait
pas les mêmes sensations, n’avait aucune de ses pensées, etc.!
Il explique adéquatement des phénomènes que sont
les sensations, les émotions, les sentiments, les besoins, etc., et
n’est donc pas confronté à l’idée d’introduire l’esprit dans le
comportement impliqué (contrairement à ce qu’il en est avec les
divers courants du cognitivisme)[8].
Il peut aider à comprendre la démonstration freudienne de
l’inconscient, la relation entre l’amplitude des stimuli et les
sensations, la psychophysique, la médecine psychosomatique, les
processus « intrapsychiques » de la psychiatrie, etc.
Pour lui, l’introspection demeure certes une
façon qu’a le sujet de se connaître, mais, comme elle est souvent
trompeuse, il met à l’écart le
mentalisme et évite, ainsi, un grand nombre de difficultés qu’il
occasionne.
Aussi, il ne méprise pas le passé et le futur,
pour se consacrer au hic et nunc (ici et maintenant) comme
le font les partisans de la
phénoménologie et de l’existentialisme.
En découvrant que le milieu agit avant et après une réponse émise
(voir ne serait-ce que la note infra no 4), il est en mesure de
décrire pourquoi les individus se comportent comme ils le
font, non uniquement comment ils agissent (comme avec le
structuralisme, par définition de son objet[9]).
Aussi, il n’a pas à mettre entre parenthèses des questions
classiques comme celle relative à l’existence des objets physiques :
en accord avec l’intuition commune, il justifie plutôt, en
l’occurrence, d’affirmer que les organismes, les corps inertes et,
plus généralement, tous les objets qui possèdent une position
indiscutable dans l’espace et le temps ont une existence
indépendante des réponses de n’importe quel être sensible ou pensant
(organique ou non), ce qu’il y a tout avantage à faire…
Bref le
behaviorisme
radical propose la position la plus cohérente qui soit pour
analyser tous les phénomènes impliqués ici et il le fait, sans
concession à la métaphysique, en tournant l’attention vers le milieu
externe.
[1] Pour les détails, voir : Tous les grands problèmes
philosophiques sous l’éclairage de la science des contingences de
renforcement, gratuit en cliquant :
http://manuscritdepot.com/a.jean-pierre-bacon.1.htm
[2] Voir aussi les expériences de Stratton
https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1896_num_3_1_1862
[3] « Certains stimuli peuvent rester réflexogènes, et ne pas
engendrer directement de sensations, mais arriver à s’intégrer
toutefois dans la régulation du comportement par l’effet des
réponses réflexes primaires susceptibles d’engendrer à leur tour des
sensations et contribuant ainsi à une connaissance indirecte du
milieu. » (Piéron, Henri. La sensation, Coll. Que sais-je,
PUF, Paris, 1967, pp. 14-15). « Il y a ainsi une spécificité que
l’on peut qualifier de pré-sensorielle dans les voies de la
sensibilité , et elle se manifeste déjà dans certaines modalités de
réponses réflexes déclenchées au niveau de centres d’étape : suivant
qu’en une région de la peau se produit une stimulation chaude ou
froide, une vaso-constriction ou une vaso-dilatation locale est
déclenchée, sans compter certaines modifications respiratoires et
métaboliques, et cela alors même qu’une interruption haute des voies
afférentes ou une destruction de la station réceptrice terminale
empêche toute sensation d’être éveillée. » (Ibid, pp.
15-16.) Dans un autre travail, l’auteur dit qu’une grenouille
décérébrée fait un geste de retrait de sa patte sur laquelle on a
mis une goutte d’acide.
[4] Techniquement parlant, un opérant est une classe de réponses
émises (ayant une topographie particulière, précisons-le) qui est
définie par leur propriété caractéristique d’être en
« interrelation » avec les circonstances de leur production et avec
leurs conséquences qui font en sorte que la probabilité augmente
qu’une autre réponse de cette classe soit produite dans de
semblables circonstances ultérieures.
[5] À partir d’ici, nous procédons à un résumé personnel de
certaines parties de l’ouvrage pour une science du
comportement : le behaviorisme, de B. F. Skinner, traduit de
l’anglais par F. Parot sous les conseils scientifiques de Pierre
Mounoud et de Jean-Paul Nronckart, avec l’accord de Alfred A. Knopf,
Inc., en 1974.
[6] Techniquement parlant, un cas de contingences de
renforcement est l’ensemble des interrelations entre une réponse
émise, ses circonstances d’émission et ses conséquences qui font
augmenter sa probabilité.
[7] Le behaviorisme méthodologique (voir l’ouvrage de B. F.
Skinner mentionné à la note no 5, pp. 20 à 23.
[8] Certains de ces courants sont appelés « behavioristes » (de
l’anglais behavior), mais le comportement, loin d’y être
l’objet principal de l’analyse, n’y est qu’un indicateur de ce qui
ne va pas au niveau cognitif.
[9] La prédiction est bien sûr possible dans le cadre du
structuralisme, mais elle est basée sur la narration (description
narrative) de ce que les gens font souvent (à un certain âge ou
à un moment déterminé dans l’histoire du groupe, par exemple). Elle
n’est pas fondée sur une explication (description explicative)
de ce comportement, en termes des conditions dont la manipulation
permet sa prédiction ainsi que son contrôle
Téléchargement
Cliquez ici pour télécharger gratuitement cet article en format PDF
© 2019
Jean-Pierre Bacon
Du même auteur

Tous les grands problèmes philosophiques
sous l'éclairage de la
science des contingences de renforcement,
Le behaviorisme radical et
les grands problèmes philosophiques,
Essai, Jean-Pierre Bacon,
Fondation littéraire Fleur de Lys
Exemplaire numérique gratuit (PDF) - Lien de téléchargement

7 417 KB

6 921 kb
Fondation
littéraire Fleur de Lys,
31, rue St-Joseph, Lévis, Québec, Canada. G6V 1A8
Téléphone : 581-988-7146
Courriel :
contact@manuscritdepot.com
Le présent site
est géré par la Fondation littéraire Fleur de Lys inc.
La Fondation
littéraire Fleur de Lys décline toute responsabilité quant au contenu
des autres sites auxquels elle pourrait se référer.
MENU DE CE SITE WEB
ACCUEIL
NOUS
MAISON D'ÉDITION
avec impression à la demande
LIVRES NUMÉRIQUES GRATUITS
Centre
d'information sur les droits d'auteur
Centre
d'information sur l'édition
et le nouveau
monde du livre
RECHERCHE SUR CE SITE
NOUS
CONTACT
PUBLIER VOTRE LIVRE AVEC NOUS
|